La place de la femme dans la société

Le ‘glass ceiling’ qui empêche les femmes d’atteindre un certain niveau

Depuis des décennies, les femmes se battent pour avoir les mêmes droits que les hommes, mais la disparité entre les genres existe bel et bien. Les initiatives en faveur des femmes ont été légion ces dernières années, et académiquement, les femmes font généralement mieux que les hommes mais pourtant, les discriminations perdurent. Il est indéniable que d’énormes progrès ont été réalisés, que ce soit sur le plan éducatif, dans le monde du travail, en affaires et dans la politique. Mais il semble que les femmes se heurteront toujours à cet invisible ‘glass ceiling’ qui les empêche d’atteindre une réelle parité avec les hommes.

La disparité à Maurice en chiffres

Selon le ‘Global Gender Gap Index’ (GGI) du ‘World Economic Forum’, en 2020, Maurice était à la 115e position sur 153 pays. D’ailleurs, Maurice a perdu sa 109e place en 2018 pour atterrir à la 115e place en 2019. Ci-dessous, quelques chiffres puisées de Statistics Mauritius, qui expliqueraient que malgré d’énormes avancées en ce qui concerne la parité, nous sommes encore à la traine dans quelques domaines.

  • Selon les données de Statistics Mauritius, en date du 19 juillet dernier, en 2020, il y avait 639 712 femmes à Maurice, contre 626 028 hommes.
  • Au niveau du Primary School Achievement Certificate (PSAC), les filles font mieux que les garçons. En 2020, le pourcentage de réussite chez les filles était de 79,2 %, contre 68,7 %pour les garçons.
  • En 2020, 7 100 filles avaient réussi aux examens du School Certificate (SC) ou du Higher School Certificate (HSC) contre 6 700 garçons.
  • Toujours selon Statistics Mauritius, l’inscription dans l’enseignement supérieur, que ce soit pour les filles ou les garçons a augmenté au fil du temps, mais avec un écart grandissant en faveur des filles. Le taux d’inscription dans l’enseignement supérieur (‘Gross Tertiary Enrolment Rate’ (GTER)), est passé de 16 % en 2000 à 55,5 % en 2019 chez les femmes, et de 14,1 % à 42,6 % chez les hommes pendant la même période. Par conséquent, plus de femmes que d’hommes sont inscrites dans des établissements d’enseignement supérieur.
  • 22 % des femmes possèdent des qualifications tertiaires contre 17,5 % des hommes.
  • En 2020, la population active mauricienne (âgée de 16 ans et plus) s’élevait à 570 100, dont 336 600 hommes et 233 500 femmes. Quelque 45,3 % des femmes en âge de travailler faisaient partie de la population active, contre 69,3 % des hommes.
  • De 2010 à 2020, le taux d’hommes actifs était systématiquement plus élevé que celui des femmes. Cependant, l’écart s’est réduit au fil du temps, car le taux d’hommes actifs a diminué au fil des ans, passant de 75,6 % en 2010 à 69,3 % en 2020, tandis que celui des femmes actives a généralement augmenté, passant de 43,6 % en 2010 à 45,3 % en 2020.
  • De plus en plus de femmes occupent des postes de direction dans les services gouvernementaux (dont ‘Senior Chief Executive’, ‘Permanent Secretary’, ‘Deputy Permanent Secretary’, ‘Director’, ‘Manager’, ‘Judge’ et ‘Magistrate’). En 2000, 23,1 % de ces postes étaient occupés par des femmes, un chiffre qui est passé à 39,7 % en 2020.
  • Même si la proportion des femmes élues aux conseils municipaux a augmenté au fil des ans, le nombre de femmes maires est resté faible. En 2020, il n’y avait aucune femme maire pour les cinq villes.
  • En 2020, il y avait seulement 3 femmes ministres sur 24.
  • Le graphique ci-dessous montre la proportion des femmes qui sont à la tête d’entreprises en 2020, contre celle des hommes.

« Les femmes ressentent souvent qu’elles sont comme des ‘second class citizens’ »

Sadhna Sokhal

Sadhna Sokhal est la directrice de deux compagnies, dont Cutting Work Ltd et Legem Ltd. Selon elle, c’est un problème de société et d’éducation. « Cela dépend de chaque individu, mais en principe, dans notre société, les hommes ont déjà décidé que les femmes s’occuperont de la maison et des enfants, tandis qu’eux, ils partiront travailler », soutient Sadhna Sokhal. Elle avance qu’il y a encore cette mentalité qui veut que les femmes doivent tout faire. « Les hommes vont vous dire qu’ils vont travailler et pourront apporter plus d’argent, tandis que les femmes peuvent rester à la maison. Vu que les femmes restent à la maison, elles n’ont donc plus autant d’énergie pour faire face au monde d’extérieur. En outre, ce n’est pas facile de faire rouler une maison, de s’occuper de ses enfants et de bien gérer son business. C’est pour cela qu’on voit plus de femmes comme employées car elles préfèrent avoir un travail avec des heures fixes », analyse notre interlocutrice.

Sur un autre niveau, la directrice indique que les femmes ne reçoivent pas le même accueil et ne bénéficient pas de la même coopération qu’un homme, comme par exemple dans les institutions bancaires. « Vous vous sentez comme une ‘second class citizen’ », lance-t-elle.

En ce qui la concerne, en tant qu’une femme qui s’est bien établie, quand elle se rend dans une banque pour des transactions, elle peut tout faire toute seule sans l’aide de son époux. Elle affirme que plusieurs autres femmes ne sont toujours pas arrivées à ce stage. Elle évoque un autre problème auquel les femmes doivent faire face, notamment avoir un prêt bancaire. Elle estime que c’est très rare qu’une femme ait des fonds propres à elle pour qu’elle puisse commencer son business.

Sadhna Sokhal est d’avis que le système bancaire n’est pas encourageant envers les femmes. « C’est facile de dire que tant d’argent a été donné aux femmes, et qu’il existe telle ou telle  facilité pour ces dernières », assène-t-elle. Pour elle, dans la réalité, les choses sont différentes et difficiles pour les femmes.

Notre interlocutrice ajoute que le marketing de leurs produits pose problème aux femmes. « Est-ce que les femmes sont assez équipées pour faire tout cela ? », se demande-t-elle. Il y a plusieurs facteurs, selon Sadhna Sokhal, qui entrent en jeu, et qui font que les femmes sont réticentes à démarrer un business aujourd’hui.

« Cela prend trop de temps pour que les femmes aient la place qui leur revient »

Loga Virahsawmy, de l’ONG Gender Links, nous explique que nous vivons dans une société patriarcale et que depuis tout le temps, ce sont les hommes qui ont tout régenté et qui ont pris toutes les décisions. Ce n’est que bien lentement que les femmes ont commencé à gravir les échelons et à réclamer leurs droits, selon notre interlocutrice.

Le problème pour elle, c’est que cela prend trop de temps pour que les femmes aient la place qui leur revient, malgré leurs qualifications. « Ancrés sur leurs chaises, les hommes ne vont pas accepter que quelqu’un d’autre prenne leur place, surtout si c’est une femme. Il y a ainsi toujours ce ‘glass ceiling’ qui empêche les femmes de monter plus haut. C’est dommage qu’on empêche qu’une femme soit à la tête d’une organisation alors qu’elle est beaucoup plus qualifiée et plus expérimentée que ses pairs masculins », s’insurge Loga Virahsawmy.

Un autre point qu’elle soulève c’est quand une femme accouche. « Souvent, on ne donne pas sa chance à une femme car on se dit qu’elle prendra son congé de maternité. Ce genre de pensée m’agace car maintenant, il y a des femmes qui savent bien s’organiser et qui sont disposées à rester tard au travail ou à compléter leur travail à domicile », ajoute-t-elle. Cette dernière affirme qu’elle a vu de ses propres yeux des femmes qui sont dévouées envers leurs enfants à la maison, sans renier leur engagement au travail.

Selon Logah Virahsawmy, avec une femme à la tête d’une entreprise, il y a moins de violence et le travail marche mieux. « C’est drôle que les hommes n’aient pas encore compris cela ! », lance-t-elle.

Pour Logah Virahsawmy, on a fait de grandes avancées à Maurice dans certains secteurs, dont le judiciaire, vu que les juges et magistrats comprennent environ 50 % de femmes dans leurs rangs. Sur le plan politique, elle fustige le fait qu’on ne donne pas assez d’espace aux femmes qui se présentent comme candidates aux élections.

Par contre, le problème se situe dans le secteur privé, soutient-elle. Elle pense qu’il y a un travail à faire et que cela prendra beaucoup de temps. D’autre part, Loga Virahsawmy est triste de constater que sur le ‘board’ des corps paraétatiques, il n’y a quasiment que des hommes. « Même durant les conférences de presse, vous pouvez voir que ce sont seulement les hommes qui prennent la parole », lance-t-elle.

Elle devrait aussi ajouter que dans le secteur des PME, les femmes font vraiment bien et ont amplement démontré qu’elles ont les mêmes capacités que les hommes.

« Les femmes sont confrontées à de multiples obstacles pour gravir les échelons »

 

« Même si les femmes sont aussi ambitieuses que les hommes, très peu d’entre elles parviennent à atteindre des postes de direction d’entreprise. Ce n’est pas parce qu’il leur est difficile d’entrer sur le marché du travail, mais plutôt parce qu’elles sont confrontées à de multiples obstacles pour gravir les échelons. En effet, les femmes rencontrent plus de résistance et se sentent plus isolées lorsqu’elles gravissent les échelons », nous déclare la Dr. Nawsheen Goonoo, chercheuse à l’Université de Maurice.

Selon elle, souvent, les femmes ne reçoivent pas les mêmes opportunités que leurs homologues masculins et elles ressentent souvent le besoin de travailler plus dur pour obtenir les mêmes postes. D’autres femmes ont été nommées à un poste inférieur que celui de leurs collègues masculins, malgré qu’elles aient de meilleures qualifications. Pour la chercheuse, tout ceci implique qu’il faut aux femmes plus de temps pour atteindre le même niveau que leurs pairs masculins.

Les qualités clés du leadership comprennent l’ambition et le franc-parler, deux qualités qui sont perçues comme masculines. Les femmes ambitieuses sont souvent considérées comme agressives tandis que celles qui sont franches sont considérées comme étant dures et insensibles. Elle va même jusqu’à dire que le type de préjugés que rencontrent aujourd’hui les femmes sont plus décourageants qu’auparavant, principalement parce que quelques décennies de cela, les femmes s’attendaient au sexisme sur le lieu de travail et y étaient donc mieux préparées émotionnellement.

En outre, la Dr. Goonoo ajoute qu’à la suite de la pandémie de covid-19, les femmes s’occupent de manière disproportionnée de la maison et des enfants, tout en jonglant avec leur propre carrière.

« Le défi auquel la plupart des femmes sont confrontées est de gagner l’acceptation et le respect de leurs pairs. Le mentorat est essentiel pour avoir plus de femmes dans des postes de direction. Plus important encore, il est important d’avoir des mentors masculins pour aider à combler cet écart entre les sexes », fait-elle ressortir.

Pourquoi voit-on que très peu de femmes occupent les postes pédagogiques les plus élevés au sein de l’Université ? Pour la Dr. Nowsheen Goonoo, les choix de style de vie peuvent expliquer pourquoi beaucoup de femmes universitaires ne poursuivent pas de carrière au sein de l’université. Elle estime que le processus de titularisation des femmes dépend du moment où elles veulent fonder une famille. Or, il n’y a souvent pas assez de structures de soutien sur le lieu de travail pour aider les femmes à gérer la garde de leurs enfants. « Même aujourd’hui, les femmes sont toujours responsables, de manière disproportionnée, de la garde des enfants. Les universités n’apportent pas suffisamment de changements pour encourager les femmes universitaires », ajoute notre interlocutrice.

Une autre raison est le manque de ‘role models’. En raison du manque de femmes dans les filières STIM (Science, Technologie, Ingénierie, Mathématiques), les jeunes filles, les étudiantes et les diplômées universitaires n’ont pas beaucoup de modèles qui peuvent les inspirer à choisir des emplois liés aux sujets STIM, selon la Dr. Nowsheen Goonoo.