Harish Chundunsing

« Les prochaines élections générales prendront valeur de referendum sur plusieurs sujets »

  • « Depuis quelque temps, la SST s’est calmée et on n’assiste plus à des arrestations spectaculaires et hautement médiatisées. De plus, le récent cas de corruption auquel un des anciens éléments est mêlé a sévèrement écorné l’image de cette unité »

Il a fait un long parcours dans la presse. D’ailleurs, il y garde toujours un pied. Harish Chundunsing revient, dans l’entretien qui suit, sur son arrestation par la SST, les humiliations qu’il a subies, sa confiance dans le bureau du DPP, le fonctionnement de l’unité dirigée par l’ASP Jagai, le tant soi peu « solidarité » de la presse envers lui, tout en résumant la situation politique…

Zahirah RADHA

Q : Les charges qui pesaient contre vous à la suite de votre arrestation par la SST le 9 mai dernier ont été abandonnées en Cour de Curepipe mardi. Vous êtes sans doute soulagé. Vous attendiez-vous à ce dénouement ?

Je me souviens avoir déclaré au lendemain de mon arrestation et inculpation que je faisais confiance au Bureau du DPP. Les faits m’ont donné raison. Contrairement à la SST où un ASP fait la loi et agit selon ses caprices, au bureau du DPP, c’est un panel d’hommes de loi chevronné qui réfléchissent et qui décident, en analysant strictement les faits. C’est pourquoi j’étais confiant dès le départ que cette affaire allait connaître le dénouement qu’elle a connu lundi dernier au tribunal de Curepipe.

Q : Mais comment avez-vous vécu ces cinq derniers mois ?

Ce n’est pas trop amusant de vivre avec une épée de Damoclès suspendue sur votre tête et d’être en liberté conditionnelle.Je considérais cette caution comme une humiliation. En fait, j’ai vécu quatre grosses humiliations. Premièrement, la caution elle-même. Deuxièmement, la perquisition de ma demeure. Troisièmement, les empreintes digitales qu’on m’a prélevées et quatrièmement, de voyager avec un ‘restricted passport’ alors que je ne suis pas un criminel !

D’ailleurs, c’est pour cela que j’envisage des poursuites au civil contre le Commissaire de police, l’ASP Ashik Jagai et l’État pour réclamer réparation. Je regrette toutefois que le CP et l’ASP Jagai jouissent d’une protection légale au terme de la ‘Public Officers’ Protection Act’ (POPA). C’est inacceptable que les contribuables devront casquer pour leurs écarts !

Q : En tant que journaliste, je suppose que ce n’est pas la première fois que vous avez été inquiété, d’une façon ou d’une autre, par la police pour vos articles et publications. Qu’y avait-il de différent dans la démarche de la SST ?

Il est clair pour moi que mon arrestation n’avait rien à voir avec mon poste concernant le ‘tampering’ (tripotage) du véhicule garé devant le domicile de Vimen Sabapathi. J’avais posé une question : serait-ce un autre cas de ‘planting’ ? Depuis quand le simple fait de poser une question est-il devenu un délit ?

La vérité, c’est que mes posts en général gênaient certains au plus haut niveau du gouvernement. D’où la décision prise de m’arrêter. Il faut savoir qu’un proche du pouvoir -un Judas – ne cessait de me harceler à chaque fois que je postais quelque chose qui les gênait.

Dois-je vous rappeler que l’ASP Jagai voulait absolument que je lui balance ma source. C’est pour cela qu’il voulait à tout prix mettre la main sur mon téléphone cellulaire, quitte à faire perquisitionner ma demeure !

Q : Le non-lieu a surtout été prononcé en raison du manque d’éléments ou de preuves solides pour soutenir une condamnation contre vous. Pensez-vous avoir été victime d’un abus policier basé sur le système de charges provisoires ?

Bien sûr. N’importe quelle personne ayant un tant soit peu de jugeote aurait vu que je n’avais commis aucun délit. Mais l’orgueil surdimensionné de certains à la SST avait pris un sale coup et il fallait donc me punir pour cela. Les heures que j’ai passées dans les locaux de la SST les 3 et 4 mai derniers m’ont permis de prendre la mesure des abus de cette unité. Je dois peut-être rappeler à vos lecteurs ce que l’ASP Jagai m’avait répondu quand je l’avais prévenu que « la roue la tourner ». « Oui mais frein la dans mo la main », m’avait-il répondu.

Q : Vous avez été, si je ne me trompe pas, le premier et seul journaliste à avoir été ciblé par la SST jusqu’ici. Cela a-t-il été fait exprès, selon vous, pour intimider la presse et la population ?

Je n’ai aucun doute qu’en m’arrêtant, la SST avait voulu faire passer un message aux journalistes et aux opposants du régime quant au sort qui les attendait.Je dois dire que pendant que je me trouvais en face de l’ASP Jagai, il ne cessait de répéter que j’étais journaliste à l’Express.

Q : Il n’avait donc pas fait son « homework » comme il le fallait ?

Et comment ! D’ailleurs, il ne voulait pas entendre mes protestations.À un certain moment, il m’a même dit que j’étais victime de « ou la bouche ». Autant pour le délit que j’étais censé avoir commis !

Q : J’espère quand même que vous avez obtenu le soutien de vos confrères de la presse puisque c’est quand même impensable ce que vous avez vécu pour un prétendu délit lié à « ou la bouche »…

Soutien de mes confrères ? Pas tous. Le directeur de La Sentinelle, Nad Sivaramen, avait consacré un édito à mon arrestation tandis que les autres se sont contentés de rapporter mon arrestation et ma libération le lendemain. Il n’y a eu aucune autre prise de position condamnant l’action de la SST contre moi.

Q : Espérons qu’ils rectifient le tir. Puisqu’on évoque la presse, vous avez été très dur récemment envers la MBC et l’IBA. Peut-on en connaître les raisons ?

La MBC et l’IBA sont pour moi bonnet blanc et blanc bonnet. Il y a récemment eu collusion entre ces deux organismes pour salir la réputation de l’ex-journaliste de la MBC, Manisha Jooty, suite aux propos qu’elle avait tenu lors d’une émission que j’avais animée sur Top FM.

Manisha Jooty avait déclaré qu’elle avait été menacée par Pravind Jugnauth au cours d’un meeting à Rose-Belle lors de la campagne électorale de 2014. La MBC a immédiatement porté plainte auprès de l’IBA. L’institution dirigée par Ajay Ramphul s’est exécutée presque immédiatement et a censuré Manisha Jooty sans avoir recueilli sa version des faits. Ce qui est contraire aux règles de « natural justice » !

Face à une telle injustice, je ne pouvais pas me taire et j’ai dénoncé avec force cette collusion malsaine entre deux organismes paillassons qui sont au service du régime !

Q : Revenons à la SST si vous le permettez. Quel regard portez-vous sur cette unité aujourd’hui ?

Vous savez, j’ai archi dit que la SST fonctionne comme un « one-man army ».Prenez mon cas. La SST était à la fois plaignant et enquêteur.Trouvez-vous cela normal ?C’est quand j’ai fait ressortir cette ineptie qu’ils ont transféré mon dossier au CCID.

Ashik Jagai est un bon « operation guy ». Rien de plus. Il n’atteindra jamais le niveau des anciens limiers de l’ADSU comme Cyril Morvan, Vedanand Reesaul, Dharma Nageeah, Cyril Maistry et Ramparsad Sooroojbally, pour ne nommer que ceux-là !

Je note toutefois que depuis quelque temps, la SST s’est calmée et on n’assiste plus à des arrestations spectaculaires et hautement médiatisées. De plus, le récent cas de corruption auquel un des anciens éléments est mêlé a sévèrement écorné l’image de cette unité.

Q : Ne dit-on pas que cette unité bénéficie de la bénédiction en haut lieu… N’est-ce pas au final le pouvoir du jour qui est à blâmer dans toutes ces dérives policières dont nous sommes témoins ces derniers temps ?

Certainement, l’ASP Jagai n’aurait pas pu agir comme il le fait s’il ne bénéficiait pas de la bénédiction en haut lieu. D’ailleurs, Akil Bissessur, après sa première arrestation, n’avait-il pas révélé la conversation téléphonique que Jagai avait eue avec une voix féminine pour rendre compte de l’opération menée chez lui quelques minutes auparavant ? Jagai n’a jamais réagi face à cette affirmation de Bissessur.

Q : Imaginez si ce gouvernement est réélu aux prochaines élections, que va-t-on devoir endurer encore ?

Moi, je pense que les prochaines élections générales prendront valeur de referendum sur plusieurs sujets. Entre autres, le renvoi ‘sine-die’ des élections municipales, la propagande honteuse et infecte de la MBC en faveur du MSM, les dérives de la SST, la corruption, la fraude, le meurtre non-résolu jusqu’ici de l’agent orange Soopramanien Kistnen, les décès suspects de Pravin Kanakiah et de Mme. Mooniaruth, les faveurs accordées à Jean-Michel Lee Shim pour ce qui est de l’organisation des courses, l’allocation des terres de l’État aux protégés du régime, dont Avinash Gopee, et j’en passe.

Le moment venu, il appartiendra à la population de faire le bon choix. Mais je ne peux m’empêcher de noter que depuis l’officialisation de l’alliance PTr-MMM-PMSD, les observateurs ont noté qu’un vent de panique souffle au Sun Trust Building. Pour preuve, les tracasseries que la police et les collectivités locales ont fait subir aux dirigeants de cette alliance.