Lindsay Rivière, journaliste, chairman du Media Trust et observateur politique : « Le Parti travailliste, s’il revient au pouvoir, sera back with a vengeance »

  • « Après 10 ans de régime travailliste abusif, le peuple est aujourd’hui très déçu de la performance du nouveau régime »

 

  • «  Le MMM risque de connaître un passage à vide de plusieurs années avec le retrait de Paul Bérenger ou à sa mort comme c’est le cas pour sir Gaëtan Duval et le PMSD»

 

  • « Mon ambition vise à préparer la prochaine génération des journalistes à l’heure de la presse après-internet et du multimédia »

 

Dans une  interview accordée au Sunday Times, Lindsay Rivière, journaliste, chairman du Media Trust et observateur politique, soutient qu’après 10 ans du régime travailliste abusif, le peuple est aujourd’hui très déçu de la performance du nouveau régime. Il affirme que les ennuis du gouvernement ne semblent pas profiter au Parti travailliste ou au MMM et ajoute que les événements de 2014 et 2015 ne permettront plus jamais à un rapprochement MSM-PTr. « Le PTr s’il revient au pouvoir, sera ‘back with a vengeance’. Les alliances les plus probables sont un rapprochement MSM-MMM et possiblement une nouvelle collaboration PTr-PMSD si ce rapprochement ‘orange-mauve’ se fait au détriment du PMSD », dira l’observateur politique qui ajoute que le MMM risque de connaître un passage à vide de plusieurs années avec le retrait de Paul Bérenger ou à sa mort comme c’est le cas pour sir Gaëtan Duval et le PMSD.

Ravinduth (Sanjay) BIJLOLL

 

Q : Lindsay Rivière, vous êtes un des rares vétérans de la presse mauricienne. Depuis bientôt 50 ans vous êtes dans le métier, quel regard jetez-vous sur cette presse ?

R : La presse mauricienne est une des plus anciennes au monde. Elle a 243 d’années d’existence et pendant toute cette période, elle a énormément contribué à la promotion sociale des Mauriciens, l’épanouissement démocratique et la vitalité économique du pays tout en promouvant  le concept du ‘nation building’ et l’unité nationale. Malgré quelques petites imperfections, elle continue à jouer un rôle essentiel dans la vie publique mauricienne et reste un des piliers de notre société.

 

Q : Depuis que vous entrez dans le domaine du journalisme jusqu’aujourd’hui, plusieurs événements vous ont sans doute marqué votre vie. Peut-on savoir lesquels ?

R : Très certainement l’Indépendance de l’île Maurice à laquelle j’ai assisté au Champ de Mars le 12 mars 1968,  mais aussi les événements les plus malheureux tels les bagarres raciales de 1968, la répression de 1971 et 1975, la montée du MMM et le décollage économique extraordinaire à partir de 1983. J’ai eu le privilège d’entrer très jeune dans la presse à 17 ans et donc suivi toutes les étapes du développement de l’île Maurice moderne pendant un demi-siècle. Tout cela a été une expérience exaltante pour moi.

 

Q : Vous êtes parti  en 1985 pour l’Australie. Qu’est-ce qui vous a poussé de revenir à Maurice sept mois plus tard ?

R : En effet, je suis parti en Australie en 1985, soit 12 ans après l’immigration de ma famille. Moi, j’étais resté à Maurice et je voulais être partie prenante de cette grande aventure de l’indépendance. Malheureusement, la répression politique des années 80 contre le journal ‘Le Mauricien’ que je servais comme rédacteur-en-chef  avait créé des conditions épouvantables de travail et, exténué, j’avais choisi de m’éloigner de Maurice. Je suis revenu quelques années après car j’avais quitté l’île Maurice mais l’île Maurice ne m’avait jamais abandonné.

 

Q : Lindsay Rivière, vous vous êtes certes fixé des objectifs en tant que chairman du Media Trust. Peut-on savoir lesquels ?

R : Le Media Trust,  qui existe essentiellement pour la formation des journalistes, n’est pas un organisme de régulation comme certains le pensent. Mon ambition est de faire  Media Trust préparer la prochaine génération des journalistes à l’heure de la presse après-internet et du multimédia, qui a transformé le paysage médiatique.

 

Q : La situation politique à Maurice, surtout au niveau du pouvoir,  n’est plus dilettante. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

R : Nous assistons à une grande confusion politique ces jours-ci car après 10 ans de régime travailliste abusif, le peuple est aujourd’hui très déçu de la performance du nouveau régime. Beaucoup de Mauriciens pensent que c’est du pareil au même. Il faut donc que le gouvernement de l’Alliance Lepep se ressaisisse d’urgence pour recentrer les esprits sur l’économie, car les Mauriciens estiment que très peu ou rien n’a changé depuis décembre 2014. En même temps, l’opposition reste décrédibilisée.

 

Q : Nous n’avons jamais vu autant de doigts pointés aux ministres d’un gouvernement. Est-ce un signe de la démocratie selon vous ?

R : Oui, certainement, les Mauriciens sont un peuple frondeur et impertinent qui n’hésitera pas à critiquer et juger sévèrement tout gouvernement quel qu’il soit.

 

Q : Pensez-vous que l’impopularité du gouvernement de l’Alliance Lepep permet au Parti travailliste et au Dr Navin Ramgoolam de redorer leur blason ?

R : Pas nécessairement. Les ennuis du gouvernement ne semblent pas profiter au Parti travailliste ou au MMM et on a bien vu ce qui s’est passé aux dernières élections municipales. On constate que le Parti travailliste éprouve beaucoup de difficultés pour refaire surface.

Si le PTr remontait vraiment, il aurait organisé un grand meeting le 1er Mai pour capitaliser sur l’échec du gouvernement. Je crois que le parti pourra  graduellement remonter la pente au fil des années, pas nécessairement le Dr Navin Ramgoolam personnellement.

Le MMM va sans doute se refaire une santé plus vite que le PTr  en raison du leadership au Parlement où toutes les questions  d’actualités sont soulevées par Paul Bérenger.

 

Q : Que répondez-vous à ceux qui disent que le MSM de SAJ, le PTr de NR et le MMM de PB sont tous dépassés et que la création d’une  troisième force se fait cruellement sentir dans le pays ?

R : Je n’ai jamais cru dans les thèses que vous avancez et aussi dans la création d’une troisième force pour pouvoir mater avec les partis traditionnels du pays. Pour moi, toutes les tentatives de lancer/créer des partis politiques depuis 40 ans ont échoué et toute réforme viendra nécessairement de l’intérieur du PTr, du MMM, MSM et PMSD avec des changements des générations qui s’imposent graduellement.

 

Q : Quel scénario prévoyez-vous après (i) sir Anerood Jugnauth, (ii) Navin Ramgoolam et (iii) Paul Bérenger ?

R : Je crois que le MSM a déjà tracé un ‘succession planning’ pour Pravind Jugnauth après sir Anerood Jugnauth et qu’il s’y tiendra. Navin Ramgoolam ne semble pas vouloir partir et confirme qu’il mènera le PTr aux prochaines élections en 2019, comptant sur son charisme, pour battre Pravind Jugnauth et Paul Bérenger. Or, ce ne sera pas facile pour eux de faire un come-back et il aurait dû laisser Arvin Boolell jouer un rôle plus important dès maintenant.

Quant à Paul Bérenger, il ne se retirera, selon moi, que le plus tard possible et la question de sa succession ne se pose donc pas dans l’immédiat. Le MMM risque de connaître un passage à vide de plusieurs années avec le retrait de Paul Bérenger ou à sa mort comme c’est le cas pour sir Gaëtan Duval et le PMSD.

 

Q : Il n’est un secret pour personne que tous les partis politiques sont obligés de concrétiser une alliance en marge des élections générales. Qu’est-ce qui vous anticipez comme alliance ?

R : Je crois que les événements de 2014 et 2015 ne permettront plus jamais à un  rapprochement MSM-PTr parce que beaucoup de lignes rouges ont été franchies. J’ajouterais que si le PTr  revient au pouvoir, ce sera ‘back with a vengeance’. Donc, les alliances les plus probables sont un rapprochement MSM-MMM et possiblement une nouvelle collaboration PTr-PMSD si le rapprochement ‘orange-mauve’ se fait au détriment du PMSD. Mais on est loin de tout cela pour l’instant.

 

Q : Pour certains, le PMSD de Xavier-Luc Duval est un opportuniste. A l’approche de chaque élection générale, on le voit toujours avec l’équipe qui a la cote. Qu’en dites-vous ?

R : Le PMSD et XLD, selon moi, jouent depuis 15 ans, leur carte très intelligemment et ce sur le plan tactique. Le parti a échappé miraculeusement au rejet de Navin Ramgoolam en décembre 2014. XLD occupe aujourd’hui une place prépondérante comme le no 2 au gouvernement où il dirige énormément des comités et d’initiatives gouvernementales. XLD a acquis un statut national important et il est bien mieux accepté  dans toutes les couches de la population que Paul Bérenger.

D’après moi, XLD a un grand avenir devant lui et il est en train de positionner le PMSD comme un parti moderne et national qui doit peut-être devenir incontournable dans les années à venir à Maurice. Tout comme Paul Bérenger qui a émergé comme le successeur de sir Gaëtan Duval à sa mort, XLD pourrait bien être une figure dominante à Maurice après Paul Bérenger.

 

Q : Au train où vont les choses, pensez-vous que le gouvernement de l’Alliance Lepep puisse réussir son projet du deuxième miracle économique ?

R : Nous sommes loin de 6% à 7% de croissance économique que nous donnerait un véritable chiffre économique dans cinq ans. Il ne faut pas oublier que nous avons gaspillé 3% en 2015 et 2016.

Je dois vous dire  que je n’ai jamais cru dans le terme miracle économique. Au mieux, on peut espérer avoir une croissance soutenable de 4%, ce qui n’est pas assez pour faire revigorer le chômage dans notre pays. Cessons donc de croire au père Noël et aux miracles, Contentons-nous de nous battre pour ce qui est concrètement réalisable.

 

Q : Le secteur privé que vous avez connu demeure un secteur clé de notre économie, mais depuis quelque temps, nous remarquons une certaine froideur dans leur démarche. Qu’en pensez-vous ?

R : Moi aussi je constate une certaine timidité du secteur privé à investir dans notre pays. Cela est dû à deux raisons : Premièrement, le secteur privé traditionnel est maintenant lourdement endetté par des milliards et commence à s’essouffler financièrement. Deuxièmement, le secteur privé ne veut toujours pas s’ouvrir résolument à des partenaires étrangers pour ne pas perdre son influence  dans le pays et le contrôle de ses entreprises.

Le secteur privé mauricien n’aime pas l’incertitude politique et tous les événements actuels ne l’encouragent pas à prendre des initiatives. Enfin, le secteur privé a aussi décidé de jouer vigoureusement la carte régionale, ce qui fait qu’il investit beaucoup outremer, soit à Madagascar, en Afrique et en Asie. Il délocalise certaines opérations. Le gouvernement de l’Alliance Lepep doit donc rassurer et mobiliser le secteur privé qui est assez inquiet devant l’évolution du pays.

 

Q : Un dernier mot ?

R : Il faut d’urgence remettre l’économie au centre des préoccupations nationales et nous devons cesser avec  cette atmosphère de règlements des comptes politiques permanents.

Maurice a raté son décollage en 2015 et 2016 commence dans une cascade de scandales.  Le Premier ministre, sir Anerood Jugnauth, devrait d’urgence mettre de l’ordre dans tout cela en tapant du poing sur la table et en ramenant à l’ordre tous ses ministres qui causent des problèmes. SAJ ne doit surtout pas avoir peur des élections partielles car,  selon moi,  personne ne démissionnerait pas de l’Assemblée nationale. Tout cela c’est du bluff. « Fromage là trop bon ».