Les instruments de la finance islamique et les waqfs

(suite de la semaine dernière)

L’un des défis contemporains de l’institution des waqf est l’entretien et le développement du patrimoine géré. Ainsi, il est important de diversifier les sources de financement et assurer leur conformité aux percepts islamiques. La finance islamique peut contribuer, à travers ses instruments, à la réalisation de cet objectif.

Les moyens classiques de financement

L’entretien et le développement du patrimoine géré par l’institution des waqf peut être financé par les moyens classiques tels que :

– Le revenu généré par le patrimoine lui-même.

– La contribution des bénéficiaires du revenu des waqf. À noter qu’en cas de refus des bénéficiaires, l’institution ne peut pas les obliger ou les contraindre à le faire.

– La contribution de l’Etat au cas où les bénéficiaires ne sont pas précisément nommés, par exemple lorsqu’il s’agit de mosquées, d’étudiants, etc.

– La collecte de dons pour financer l’entretien et le développement des biens et du patrimoine.

– Le revenu généré par d’autres biens gérés par les waqf.

Le financement à travers les formules de la finance islamique

La finance islamique propose plusieurs produits conformes à la shariah et qui pourront contribuer au financement de l’institution des awqaf.

Al Musharakahtabita (Al Musharakah permanente)

Al Musharakahtabita est la forme classique de partenariat dans laquelle chaque associé verse une mise initiale en capital, lui donnant un droit de regard et de supervision sur le projet financé, tout en partageant les pertes et les profits réalisés.

Dans le cadre de l’institution des waqf, Al Musharakahtabita peut prendre la forme d’un partenariat conclu avec un promoteur pour la mise en place de constructions résidentielles, commerciales ou de services. Les biens immobiliers constituent l’apport de l’institution, alors que les frais de rénovation et de promotion représentent l’apport du promoteur.

Ensuite, ces biens immobiliers sont mis en location et les revenus générés sont répartis entre l’institution des waqf et ses associés, chacun selon sa part.

Par ailleurs, cette formule est conforme aux avis des juristes, notamment les malékites, qui stipulent que les dépenses sur les biens du waqf en vue de les entretenir et de les développer permettent à celui qui les a effectués de devenir associé.

Al Musharakahmutanaquissa (Al Musharakah dégressive)

Tout comme Al Musharakahtabita, la formule de musharakah dégressive est un partenariat entre l’institution des waqf et un promoteur pour la réalisation de projets de développement de son patrimoine. Les revenus générés sont répartis entre le promoteur et l’institution des waqf.

Par contre, l’institution des waqf est tenue de racheter les parts du promoteur graduellement jusqu’à ce que ce dernier se retire définitivement de ce partenariat.

Al Mudharabah

Al Mudharabah est un contrat de société commerciale islamique dont la légalité est reconnue par l’ensemble des écoles de jurisprudence islamique. Il s’agit d’un contrat d’exploitation en vue de partager les profits entre deux parties, une partie ayant participé avec son capital, l’autre partie avec son travail. L’institution des awqaf peut financer ses projets de développement d’une banque islamique à travers la formule d’al Mudharabah. A cet effet, la banque islamique apporte ses fonds alors que l’institution des awqaf gère le projet de développement et les revenus générés sont répartis entre les deux parties conformément à l’accord conclu.

La formule du BOT

Il s’agit d’une formule pratique qui permet à l’institution des waqf de mettre à la disposition d’un entrepreneur qui a les compétences techniques et financières nécessaires, un bien à investir et à fructifier. L’institution des waqf renonce aux revenus générés par le bien en faveur de l’entrepreneur pour une durée déterminée permettant à ce dernier de rentabiliser ces investissements. Toutefois, pour que cette formule soit conforme à la shariah, il est nécessaire d’imposer des règles à l’entrepreneur, tel que de lui interdire de financer cette activité à travers des formules usurières, ou d’imposer des prix ou des tarifs élevés.

L’émission de Sukuks

Les Sukuks peuvent servir comme moyen permettant à l’institution des waqf de lever des fonds pour entretenir et/ou développer son patrimoine, et ainsi répartir les revenus générés avec les détenteurs des Sukuks. Généralement, les Sukuks émis peuvent être régis par un contrat de Musharakah ou de Mudharabah, ou tout autre contrat jugé adéquat au waqf à investir. Il est à noter qu’en Jordanie, l’institution des waqf a émis des sukuks Mudharabah pour financer le développement et l’entretien de certains biens. Par ailleurs, avec l’apparition de la finance islamique, de nouveaux instruments financiers ont vu le jour dont l’adoption permettrait à l’institution des awqaf d’évoluer et d’atteindre ses différents objectifs économiques. En effet, ces instruments financiers islamiques constituent de nouvelles ressources pour l’institution des awqaf, et de nouvelles sources de financement pour ses projets de développement.

Conclusion

Nous avons tenté dans ce papier de mettre en exergue le besoin de promouvoir l’idée du Waqf et ses missions socio-économique dans la société musulmane. La pratique islamique était la première en matière de création des fondations familiales (al-Waqf al ahli ou Dhorri) en les classant parmi les œuvres de bienfaisance, et en développant le cadre théorique de cette pratique.

Le fiqh islamique se distingue par deux caractéristiques fondamentales : la première concerne sa capacité de produire une nomenclature détaillée des catégories d’œuvres de bienfaisance et les règles de mise en Waqf des biens au profit de ces œuvres. Les fouqahas ont bel et bien insisté sur le caractère contraignant du Waqf. Une fois l’acte notarié établi, le Waqif ne peut revenir sur sa décision, à l’exception de ce qui est mentionné dans les clauses particulières. La deuxième caractéristique concerne les contraintes émises à l’encontre du ‘Nadher’ (le gérant de la fondation) dans le but de préserver les biens mis en Waqf. Les fouqahas sont même allés plus loin encore : ils refusent toute clause qui stipule la non révocation du ‘Nadher’ en cas de mauvaise gestion ou sa non soumission au contrôle judiciaire, en cas de besoin.

Le système de waqf représente un pilier de l’économie islamique depuis les premiers siècles de l’islam. Dans le fond, le waqf est indissociable de l’économie islamique : en large mesure, l’un définit l’autre. Or, l’histoire de waqf et l’économie n’est pas linéaire ni homogène dans le monde islamique ; elle est intimement liée à une périodisation politique. Le waqf a tout de même retrouvé une nouvelle importance durant les deux dernières décennies où il s’est transformé à nouveau en outil indispensable à l’économie islamique. En effet, le waqf est mobilisé, de nos jours, en tant qu’instrument pour soutenir des actions de développement économique, ainsi que des actions durables dans le monde musulman, depuis l’Afrique sub-saharienne jusqu’en Malaisie, en passant par le Golfe, la Tunisie post révolutionnaire, etc.

Dr. Kalbaza Amal

Université de Mostaganem

Algérie