- Le DG de l’organisme pourra poursuivre quelqu’un en justice, alors que seul le DPP en avait jusque-là le pouvoir
Le ‘Financial Crimes Commission Bill’ sera lu en première lecture à l’Assemblée nationale ce mardi 5 décembre 2023. Il concerne la mise en place d’une nouvelle entité pour mener des enquêtes sur des crimes en col blanc, de blanchiment d’argent et de corruption, entre autres. Il a été présenté au Conseil des ministres vendredi, et celui-ci a donné son aval pour son introduction à l’Assemblée nationale où il sera débattu avant d’être soumis au vote.
« The object of the Bill would be, inter alia, to provide for the establishment of the Financial Crimes Commission which would be the apex agency in Mauritius to detect, investigate and prosecute financial crimes, such as corruption offences, money laundering offences, fraud offences, the financing of drug dealing offences and any other ancillary offence connected thereto », peut-on lire en guise d’introduction.
Plusieurs lois devront être abrogées pour permettre à la ‘Financial Crimes Commission Act’ de voir le jour. Il s’agit de la ‘Prevention of Corruption Act’ (POCA), l’‘Asset Recovery Act’, la ‘Good Governance and Integrity Reporting Act’ et la partie II de la ‘Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act’. Avec cette nouvelle loi, plusieurs entités, dont l’ICAC, l’‘Asset Recovery Investigation Division’ (ARID), la ‘Financial Intelligence Unit’ (FIU), et l’‘Integrity Reporting Services Agency’ (IRSA) seront fusionnées en une seule, soit la FCC.
La FCC sera constituée d’un Directeur Général, d’un chairman et de 4 commissaires. Ces derniers seront nommés par le Président de la République, sur la recommandation du Premier ministre et après consultation avec le leader de l’Opposition. Ceux qui ont pris connaissance de cette nouvelle loi sont interpellés par les pouvoirs qui seront attribués au Directeur Général (DG) de l’organisme. En effet, selon la clause 11(3), le DG « shall, in the discharge of his functions and exercise of his powers, not be subject to the direction or control of any person or authority ». Un pouvoir qui lui conférerait, selon les experts légaux, les pouvoirs que seul le DPP détenait jusque-là.
Il aurait des pouvoirs de poursuite. En d’autres mots, il pourrait lui-même initier des poursuites en justice, sans devoir passer par le Directeur des Poursuites Publiques (DPP). Ce n’est pas tout. Il pourrait aussi résister à des demandes de caution en Cour. Or, selon la Constitution, seul le DDP est habilité à le faire jusqu’ici.
Navin Beekarry part favori comme futur DG
Son nom est cité avec insistance dans les rangs du gouvernement. L’actuel directeur général de l’ICAC serait le favori pour être nommé DG de la FCC. Connu pour sa proximité avec le gouvernement, c’est sous sa direction que l’ICAC avait changé de position dans l’affaire Medpoint, et ce deux mois seulement avant son audition devant les Law Lords au Privy Council. Ce qui avait surpris tout le monde dans le milieu judiciaire. Et confirmant, dans la foulée, que l’ICAC n’est qu’un instrument politique entre les mains du gouvernement de Pravind Jugnauth.
Qui plus est, des lieutenants de Navin Beekarry affirment déjà qu’ils feront partie de l’équipe de la FCC, car ils sont convaincus que ce sera le « boss » qui y sera nommé. D’ailleurs, les critères requis pour la nomination du DG semblent avoir été taillés sur mesure pour Navin Beekarry. Car outre le fait d’avoir été avocat, magistrat, juge, il devra aussi avoir « served in anti-corruption body at a senior level for a period of at least 5 years ». Ce qui lui donne un avantage certain, étant en poste à la direction de l’ICAC depuis juillet 2016.
Les bêtes noires de Beekarry à l’ICAC se préparent, eux, à faire leurs valises. Si les policiers retourneront automatiquement dans la force policière, d’autres enquêteurs à plein temps risquent, eux, de se retrouver sans emploi. Autre crainte exprimée au sein de l’ICAC, ce sont les cas qui sont en suspens actuellement à la commission anti-corruption. Plus d’une centaine de dossiers y font toujours l’objet d’enquêtes. « Quelle suite donner à ces dossiers et à qui soumettre ces dossiers à la FCC ? Comment porter ces affaires en Cour ? Et qui en assureront la poursuite ? ». Ce sont autant de questions que se posent certains officiers, qui ne cachent pas leur inquiétude.
Des contestations allant jusqu’au Privy Council
Des Senior Counsels, qui ont pris connaissance de l’ébauche de loi qui est en circulation, ont minutieusement examiné le dossier en question. Ils n’écartent pas la possibilité de la contester devant la Cour suprême et d’avoir même recours au Privy Council si besoin est. Ils évoquent la section 72 de la Constitution, qui parle des pouvoirs du DPP. En attendant, ils préfèrent attendre que l’affaire soit portée devant le Parlement avant de prendre une décision.