Interview : Parvez Dookhy, avocat

Affaire Kistnen : « C’est parti pour un meurtre non-élucidé !

Alors que le jugement de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath est attendu dans l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen, l’avocat Parvez Dookhy revient sur cette affaire qui a marqué le pays pendant presqu’une année. Mais notre interlocuteur estime que le meurtre sera néanmoins non-élucidé car il reviendra éventuellement à la police de reprendre l’enquête en main…

Zahirah RADHA

Q : L’enquête judiciaire sur la mort de Kistnen a été bouclée cette semaine. En tant qu’observateur indépendant, quels sont les points saillants que vous retenez de cette affaire ?

L’enquête dirigée par une professionnelle du droit, une magistrate, a surtout démontré que les conclusions de la police à l’effet que la mort de Kistnen relevait d’un suicide sont plus qu’une faute et pourraient relever d’une complicité criminelle. Il y a eu, à tout le moins, des dysfonctionnements, une incompétence, un manque de savoir-faire, un manque criant de professionnalisme et surtout d’indépendance face au pouvoir.

Q : Une enquête judiciaire peut-elle déboucher sur des sanctions à l’encontre de ceux qui ont fauté ou tenté de ‘mislead’ l’investigation en cours ?

La question de la sanction est une question de volonté. Mais si on part du principe qu’il s’agit d’un ‘cover-up’, l’idée de la sanction serait difficile à mettre en œuvre contre l’actuel régime. Cette affaire est aussi une illustration du pourrissement du régime, des institutions et en particulier des organes d’enquête.

Q : N’y a-t-il pas une crainte que l’affaire traînerait encore malgré le verdict de la cour, surtout si la police est éventuellement appelée à ré-enquêter dans cette affaire ?

Tout sera reparti à zéro, « back to square one ». Il reviendra éventuellement à la police de reprendre l’enquête, avec malheureusement ses incohérences et ses incompétences, etc. Il n’y a pas de « partie civile » à Maurice, c’est-à-dire, la victime, en l’occurrence représentée par l’épouse de Kistnen, ne peut suivre l’enquête et demander des actes d’investigation, entre autres. Je crains que la police, au-delà de quelques mises en scène très médiatisées, ne soit nullement efficace et effective au final. Hélas, c’est parti pour un meurtre non-élucidé, même si tout le monde peut avoir son opinion, sa petite idée sur les différents acteurs du crime : le commanditaire, l’auteur du crime et les complices nombreux qui ont apporté leur concours.

Q : N’êtes-vous pas trop dur envers la police ?

C’est évident que la police fera ce qu’elle sait faire : bâtir un dossier qui ne tient pas la route, avec ses failles et ses faiblesses, de sorte que les poursuites ne puissent qu’aboutir à un non-lieu, à ce que l’affaire soit éventuellement rayée et que l’affaire ne soit pas jugée sur le fond.

Q : À la lumière de l’affaire Kistnen, pensez-vous qu’il y a un dysfonctionnement de la police ou s’agit-il plutôt d’une emprise de la politique sur cette institution ?

Il y a un problème bien structurel. La police, en tant qu’organe, est un cocktail explosif : il y a un manque de compétence (pratiquement personne n’a une maîtrise suffisante des questions juridiques au sein de la police), un manque de maîtrise technique et scientifique dans l’analyse et dans les recherches, un manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et un manque de moyens. Dans tout cela, notre droit est trop ancien, archaïque, inadapté aux réalités mauriciennes et contemporaines. Les pouvoirs publics n’ont pas été capables de réformer, de faire évoluer notre système de police et de justice. La machinerie policière est non productive, hélas !

Q : Cette affaire pourrait-elle avoir des répercussions politiques, surtout au no. 8 ?

L’affaire Kistnen a pu, au fil des audiences, démontrer que les élections ne se sont pas déroulées dans un respect total de peu des règles qui l’encadrent. Notamment sur les dépenses électorales. Malheureusement, nous n’avons pas une instance qui peut sérieusement et effectivement contrôler les dépenses réelles des candidats et en l’occurrence à la circonscription n° 8.

Q : En parlant du no. 8, un jugement est aussi attendu concernant la pétition électorale de Suren Dayal. Ce jugement sera-t-il déterminant sur le plan politique ?

Le jugement de la Cour pourrait soit retenir les thèses d’irrégularités et si elles sont importantes, la Cour appréciera si elle doit invalider l’élection. Soit la Cour affirmera qu’il n’y a pas eu d’irrégularités ou qu’elles sont minimes et n’ont pu avoir d’influence sur l’issue des résultats électoraux. Bien entendu, un appel au Conseil Privé sera une échappatoire pour l’une ou l’autre partie une fois le jugement rendu. Si les requêtes d’invalidation des élections au no. 8 sont rejetées, il n’y aura pas de grand changement sur le plan politique. Par contre, une invalidation des élections aura, bien entendu, des répercussions fortes.