Financement des partis politiques – Reza Uteem :  « Pravind Jugnauth a écarté l’opposition alors qu’un consensus aurait pu être trouvé »

  • L’ICAC fait tout sauf s’attaquer à la corruption

Le Premier ministre laisse filer une chance en or pour faire passer une loi sur le financement des partis politiques. Seul moyen de sauver les meubles, selon Reza Uteem, député mauve dans la circonscription no. 2, c’est l’institution d’un « select commitee » pour se pencher sur la question. À moins que, dit-il, le Premier ministre n’a pas de réelle volonté pour introduire cette loi, tout comme dans le cas de la réforme électorale.

Q : Le « Political Financing Bill » est vivement contesté par les partis de l’opposition. Le gouvernement a-t-il raté le coche sur ce projet de loi ?

Il y a l’unanimité au sein du gouvernement et de l’opposition, aussi bien qu’à l’extérieur de l’Assemblée nationale, qu’il faut une loi pour réglementer les partis politiques. Mais ce gouvernement a réalisé un exploit en réunissant tous les partis de l’opposition, parlementaires et extraparlementaires, contre ce projet de loi. Pas une seule personne, hormis les membres du gouvernement, n’a parlé en sa faveur. D’abord, il est clair qu’avec ce projet de loi, les bailleurs de fonds seront réticents à financer les partis de l’opposition par crainte que des sanctions économiques ne soient prises contre eux par le gouvernement.

Et puis, il y avait toujours un consensus à l’effet que l’État devrait financer une partie des dépenses afin de mettre tout le monde, y compris les petits partis, sur un « level playing field ». Il ne s’agit pas des dépenses qui coûtent des millions de roupies, mais des dépenses minimes telles que l’imprimerie des affiches, des pamphlets ou des bulletins à être distribués aux électeurs. Car pour participer à une élection aujourd’hui, on doit pouvoir communiquer, mais la communication a malheureusement un prix.

D’un côté, on ne laisse pas le gouvernement financer les petits partis et de l’autre, on vous dit qu’un parti peut dépenser jusqu’à Rs 80 millions, soit Rs 1 million par candidat (ndlr : Rs 60 millions pour les 60 candidats) et Rs 1 million par circonscription (ndlr : Rs 20 millions pour les 20 circonscriptions), durant une élection. En réalité, il ne s’agit pas uniquement de Rs 80 millions. Voyez-vous, les dépenses commencent à partir de la date de l’annonce des élections. Puisque le gouvernement connaît d’avance la date qu’il ne l’annoncera, il peut très bien effectuer une partie de ses dépenses avant cette annonce. Ce qui lui donne un « fair advantage » sur les partis de l’opposition.

Autre point contestable : il n’y a que le trésorier d’un parti qui pourra accepter les donations. En d’autres mots, votre épouse, sœur ou frère, vos voisins ou vos amis ne pourront pas financer votre campagne, à moins qu’ils ne remettent leurs contributions au trésorier du parti. Imaginez la mainmise que chaque parti aura sur les candidats. Bien entendu, si un candidat est riche, il pourra effectuer ses propres dépenses. Mais s’il ne l’est pas ? Cette loi créera donc deux catégories de candidats : l’une qui est riche et qui peut dépenser et l’autre qui est contrainte d’attendre que son parti lui fasse des faveurs en lui remettant de l’argent.

Pour toutes ces raisons, on estime que ce projet de loi ne peut être voté dans sa forme actuelle.

 

Q : Vous pensez qu’un « Select Committee » aurait pu aider à trouver un consensus ?

Définitivement ! Un consensus aurait pu être trouvé puisqu’on n’était pas loin du but. Le gouvernement a besoin d’une majorité de trois-quarts pour faire voter cette loi. Il lui fallait donc le soutien de l’opposition. Malheureusement, il a choisi de tuer ce projet de loi.

 

Q : Au nom de la transparence, une liste des donateurs ne s’avère-t-elle pas nécessaire ?

Absolument !

 

Q : Pourquoi contestez-vous donc la clause concernant les dons ?

Je suis totalement en faveur d’un registre où le nom du donateur et le montant de sa contribution sont enregistrés. N’oublions pas qu’aujourd’hui, il n’y a pas que le secteur privé qui finance les campagnes électorales, mais aussi des lobbies. Sans compter l’argent sale et le « money politics ». D’ailleurs, le rapport Lam Shang Leen a même fait état du financement, à coups des millions de roupies, d’un parti politique par un trafiquant de drogue. Un registre s’avère donc nécessaire.

Le point de discorde concerne plutôt l’accès à ces informations. Qui en aura accès et qu’en feront-ils avec ? On s’oppose catégoriquement à ce que le gouvernement, ait accès, directement ou indirectement, à ce registre car cela lui permettra de sanctionner les bailleurs de fonds de ses opposants politiques. Par contre, on est tout à fait d’accord pour que l’ « Electoral Supervisory Commission » (ESC) ou tout autre « investigating body » puisse faire une demande auprès d’un juge en chambre pour lui réclamer des informations en cas de soupçons de « money laundering », de corruption, ou d’autres délits.

 

Q : Cela ne risque-t-il pas d’alourdir les procédures en cas d’enquête ?

Mais la même procédure s’applique en cas où vous voulez obtenir des informations sur un compte en banque. Si, par exemple, vous voulez savoir si quelqu’un a versé de l’argent sale sur son compte. C’est le juge en Chambre qui décidera s’il faut dévoiler cette information ou pas, et ce après avoir pris tous les éléments en considération.

Si on applique ce même principe, les bailleurs de fonds auront au moins la garantie que cette information ne peut pas être utilisée contre eux. On est totalement en faveur de la transparence. Il faut, cependant, qu’il y ait des garde-fous pour empêcher que des partis n’utilisent ces informations contre leurs opposants politiques.

 

Q : Vous maintenez que l’État aurait dû financer en partie les partis politiques mais cela ne constitue-t-il pas un gaspillage des fonds publics ?

Y a-t-il une autre alternative ? Que se passera-t-il si le gouvernement ne finance pas une partie des dépenses ? Soit vous n’aurez que des candidats riches soit les candidats seront à la merci des lobbies qui financeront leur campagne. Ce qui nous ramènerait à l’émergence de deux catégories de candidats. Comme je l’ai dit, on ne parle pas de dépenses énormes, mais d’un financement minime qui permettra quand même aux candidats de se faire entendre.

 

Q : Ce projet de loi, quoique très attendu, ne risque-t-il pas de finir comme celui sur la réforme électorale ?

Dans les deux cas, le Premier ministre savait pertinemment bien qu’il aurait besoin du soutien de l’opposition pour que l’amendement constitutionnel puisse aboutir. Mais dans les deux cas, il a préféré se la jouer solo en écartant totalement l’opposition. La seule conclusion qu’on peut en tirer, c’est qu’il ne voulait pas réellement que ces deux projets de loi soient votés.

 

Q : Le Premier ministre a révélé, mardi, que des actifs non-stratégiques, dont la MauBank, la NIC et les Casinos, seront éventuellement vendus afin de réduire les dettes de l’État. Cette réponse vous a-t-elle surpris ?

Il y a avait un flou quant à cette mesure incluse dans le budget. Au moins, on sait maintenant qu’il s’agit de la MauBank, de la NIC et des Casinos. Le gouvernement, rappelons-le, a dû investir des milliards de roupies dans la MauBank et la NIC par sa propre faute. Il a mal géré le démantèlement de la Bramer Bank et de la BAI et les « assets » du groupe, que ce soit Courts, Iframac, Apollo Bramwell ou Britam Kenya, ont été vendus pour « dipain diber ».  Raison pour laquelle aussi le gouvernement a dû investir pour pouvoir rembourser les détenteurs du SCBG. Au final, ce sont les contribuables qui ont dû casquer les frais.

C’est tout à fait logique que le gouvernement vende ces actifs non-stratégiques afin de récupérer les fonds qu’il y a injectés. Mais les récupérera-t-il vraiment ? Bien que Roshi Bhadain avait fait état de l’intérêt de certaines compagnies internationales, – le nom de Hinduja avait même été évoqué dans la presse – rien n’a concrétisé.

Je suis surtout inquiet parce que, selon le budget, le gouvernement souhaite récolter Rs 3 à 4 milliards d’ici l’année prochaine. Or, ce montant est bien inférieur à celui qu’il a investi dans la MauBank et la NIC. Il ne faut surtout pas que les contribuables encaissent d’autres pertes.

 

Q : Et les actionnaires de la Bramer Bank dans tout cela ?

C’est cela le drame malheureusement. Le gouvernement a géré toute l’affaire BAI de façon catastrophique. La Bramer Bank était cotée en bourse et elle n’était même pas en faillite. Ces investisseurs qui détenaient des actions dans la Bramer Bank seront-ils remboursés suite à la vente de la MauBank et de la NIC ? Non ! Parce que cet argent sera utilisé pour payer les dettes de ces deux organismes. Les actionnaires, eux, demeurent les grands perdants.

Q : Le récent budget a-t-il eu un impact positif sur le climat des affaires, dont l’investissement ?

Franchement, les investisseurs n’attendent qu’un changement de gouvernement pour investir dans le pays. Il n’y a actuellement aucun gros projet du secteur privé dans le pays. Les seuls développements que vous voyez proviennent des investissements du gouvernement dans des projets qui coûtent d’ailleurs bien plus cher que prévu. Je pense bien sûr au complexe sportif de Côte d’Or dont le prix a doublé et qui n’est même pas prêt pour les jeux des îles.

 

Q : Cela veut-il dire que l’« Economic Development Board » (EDB) a failli dans sa tâche ?

J’étais toujours contre la mise sur pied de l’EDB qui, soulignons-le, regroupe le BOI, Enterprise Mauritius et la Financial Services Promotion Agency (FSPA). Mes craintes se sont avérées puisque l’EDB est devenu un nouveau BOI et il néglige complètement la promotion du secteur financier qui était auparavant assurée par la FSPA. La promotion du secteur manufacturier a aussi été une faillite totale. Je ne peux vraiment pas comprendre comment le directeur de cette instance a été choisi. Je ne comprends pas non plus comment il peut bénéficier d’un salaire qui nous coûte des millions de roupies sans qu’il ne donne des résultats concrets.

 

Q : L’ICAC, que vous avez l’habitude de dénoncer, semble avoir repris du poil de la bête…

L’ICAC fait tout sauf s’attaquer à la corruption. ‘Zotte pe rasse les dents dimounes, ramasse li chien zot camarade, pe servi loto pu fer cascade kuma Miami Vice en plein centre’. Nous savons tous que Maurice dégringole dans les indices de corruption au niveau international. Les rapports font état de népotisme et trafic d’influence. Où sont les rapports du FFC sur Sumputh et Choomka ? Ne s’agit-il pas de la corruption ? Mais pourquoi l’ICAC n’a pas encore bouclé ces enquêtes ? On ne le dira pas assez, l’ICAC n’a aucune crédibilité. Même Sir Hamid Moollan le reconnaît (ndlr : faisant référence à un entretien paru dans le magazine Weekly cette semaine). Cela veut tout dire. Ce qui est plus choquant, c’est que le gouvernement refuse de dévoiler  le salaire du directeur général de cette instance !

 

Q : Des membres du gouvernement, dont le Premier ministre lui-même, se sont récemment montrés très virulents contre le MMM. Est-ce à dire qu’il n’y a plus d’épisode de « koz-koze » ?

Il n’y a jamais eu de koz-kozé et je ne suis au courant d’aucune négociation entre le MMM et le MSM. Le MMM ira seul aux élections, pas parce qu’il le veut mais parce qu’aujourd’hui, une alliance avec Navin Ramgoolam n’est pas réalisable vu ses démêlées avec la justice. On ne peut pas non plus contracter une alliance avec ce qu’est devenu le MSM, avec à la traîne tous ses scandales.

Au niveau du MMM, nous finalisons notre liste de 60 candidats. Nous avons aussi des rencontres régulières avec les acteurs des différents secteurs de l’économie, dont des PME, des pêcheurs et des artistes. Nous travaillons sur notre programme électoral et nos mesures phares. Nous nous tenons prêts pour les élections qui se tiendront, selon nous, en décembre. D’ailleurs, que le gouvernement le veuille ou pas, l’Assemblée nationale sera dissoute en décembre.