Le 8 mars a était la Journée internationale de la Femme. Dans ce contexte, Sunday Times a compilé un dossier sur ‘La Femme mauricienne et la politique’, qui va aborder les aspects majeurs de cette thématique. Nous avons pris l’avis de Roukaya Kasenally, professeure en droit, Ameenah Gurib-Fakim, ancienne Présidente de la République, Stéphanie Anquetil, députée, et Adarshini Balluck, conseillère de village. Nos interlocutrices ont abordé l’importance d’une participation accrue des femmes dans la vie politique de Maurice, et maintiennent que le renouveau dont tout le monde parle en ces temps ne pourra se faire sans elles.

Roukaya Kasenally, professeure en médias et politique

Roukaya Kasenallay« Aucun engagement des partis politiques à recruter plus de femmes »

Roukaya Kasenally est professeure en médias et politique. Elle fait remarquer que suite aux élections générales de 2019, 20 % des parlementaires sont des femmes. Cela représente une différence par rapport aux élections générales de 2014, où seulement 11,6 % des députés étaient des femmes (y compris à travers le ‘Best Loser System’).

 

Une autre observation intéressante est que, dans le groupe actuel de femmes parlementaires, un certain nombre d’entre elles ont été élues comme députées pour la première fois.

« Cela dit, nous ne devons pas simplement nous préoccuper du nombre ou du pourcentage, qui passe de 11,6 à 20 %, mais on doit être tout aussi attentifs à ce que font ces femmes parlementaires. Est-ce qu’elles utilisent leur siège pour promouvoir un agenda en faveur du genre féminin ? Promeuvent-elles une politique propre et éthique, ou simplement suivent-elles aveuglément la ligne de leur parti ou de leur leader ? », souligne Roukaya Kasenally.

Autre chose intéressante à noter est la récente mise en place de plateformes politiques dirigées par des femmes, telles qu’Idéal Démocrate, selon les propositions de l’ancienne députée Nita Deeparlsing.

Pour Roukaya Kasenally, dans le sillage des récentes marches de protestation citoyenne et de la création de nouvelles plateformes citoyennes, que pour tout renouveau ou changement, il est impératif que les voix des femmes soient prises en compte. « Les femmes ne peuvent plus être de simples spectatrices, ou utilisées comme des accessoires », affirme-t-elle. Il faudrait ainsi une prise de conscience des partis politiques traditionnels.

« Je crois que le plus grand obstacle qui existe pour une plus grande participation et représentation des femmes en politique est l’absence d’engagement de la part des partis politiques et des dirigeants politiques à recruter plus de femmes », déclare la professeure en droit.

Ainsi, selon elle, il ne faut pas oublier que la plupart du temps, c’est la prérogative des chefs de parti de décider et d’attribuer les tickets. Donc, pour Roukaya Kasenally, le point de départ est l’engagement du chef de parti.

Le deuxième problème est d’avoir le mécanisme nécessaire qui puisse garantir la participation et l’implication des femmes en politique. « À cet effet, nous pourrions penser à l’introduction d’un quota relatif au genre, pour stimuler la participation des femmes en politique. Un certain nombre de pays l’ont fait avec un certain succès », soutient-elle.

Une inclusion inadéquate de la femme mauricienne en politique

Parlons politique sur le plan local. En 2019, selon Statistics Mauritius, le nombre de femmes dans le pays est de 639 544, contre 626 167 hommes, soit une différence de 13 377. Mais malgré cela, inclut-on la femme adéquatement dans la politique ? Quand on voit qu’il y a seulement 14 femmes qui siègent au sein de l’Assemblée nationale sur 70 députés, la réponse est claire : non !

Au sein du gouvernement, très peu de femmes ont été choisies comme ministres. Nous avons Leela Devi Dookun-Luchoomun en tant que ministre de l’Éducation, Fazila Jeewa-Daureeawoo comme ministre de l’Intégration sociale et Kalpana Devi Koonjoo-Shah comme ministre de l’Égalité des genres et du bien-être de la famille.

En ces temps de marche citoyenne, où l’on réclame le renouveau et le changement en politique, on ne pourra s’empêcher de remarquer qu’à aucun moment, il n’a été fait mention d’une meilleure inclusion des femmes en politique.

Mais comment faire du changement et de renouveau sans impliquer plus de femmes ?

Les élues qui siègent au Parlement, y compris trois ministres. Elle ne sont que 13, alors que le Parlement compte 70 députés.
Les élues qui siègent au Parlement, y compris trois ministres. Elle ne sont que 13, alors que le Parlement compte 70 députés.

 

Ameenah Gurib-Fakim, ancienne présidente de la république

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« Une femme qui est arrivée au sommet trouvera d’autres femmes parmi ses détracteurs ! »

L’ancienne Présidente de la République est d’avis que les femmes actuellement n’ont pas le choix que de jouer selon des règles dictées par les hommes. Elles ont ainsi besoin de faire preuve de résilience, de force, de persévérance, et d’avoir le soutien de leur famille. Elles doivent développer une carapace pour pouvoir gérer les assauts du monde brutal de la politique.

Selon elle, la diabolisation des femmes est désormais devenue monnaie courante, grâce au cyberespace. Cela pourrait être la raison pour laquelle les femmes ont tendance à se détourner du monde de la politique.

« Pourtant, nous savons à quel point il est essentiel d’avoir des femmes au pouvoir afin que les politiques élaborées soient adaptées aux objectifs de la famille, de la société et du pays dans son ensemble », souligne-t-elle.

En ce qui est du monde du travail, les femmes qui ont atteint les échelons les plus élevés de nos institutions ont normalement réussi à le faire grâce à un travail acharné et à leur mérite. « L’approche des femmes dans son équipe est différente de celle d’un homme. Elle a tendance à être plus ‘pastorale’ dans son approche », indique-t-elle.

« Cela dit, lorsqu’une femme a atteint la position la plus élevée dans le domaine qu’elle a choisi, elle trouvera d’autres femmes parmi ses détracteurs ! », estime Ameenah Gurib-Fakim.

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Stéphanie Anquetil, députée (PTr)

stephanie anquetil« Les femmes seront les actrices du renouveau politique »

Stéphanie Anquetil nous explique que face aux nombreux dysfonctionnements de la démocratie dans notre pays ces derniers temps, une incroyable défiance du système s’est installée et la population exige un renouveau politique, c’est-à-dire un changement profond du processus politique.

« L’heure du vrai renouveau dans la politique a sonné », déclare Stéphanie Anquetil. « Chaque formation politique aura la responsabilité de non seulement rajeunir son équipe, mais aussi et surtout d’assurer une très bonne représentation des femmes sur leur liste de candidats. »

En politique, aucun poste ne devrait être réservé qu’aux hommes, et il faut en finir avec les seconds rôles accordés aux femmes, poursuit-elle. « Si nous voulons bâtir une société plus juste et équitable, il est impératif de faire plus de place aux femmes, que ce soit au Parlement, dans nos municipalités, dans les Conseils de districts et dans les conseils d’administration », maintient-elle.

Elle devait citer Hilary Clinton, qui avait dit : « Les femmes constituent le plus grand réservoir de talents inexploités au monde.»

Un courant moderne dans le monde parle de parité en politique. Comment voit-elle cette parité ? « La parité ne doit être uniquement sur la liste des candidats mais aussi en termes de responsabilités. Les hommes et les femmes doivent travailler ensemble pour les décisions concernant le pays », dit-elle.

Avec 14 femmes sur 70 parlementaires, l’île Maurice est parmi les plus mauvais élèves en ce qui concerne la représentation féminine au Parlement, alors que les femmes représentent plus de 50 % de la population. Beaucoup de pays africains nous ont devancés, dont parmi le Rwanda, qui a même dépassé certains pays européens. Le constat est que les Rwandaises assument ainsi de grandes responsabilités et exercent donc une grande influence.

« Nous avons besoin d’un nouveau système électoral pour une représentation plus équitable. D’ailleurs, tous les partis politiques sont d’accord pour le faire. Les femmes auront définitivement un grand rôle dans le renouveau politique, et la politique ne sera plus une affaire d’hommes. Les femmes seront les actrices du renouveau politique », dit-elle

 

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Adarshini Balluck, conseillère de village

Adarshini Balluck« Les femmes ont un pouvoir extraordinaire dans la famille ; pourquoi pas au niveau national ? »

Adarshini Balluck, qui a été fraîchement élue comme conseillère du village de 16e Mille, estime que les femmes doivent avoir leurs droits, et leurs paroles doivent être prises en compte.

Cette jeune femme dit être témoin comment les anciennes parlementaires telles que Sheila Bappoo et Malini Sewocksing ont fait entendre leurs voix, alors qu’elles étaient engagées dans une lutte qui n’était pas apprécié par certains hommes.

Elle revient en arrière, à l’époque où elle faisait campagne durant les élections villageoises. Elle affirme qu’elle avait reçu des menaces. Quelques habitants ont essayé de la faire comprendre que la place de la femme est au foyer : « To ene femme, ki to pe rode sanze pei ? Alle maryer, reste dans lakaz, fer louvraz !» La jeune femme n’a toutefois pas baissé les bras, et elle a été élue en troisième position durant les élections.

Adarshini Balluck estime que les femmes ont beaucoup plus de patience que les hommes. « Les fruits des travaux des femmes sont beaucoup plus juteux que ceux des hommes », lance-t-elle.

Elle est d’avis que les femmes ont un pouvoir extraordinaire, d’abord en tant qu’épouse et mère. Les femmes ont ainsi diverses responsabilités dans la maison, et elles ont tendance à exercer un contrôle sur le budget de la maison, entre autres, chose que beaucoup d’hommes ne peuvent pas faire. Ce qui indiquerait, selon elle, que les femmes peuvent assumer des postes clés dans le pays, à part le portefeuille ministériel de l’Égalité des genres et du bien-être de famille. « D’ailleurs, c’est mon plus grand vœu, de voir les femmes dans des postes-clés dans le pays car je sais qu’elles vont faire de leur mieux, et il est grand temps de changer cette mentalité de piétiner les femmes. »

La jeune femme devait affirmer que les femmes occupant des postes-clés vont avoir la même considération pour le pays comme pour leurs enfants. « D’ailleurs, nous appelons la terre de Maurice ‘Motherland’, et non pas ‘Fatherland’ », conclut-elle.

 

Neevedita Nundowah