– « Le CP occupe un poste constitutionnel. Il lui faut respecter les autres institutions, incluant le DPP qui est également un poste constitutionnel »
– « Ena la loi, pena la loi, quand il s’agit des plaintes faites contre des proches du pouvoir, lenket pas fer »
Me. Rouben Mooroongapillay, l’un des avocats de Bruneau Laurette, revient sur le communiqué du Commissaire de police. Un faux-pas, dit-il, en insistant que la police a le devoir de boucler son enquête le plus vite possible.
Zahirah RADHA
Q : La décision du DPP de ne pas aller de l’avant avec son appel dans l’affaire Bruneau Laurette a fait au moins un mécontent aux Casernes centrales. Comment jugez-vous la réaction du Commissaire de police qui a carrément critiqué la décision de Me. Rashid Ahmine ?
Je ne crois pas qu’il soit le seul mécontent ! Outre d’être mal conseillé, je pense qu’il se peut aussi qu’il ait subi des pressions pour qu’il agisse ainsi. Nous savons tous que c’est normalement le ‘Police Press Office’ (PPO) qui émet les communiqués de la police. Or, dans ce cas-ci, c’est le ‘Government Information Services’ (GIS) qui a publié le communiqué en question. Est-ce que ce communiqué a été interprété comme il se doit ou lui a-t-on donné une autre interprétation ?
(Ndlr : il nous fait, à ce moment précis, écouter la déclaration du CP) Comme vous pouvez l’entendre, le CP a dit, verbatim, « eski sa décision du DPP la pas pe créer ene evil precedent, mo pose moi la question ». Il se pose une question alors que le communiqué rapporte que « the decision of the ODPP therefore creates an evil precedent ». Il y a une contradiction entre ce qu’il a dit et ce qui a été rapporté. Soit il y a un problème à leur niveau de communication, soit il y a eu pression pour que le CP dise certaines choses.
Q : N’empêche que le terme « evil precedent » a bel et bien été utilisé…
La question d’‘evil precedent’ ne se pose pas. D’abord, parce que tous les cas ne sont pas semblables. Et ensuite, parce que ce ‘ruling’ n’est pas un ‘binding precedent’. On parle de précédent quand il s’agit d’une décision de la Cour suprême. Une cour de district, comme dans le cas de Bruneau Laurette, ne peut, elle, que prendre une ‘persuasive approach’ et n’a donc, rien de ‘binding’.
Et quand il évoque le cas des 337 autres détenus dans des affaires de drogue qui, dit-il, vont maintenant pouvoir demander la caution, il faut d’abord comprendre que ces derniers sont présumés innocents tant que la cour ne les prononce pas comme des trafiquants, suivant un jugement. Chaque cas a ses propres spécificités et ces cas sont traités dans différentes cours. Un magistrat ne peut prononcer une sentence qu’en fonction du dossier qui est en face de lui.
Il me semble, au final, qu’il y a une mauvaise cohabitation entre le bureau du CP et celui du DPP, alors qu’ils sont appelés à travailler ensemble.
Q : Le CP avait-il les moyens pour contester juridiquement la décision du DPP ?
Le CP aurait pu passer par le bureau de l’Attorney General pour obtenir les services d’un avocat ou il aurait pu retenir un avocat indépendant et faire un test-case pour voir ce qu’aurait décidé la Cour suprême en cas d’une demande de révision judiciaire.
Q : Pourquoi ne l’a-t-il pas alors fait, selon vous ?
Il est clair que le ‘ruling’ de la magistrate Jade Ngan Chai King est bien ficelé. Vous vous souviendrez que j’avais demandé à la représentante du DPP, Manjula Boojharut, de parcourir toutes les 311 pages des ‘court proceedings’ par rapport au ‘bail hearing’ ainsi que le ‘ruling’ de la magistrate avant de prendre une décision finale lorsqu’elle avait « moved for a stay of execution » le 21 février dernier. Je pense que c’est ce qu’a fait le DPP et c’est d’ailleurs ce qu’un autre de ses représentants a expliqué en cour le 27 février.
La loi est très claire. Quelqu’un ne peut pas être maintenu en détention préventive indéfiniment si le ‘main case’ n’est pas logé. La restriction de la liberté, c’est l’exception. Il y a d’ailleurs des cas où la cour a déjà accordé le ‘bail’. De toute façon, la caution ne détermine pas la culpabilité ou l’innocence d’une personne. Il incombe maintenant à la police de boucler son dossier et de l’envoyer au bureau du DPP le plus vite possible afin que le ‘main case’ puisse être logé.
Q : N’est-ce pas le CP lui-même qui a créé un ‘evil precedent’ lorsqu’il a critiqué la décision du DPP au lieu d’avoir recours au moyen légal dont il dispose pour la contester ?
Je pense que l’‘evil precedent’ se trouve plutôt dans la façon dont les affaires sont gérées au niveau de la police. Je l’ai dit, il faut qu’il y ait une cohabitation entre la force policière et le bureau du DPP. Ce n’est pas la police, mais le DPP qui est le seul à être habilité à décider s’il faut aller de l’avant avec une poursuite ou pas.
Le CP occupe un poste constitutionnel. Il lui faut respecter les autres institutions, incluant le DPP qui est également un poste constitutionnel. L’avocat de la défense a un travail à faire. La police et le bureau du DPP ont aussi les siens. Il faut que chacun apprenne à respecter le travail de l’autre. Mo croire ine l’heure pou arrete avec tou sa bane cinéma ki pe fer la. Cela ne fait ni honneur à la force policière ni honneur à la population et au pays.
Q : De quel cinéma parlez-vous ?
Les attaques faites contre le bureau du DPP, la façon de procéder au sein de certaines institutions, les campagnes de ‘zet labou’… Si le CP avait des appréhensions, il aurait pu aller voir le DPP et essayer de trouver un terrain d’entente. Mais il a choisi d’agir différemment. Je vous rappelle que l’inspecteur Shiva Coothen (ndlr : le porte-parole de la police) avait soutenu que la police ne disposait pas de bracelet électronique ou de système de GPS pour suivre un suspect. Qu’a-t-on vu par la suite ? Le ‘Police Prosecutor’ a lui-même demandé à Bruneau Laurette de se rendre à l’IT Unit de la police pour installer une ‘tracking application’ sur son portable. Ce sont des moyens déjà existants. D’ailleurs, dans l’affaire Ibrahim Sorefan en Cour suprême, l’une des conditions rattachées à sa remise en liberté provisoire, c’était que le GPS soit activé sur son téléphone portable. Même dans d’autres cas, il y a déjà eu des conditions semblables.
Q : Ce n’est donc pas la première fois que la cour a imposé de telles conditions ?
Non, ce n’est certainement pas la première fois. Sauf pour le montant de la caution à payer (ndlr : totalisant Rs 2 millions pour les deux charges provisoires confondues). Le CP a dit que la police ne peut pas empêcher à M. Laurette d’effectuer des appels internationaux et d’avoir accès à qui que ce soit. Mais ces conditions ne sont pas une ‘court order’ pour la police. Ce sont des conditions applicables pour la remise en liberté sous caution de M. Laurette et auxquelles ce dernier s’est engagé de respecter. La police n’entre en jeu que lorsqu’il y a eu une ‘breach of bail condition’. Par exemple, ce n’est pas à la police de rappeler à M. Laurette qu’il se doit se présenter au poste de police deux fois par jour. M. Laurette doit le faire de son propre chef, conformément à son engagement pris pour respecter les conditions de sa caution. Mais si M. Laurette ne le fait pas, la police peut alors agir.
Q : Le CP semble justement craindre que Bruneau Laurette ne s’enfuit. Dans la pratique, est-ce possible avec les conditions qui sont rattachées avec sa remise en liberté provisoire ?
Les conditions sont très sévères. Il doit se présenter au poste de police deux fois par jour. Il doit rester à un écart de 500 mètres de la plage. Sa compagne a d’ailleurs retenu les services d’un arpenteur pour certifier que sa maison à Calodyne se trouve à plus de 500 mètres à vol d’oiseau de la plage. Il doit toujours avoir un portable doté d’un ‘tracking device’ en sa possession. C’est presque une ‘home detention’.
M. Laurette a clairement dit, suivant sa remise en liberté sous caution, qu’il n’a pas l’intention de se sauver et qu’il compte laver son honneur puisqu’il s’agit d’un cas de ‘planting’. C’est un homme public qui a démontré son attachement envers la société. Que ce soit durant son enquête ou sous serment en cour, il a maintenu qu’il poursuivra son combat. Il a passé le test du contre-interrogatoire et à sa sortie, il a fait comprendre qu’il sera candidat aux prochaines élections.
Q : Il fait quand même face à de graves allégations. Pourra-t-il laver son honneur avant les prochaines élections ?
Si l’affaire est prise sur le fond, nous allons défendre son cas. Le modus operandi de certainsproches du pouvoir est clair. Avant le ‘ruling’ du 21 février,certaines forces occultes avaient commencé à planter des photos dans certains médias. Nous savons qui sont derrière cette manœuvre. Le week-end dernier, des vidéos ont été mises en circulation par certaines personnes proches du pouvoir. Des allégations graves y ont été faites contre la magistrate, l’ancien chef-juge, et le DPP qui a été traité de ‘Narco DPP’. Le but était clairement d’influencer le processus de la prise de décision. Ces détracteurs savaient-ils que le DPP n’ira pas de l’avant avec son objection ? Auparavant, ils avaient aussi circulé des photos de Bruneau Laurette sur un bateau, visant, une nouvelle fois, d’influencer le ‘decision-making process’.
Q : N’existe-t-il pas de loi pour les sanctionner ?
Ena la loi, pena la loi, quand il s’agit des plaintes faites contre des proches du pouvoir, lenket pas fer.
Q : Où en est-on avec l’enquête sur Bruneau Laurette ? Dans son affidavit, il a dit ne pas avoir été interrogé depuis mi-décembre 2022 alors qu’il est évident que la police aurait dû tout faire pour boucler son enquête le plus vite possible…
La police n’avait même pas l’intention de l’interroger dans cette affaire. Les enquêteurs étaient plus intéressés par les précédentes allégations liées au ‘breach of ICTA’ retenues contre lui et de savoir ce qu’il y avait sur son portable. Pourtant, la première chose qui devait être faite dans une affaire de cette envergure, c’était de l’interroger pour voir s’il y a d’autres personnes qui sont possiblement connectées à cette affaire. Or, dans le cas de M. Laurette, ce n’est qu’après onze jours, et cela sur notre insistance, que son interrogatoire à démarré.
Il avait été arrêté le 4 novembre et ce n’est que vers le 15 ou le 16 novembre qu’il a commencé à être entendu, et cet exercice n’a duré que jusqu’au mi-décembre. Ene semaine ladans ti alle lor point mort parski ena kitsoz ki zot pa ti pe rode prend avec M. Laurette, noune bizin rissé poussé alle devant la cour, aret lenket, dire zot alle prend advice are DPP tousala. Au final, sur quatre mois de détention, il n’a été entendu que pendant trois semaines. Est-ce normal ?
Q : C’est à moi de vous poser la question, est-ce normal ?
Ce n’est pas la police, mais la défense qui a toujours été proactive, que ce soit pour réclamer des ‘fingerprint tests’ ou pour l’accès à son compte bancaire, portable, téléphone satellite et laptop, entre autres. Nous avons même demandé les enregistrements de l’‘Intelligence Traffic Surveillance System’ et des caméras Safe City. Nous avons aussi demandé à la police de rechercher un ‘Judge’s Order’ pour obtenir sa liste d’appels et de messagerie, incluant WhatsApp.
Le ‘Supervising Officer’ de la police a d’ailleurs reconnu en cour que c’est suite à la requête des avocats de la défense que les enquêteurs ont écrit au ‘Main Command Centre’ pour faire ces demandes. Pourtant, c’est la police qui aurait dû prendre ces initiatives. Jusqu’ici, nous n’avons toujours pas vu l’enregistrement complet de la descente policière chez Bruneau Laurette, bien qu’il y eût une autorisation de la police pour qu’elle soit filmée par des ‘Superior Officers’.
Nous n’avons eu droit qu’à des ‘boute boute vidéos’ de quelques secondes ou minutes. Ou trouve zis seki zot envi fer ou trouvé. Aurions-nous su s’il y avait ‘planting’ dans l’affaire Attock si nous n’avions pas vu l’enregistrement complet ? Non. C’est pour cela qu’on a demandé un ‘full unedited, uninterrupted rush’ de l’opération policière chez M. Laurette. Jamais nou fine gagne sa. Mo croire zot ena 22 boutes vidéos. Je me souviens qu’il y avait une circulaire émanant du bureau du CP, stipulant que des ‘Body Cams’ devaient être utilisées lors de telles opérations. Ont-ils utilisé ces ‘Body Cams’ ?
Q : Ils avaient donc les moyens pour tout enregistrer correctement ?
Oui, ils en avaient les moyens. Pourquoi ont-ils alors utilisé leurs portables personnels ? Si je ne me trompe pas, ils ont aussi des téléphones qui sont directement connectés aux caméras Safe City.
Q : Bruneau Laurette a promis de nouvelles révélations. Ne craignez-vous pas d’autres représailles contre lui ?
Le risque existe bel et bien. Tout est possible, vu la façon dont les choses se déroulent. C’est pour cela qu’il avait demandé d’être placé « under camera » dans sa cellule et que celle-ci soit fouillée à chaque fois qu’il n’en sorte et qu’il n’y entre.