Harcèlement dans les établissements secondaires

Stop au ‘bullying’ !

Le ‘bullying’ en milieu scolaire n’est pas un phénomène inconnu. Toutefois, ce qui est moins connu, c’est le silence qui l’entoure, son ampleur, le fait qu’il est devenu plus dangereux avec l’avènement des réseaux sociaux et ses séquelles psychologiques, qui peuvent être graves pour les victimes. Sunday Times aborde ainsi ce sujet épineux pour mettre en lumière l’absence d’encadrement des victimes dans nos écoles et attirer ainsi l’attention des autorités.

La chape de silence qui entoure le ‘bullying’

Le ‘bullying’ peut revêtir plusieurs formes : insultes, menaces, intimidations, humiliations, exactions, agressions physiques, entre autres.

Un aspect du ‘bullying’, c’est que les victimes ont peur de dévoiler l’identité de celui ou de ceux qui les harcèlent. Le mal ronge les victimes mais elles gardent tout pour elle, par peur des représailles.

« C’est la peur d’être harcelées encore plus qui fait taire les victimes », nous explique Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children, dont les services reçoivent régulièrement les enfants qui viennent avec leurs parents pour dénoncer ce qu’ils subissent dans leurs écoles entre les mains de leurs bourreaux.

Selon Rita Venkatasawmy, les enfants qu’elle a reçus dans son bureau ne croient pas que parler va résoudre quoi que ce soit. Au contraire, ils redoutent que leur calvaire va s’aggraver. « J’ai eu une fille qui ne voulait plus retourner dans son école même si elle a fait beaucoup d’efforts pour avoir une place dans cette école. Elle m’a même dit de ne rien dire concernant son harcèlement quand je lui avais indiqué que je vais parler avec ses amies pour qu’il y ait un changement de comportement. Elle m’a dit que cela compliquera les choses bien que ce ne soit pas vrai », nous décrit notre interlocutrice.

Elle avance aussi qu’il y a des enfants qui sont percutés au sein d’un groupe quelconque mais qui ne veulent pas parler, de peur de ne pas être acceptés dans le groupe en question.

Elle explique qu’un enfant qui continue de rester silencieux continuera d’être harcelé, ce qui pourra affecter son éducation. Pour elle, il est ainsi important que les adultes qui entourent l’enfant sachent déceler si un enfant est victime de ‘bullying’.

Les causes du bullying’

Qu’est-ce qui explique le ‘bullying’ dans les écoles ? Il y a de multiples raisons à cela, selon le sociologue Ibrahim Koodoruth.

Il y a des enfants qui ont grandi dans un environnement hostile, où il y a beaucoup d’agressions, agressions qui peuvent revêtir plusieurs formes. Or, il y a fort à parier que ces derniers deviendront de futurs persécuteurs.

Un enfant peut aussi apprendre la violence à travers un film, ou à travers des images, qu’il va intérioriser comme modèle, perpétrant l’acte de violence qui y est dépeint sur d’autres enfants. « Il y a des enfants qui regardent des films avec des scènes de violence, et incapables de réfléchir à cela, ils préfèrent imiter ces scènes », analyse-t-il. Ainsi, tous les ‘bullies’ ne proviennent pas nécessairement de familles défavorisées.

Ibrahim Koodoruth nous décrit un autre phénomène : la ‘Peer Group Influence’, où le persécuteur, pour se faire respecter et légitimer par ses amis comme chef de bande, exerce une forme quelconque d’oppression sur un autre enfant.

Quand la victime devient bourreau

Rita Venkatasawmy explique que le persécuteur peut aussi souffrir intérieurement. Quelque part, il ne peut pas gérer ses émotions, qu’il compense en donnant une impression de force. Or, c’est juste une illusion de force. Dans la majorité de cas, le persécuteur a aussi besoin d’aide, selon Rita Venkatasawmy.

Elle explique ainsi qu’il y a de nombreux cas où les abuseurs ont eux-mêmes été violentés. « Souvent, quand on va en profondeur dans sa famille ou parmi ses proches, on peut voir qu’il souffre », soutient-elle.

Cependant, Rita Venkatasawmy est explicite que tout cela ne justifie pas qu’un enfant persécute d’autres enfants juste parce qu’il est lui-même victime de persécution. « Ce n’est pas parce qu’on a vécu des brimades que cela donne le droit de faire souffrir les autres », dit-elle.  

« Il faut ainsi avoir un encadrement pour démontrer à l’abuseur qu’on va l’écouter et qu’on va reconnaitre sa souffrance, car il est lui aussi victime quelque part, mais aussi pour lui faire comprendre qu’il ne peut pas harceler les autres », préconise-t-elle.

Le manque d’encadrement dans nos écoles

Rita Venkatasawmy déplore le manque d’encadrement dans nos écoles. Selon elle, si les enfants sont bien encadrés par les adultes, ils auront plus de force pour briser leur silence.

Selon Ibrahim Koodoruth, pour chaque cas, il faut connaître les actions qu’il faut prendre dans un premier temps pour s’assurer que les chantages, les menaces, les exactions, les sévices et les autres formes de ‘bullying’ que l’enfant subit s’arrêtent. Dans ce sens, l’environnement scolaire doit être revu.

Le sociologue maintient toutefois qu’on ne peut blâmer les enseignants de fermer les yeux car il faut être formé pour pouvoir faire le suivi d’un enfant qui est victime de ‘bullying’.

Ibrahim Koodoruth demande ainsi qu’il y ait au moins un psychologue en permanence dans chaque collège. Ce dernier pourra alors encadrer et former les enseignants afin que ces derniers puissent au moins faire un suivi. Le psychologue pourra alors intervenir directement dans les cas les plus graves. Avec un tel système, l’école et la famille pourront donner le soutien nécessaire à l’enfant, avec l’encadrement du psychologue, pour que l’enfant puisse retrouver son équilibre normal.

Selon Ibrahim Koodoruth, actuellement, avec un seul psychologue par zone éducative, ce dernier a sous sa responsabilité 4 ou 5 écoles. Dans ces conditions, il est impossible pour lui de faire un véritable suivi de l’enfant. « C’est seulement quand il y a un problème qu’on envoie un psychologue, et cela pour même pas deux heures. Ce dernier vient ainsi à l’école en une fois, soumet un avis, et repart », dit-il.

Des conséquences graves

Pour le sociologue Ibrahim Koodoruth, le ‘bullying’ dans les écoles a toujours existé et existera toujours. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Selon lui, « Ce phénomène ne s’est ni aggravé ni diminué, c’est peut-être sa forme qui a simplement changé ». Ainsi, avec l’avènement des réseaux sociaux, où l’on peut partager les chantages et autres menaces, le phénomène du ‘bullying’ a pris une autre forme de nos jours.

Quels sont les effets du ‘bullying’ sur la victime ? Selon Ibrahim Koodoruth, le ‘bullying’ a des effets à court et à long termes.

À court terme, l’enfant peut céder au chantage de ces persécuteurs, ou bien il cherchera des stratégies pour s’en sortir. Il peut être amené à détester l’école et à développer des mécanismes de défense où il se méfiera des personnes.

Les effets à long terme sont plus graves : le psyché de l’enfant sera marqué à vie si ce dernier n’obtient pas les conseils et les soins qu’il faut. « Ce sera un enfant traumatisé. A chaque fois que les événements traumatisants réapparaissent dans sa vie, sous de nouvelles situations, il aura tendance à revenir sur son passé. Vous allez donc avoir un adulte déséquilibré. On ne réalise pas pourquoi il change d’humeur car les images des évènements qu’il a connus dans son enfance lui reviennent en tête », explique Ibrahim Koodoruth.

Plus grave encore, il est possible que certains tomberont dans la dépression ou tenteront de se suicider.

Quid du rôle de l’Ombudsperson for Children ?

Il faut savoir que l’Ombudsperson for Children a un rôle clé à jouer en ce qui concerne le ‘bullying’, nous indique Rita Venkatasawmy.

PHOTO D’ILLUSTRATION

L’Ombudsperson for Children est ainsi habilitée à recevoir les plaintes des parents ou des enfants quand l’école n’a pas pris les plaintes des élèves au sérieux. Elle peut effectuer une enquête pour savoir pourquoi la plainte d’un enfant n’a pas été prise en compte par la direction de l’école. « Un élève dont la plainte a été ignorée par l’école peut venir dans le bureau de l’Ombudsperson for Children pour faire rétablir ses droits sous la loi », souligne Rita Venkatasawmy.

Dans certains cas, notamment quand la victime n’a pas eu l’encadrement qu’il fallait, les services de l’Ombudsperson for Children interviennent dans l’école pour rétablir des relations saines entre l’élève, ses amis et les adultes autour d’eux.

Rita Venkatasawmy nous explique que son bureau mène actuellement une campagne de sensibilisation auprès des jeunes et des enseignants dans les collèges, pour leur expliquer qu’il faut toujours être vigilants face à un enfant qui ne travaille pas bien à l’école. En effet, il se pourrait que ce n’est pas parce que ce dernier n’a pas la capacité académique requise, mais plutôt qu’il fait face à des problèmes émotionnels. « La sensibilisation doit être continue et non pas en ‘one-off’ », souligne toutefois Rita Venkatasawmy. « Cela doit être un combat de tous les jours. »

Hors-Texte 1

Une mère raconte le calvaire de sa fille


« Ayoo get cheveux, check chaussette, ayoo pe senti pi, ayoo li gros.», C’est comme ça que Maryam*, en Grade 11 dans un collège de la capitale, est harcelée par une fille ou par d’autres élèves, et cela régulièrement.

Sa mère, Zubeida*, nous raconte : « Ma fille était amie avec ses persécutrices jusqu’à l’année dernière. Ces dernières étaient même venues à l’anniversaire de ma fille. Je ne sais pas ce qui a pu se passer entre elles. Mais depuis, il y a une fille parmi qui harcèle ma fille à chaque fois qu’elle la voit, pour que cette dernière lui réponde. Mais j’ai déjà dit à ma fille qu’elle partait à l’école pour recevoir une éducation et non pour se bagarrer ».

Zubeida peut savoir que Maryam a été harcelée quand elle rentre chez elle, bien que cette dernière ne raconte pas tout à sa mère. Ce n’est que quand elle ne peut plus subir ces moqueries qu’elle vide son sac.

La maman nous confie qu’une scène s’est déroulée durant la semaine non loin du bureau de l’adjoint du recteur, alors que les abuseuses harcelaient Maryam. « Ma fille, ne pouvant plus supporter cela, avait commencé à crier. L’adjoint du recteur l’a entendu et a parlé avec les filles », nous dit-elle.

Avant les vacances, Maryam avait confié à Zubeida qu’elle ne continuerait plus ses études dans cette école. Avec la rentrée scolaire, elle croyait que ses persécutrices auraient changé leur attitude, mais ces dernières persistent à faire de Maryam leur tête de turc. Zubeida a même entamé des démarches auprès d’une autre école pour faire transférer sa fille. Là-bas, on lui a demandé que Maryam redouble le Grade 10 car le collège ne prenait pas d’admissions pour le Grade 11 actuellement.

Zubeida ne compte pas rester les bras croisés. Si cela continue, elle compte prendre contact avec l’école pour avoir une rencontre avec les parents de l’élève qui harcèle sa fille. « Je ne peux pas continuer à accepter que ma fille soit traumatisée à ce point », nous dit-elle.

*Prénoms fictifs

Hors-Texte 2

Les cas de ‘bullying’ sont « grossly underreported »

Rita Venkatasawmy, l’Ombudsperson for Children, est consciente que ses services n’enregistrent qu’une petite partie de tous les cas de ‘bullying’. Elle fait ainsi ressortir que ces cas sont « grossly underreported ». « Il y a beaucoup d’enfants qui sont victimes de ‘bullying’ dans les écoles mais les statistiques ne traduisent pas la réalité », affirme notre interlocutrice.

Hors-Texte 3

Même l’ONU reconnait la gravité de ce phénomène…

En 2014, l’Assemblée générale des Nations-Unies avait adopté la résolution 69/158, dans laquelle elle reconnaissait formellement le problème du ‘bullying’ dans le monde, notamment en milieu scolaire, et son impact sur les droits des enfants, ainsi que ses effets à long terme sur les victimes.

La résolution encourageait les États membres de l’ONU à prendre les mesures appropriées pour prévenir et répondre à la violence et l’intimidation contre les enfants dans les écoles, sous toutes leurs formes.  

Elle avait aussi été demandé au Secrétaire-général de l’ONU de présenter un rapport sur ce sujet à la prochaine séance de l’Assemblée générale.

SARAH KHODADIN