Morts suspectes : De nouvelles lois et institutions sont nécessaires

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L’affaire Kistnen va sans doute encore dominer l’actualité cette année-ci. Dans le sillage de cette affaire désormais tristement célèbre, il y a eu plusieurs autres morts suspectes. Y a-t-il un lien direct entre ces morts? Toutefois, d’un point de vue médico-légal, il est difficile de maquiller un homicide en suicide, et ce sont plutôt les ingérences occultes dans les enquêtes qu’il faut craindre.

Pour rappel, le corps calciné de Soopramanien Kistnen avait été retrouvé dans un champ de cannes à Telfair, Moka. Cette affaire sera le premier d’une série de plusieurs morts suspectes dont Pravind Kanakiah, Sarah Boitieux, et le cadavre sans mains ni pieds à Tranquebar, entre autres.

En outre, une sorte de psychose s’est installée dans le pays. S’agit-il de meurtres maquillés en suicides ? L’équipe des Avengers, qui essaie de voir s’il y a un lien entre ces affaires, a déjà fait mention que tout indique qu’un escadron de la mort opère à Maurice.

Toutefois, selon le médecin-légiste, le Dr. Satish Boolell, il est difficile de maquiller les meurtres en suicides, et les gens ont trop tendance à penser au pire. Mais il admet que ce qu’il faudrait craindre, ce sont les ingérences occultes dans les enquêtes.

On a aussi appris que les cameras de ‘Safe City’, à coups de milliards, n’ont finalement pas servi à grand-chose, en ce qu’il s’agit de retracer les mouvements des personnes disparues.

D’autre part, il y a un besoin criant de nouvelles lois à Maurice, pour mettre sur pied un système de juge d’instruction à la française, ou encore un Coroner’s Court comme en Angleterre, qui a pour tâche d’enquêter sur toute mort suspecte.

satish-boolellSelon le Dr. Satish Boolell, qui compte environ 35 ans de service en tant que médecin-légiste, il y a en gros deux possibilités : primo, une personne peut avoir planifié son crime. Secundo, il peut avoir tué sous l’impulsion du moment. Mais dans les deux cas, « Ce n’est certainement pas facile de maquiller un meurtre en suicide car la personne qui a commis le meurtre n’aura probablement pas de formation scientifique qui lui permettra de comprendre les éléments que les enquêteurs vont chercher sur la scène du crime. »

Dans le passé, il y a eu beaucoup de tentatives de maquiller des cas de strangulation en suicide. Satish Boolell devait faire référence à un cas de meurtre qu’un suspect avait voulu maquiller en suicide mais en vain. Sur place, en prenant en considération les éléments et les preuves existants, par exemple des traces sur le cou de la victime, la thèse de suicide avait été immédiatement démontée, et le meurtrier confondu.

Il est ainsi difficile de placer des éléments pour tromper les médecins légistes qui feront l’analyse des blessures.

Un cas ‘high-profile’ où la thèse de maquillage de crime en suicide était à l’ordre du jour était le crime de Bassin-Blanc, où deux jeunes amoureux étaient morts dans des circonstances suspectes. « On a voulu en faire un nouveau feuilleton ‘Paul et Virginie avec des conclusions erronées de part et d’autre. Il fallait rester ‘focused’ sur les morts et ne pas subir les pressions de l’opinion populaire, manipulée des fois afin de détourner l’attention », devait faire ressortir le médecin-légiste.

Le Dr. Boolell nous donne un aperçu de son mode opératoire. Dans un cas quelconque,  un médecin-légiste dispose d’un « Index of Suspicion », un modèle qui permet à ce dernier de situer les éléments de la mort. La juxtaposition des éléments permet au médecin-légiste d’étayer ses doutes.

« Ceux qui essaient de maquiller des crimes en suicides ont passé trop de temps à regarder des films de Bollywood », nous fait comprendre le Dr. Boolell. Il poursuit : « À Maurice, le maquillage du crime en suicide prendra l’allure d’un script bollywoodien, avec des indices laissés sur place, qui ne peuvent échapper à des enquêteurs chevronnés. Si on prend les morts suspectes au sérieux, rien ne doit en principe échapper à tous les acteurs de l’enquête. »

Selon lui, le problème est ailleurs, notamment l’ingérence occulte dans une enquête. « Malheureusement, des ingérences occultes peuvent gêner le bon déroulement d’une enquête. Je préfère ne pas me référer aux cas divers où j’ai dû subir des pressions policières, avec des gentilles menaces à l’appui. »

Le médecin-légiste devait aborder « l’épidémie de morts suspectes » et la façon de penser des gens. « Il est vrai qu’en une courte période, nous avons eu beaucoup de suicides, ce qui fait que beaucoup de gens ont des doutes car ils ne font pas confiance aux institutions. »

 « Personne n’a le droit de mourir de mort naturelle, tout devient suspect », ironise-t-il. « Je voudrais dire aux gens de  regarder d’abord le rapport de la police avant de sauter sur des conclusions ».

Décés de Soopramanien Kistnen : Un escadron de la mort à l’œuvre ?

soopramanien_kistnenRemontons à octobre 2020, sur un ‘suicide’ (initialement décrit comme tel par la police), qui a été le premier de la série de décès bizarres.

Soopramanien Kistnen, l’agent du MSM,  avait en effet été retrouvé mort le 18 octobre dans un champ de cannes à Telfair, Moka, le corps partiellement calciné. Le sac de ce dernier, qui contenait des documents apparemment importants, avait lui aussi été retrouvé brûlé.

Les policiers avaient informé la famille du défunt qu’il n’y avait pas eu d’acte criminel, et que Soopramanien Kistnen, aussi connu comme Kaya, s’était suicidé. Une conclusion à laquelle la famille n’était pas d’accord, notamment sa veuve, Simla Kistnen.

Le DPP devait instituer une enquête judiciaire au niveau de la Cour de Moka. Il devait faire ressortir par la suite que le rapport d’autopsie avait conclu que le décès était dû à un œdème pulmonaire. Enter les Avengers, qui vont démontrer que vu la quantité de péthidine que le défunt avait dans le corps au moment de sa mort, il n’aurait pu se suicider. Me Rama Valayden devait venir par la suite dire qu’il y a tout lieu de croire qu’un escadron de la mort était à l’œuvre, information vite démentie par la police.

Me Neelkanth Dulloo, avocat

Neelkanth Dulloo« Une commission d’enquête doit faire la lumière sur les caméras de ‘Safe City’ »

Interrogé sur la nécessité de mettre sur pied une Coroner’s Court dans le pays, l’avocat Neelkanth Dulloo est tout à fait d’accord, car c’est une institution qui doit être présente dans toutes les démocraties. Une Coroner’s Court, comme il en existe en Angleterre, est une cour spécialisée qui enquête sur tous les morts suspectes.

Selon Me Dulloo, les législateurs doivent venir avec deux lois : la première par rapport à la mise sur pied d’une Coroner’s Court et la deuxième loi doit voir l’établissement d’un système de juge d’instruction, comme il en existe en France. Ces juges sont indépendants et chapeautent les enquêtes de la police.

Ces amendements aux lois existantes sont un « must », car la police a failli dans sa tâche. Selon lui, les  projets de loi ont déjà été « drafted » et la question est quand le gouvernement va-t-il se decider à les présenter au parlement.  « Les ‘bills’ ont déjà été ‘drafted’, mais dorment dans des tiroirs », fustige-t-il.

Faut-il mettre sur pied un programme de protection de témoins ? L’homme de loi nous explique qu’un tel programme existe déjà. Dans l’affaire Kistnen, il est impératif que les témoins soient mis sous protection.

En ce qui concerne l’efficacité des caméras de « Safe City », l’avocat ne mâche pas ses mots. « Tout ce que le PM et le gouvernement ont dit dans l’hémicycle est faux », soutient-il.

L’avocat  maintient qu’il faut mettre surpied une « Commission of Enquiry » sur les caméras « Safe City ». « Il faut connaître la raison derrière l’installation de ces caméras. Qui a fait la demande pour mettre ces caméras ? Est-ce une demande de la compagnie ? Qui a accepté de mettre ces caméras, qui a fait ces négociations ? », se demande-t-il.

Toute l’affaire de « Safe City » doit faire l’objet d’une commission d’enquête, soutient-il, car « Certains princes du pays ont induit la population en erreur et ont indûment dépensé l’argent du public. »

Jocelyn Chan Low, observateur politique

Jocelyn Chan low« Le devoir d’un gouvernement est d’assurer la sécurité de la population »

Est-ce que tous ces cas de suicide ne créent pas un sentiment de doute malsain dans la société ? L’observateur politique Jocelyn Chan Low répond par l’affirmative. « Le devoir d’un gouvernement est d’assurer la sécurité de la population », dit-il.

On peut penser qu’il ne le fait pas en cas de meurtres non élucidés, où non seulement il n’y a pas de coupable, mais en plus la police vient déclarer ces affaires comme des suicides. « C’est là que la population commence à se poser des questions sur la fiabilité des institutions telles que la police », dit-il.

Après la mort de Kistnen, il y a eu celui de Pravin Kanakiah, ce qui crée un climat de suspicion parmi la population, car ce sont des enquêtes qui n’ont pas été faites comme il se doit depuis le début. Il y a aussi eu des tentatives apparentes de « cover-up », ce qui fait penser qu’on n’est pas en sécurité. Tout ceci est aggravé par le dysfonctionnement des caméras de Safe City, alors qu’on a dépensé des milliards sur ces caméras.

Le mystère derrière la mort de Pravin Kanakiah

Pravin KanakiahPeu après, le corps de Pravin Kanakiah, un ancien ‘Procurement Officer’ au ministère des Finances, avait été retrouvé le 11 décembre dans les eaux de Gris-Gris. Ce dernier, qui travaillait auparavant sur des dossiers du ministère de la Santé, portait de multiples blessures au corps. Ceci, et le fait que la voiture du défunt avait été retrouvée à Réduit, tandis que son cadavre à Gris-Gris, avait soulevé de nombreuses interrogations dans la tête des gens.

En début d’année, les Avengers devaient faire état que des pêcheurs les avaient informé qu’ils avaient vu sept personnes qui portaient un corps. Les Avengers devaient aussi affirmer que les deux affaires sont liées, avec les mêmes équipes qui ont fait le sale boulot dans les deux cas. Toujours selon eux, le défunt travaillait sur des dossiers relatifs aux achats pendant le confinement.

 La découverte effrayante d’un cadavre sans mains ni pieds

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Le même jour que Sarah Boitieux s’était donné la mort, le corps d’un homme d’une soixantaine d’années, en état de décomposition avancée, avait été retrouvé dans un bois à Tranquebar. Ce dernier n’avait ni mains, ni pieds. Valeur du jour, il n’a pas encore été identifié.

 

 

  • Au début de cette année, plus précisément le 5 janvier 2021, le corps d’un homme de 54 ans avait été retrouvé à Bord Cascade à Henrietta. Ce dernier, un habitant de la localité, était porté manquant depuis le 31 décembre et depuis, diverses unités de la police s’était mobilisées pour la recherche du défunt. Et depuis, nous n’avons plus rien entendu sur cette affaire.

L’étrange suicide de Sarah Boitieux… avec la poignée d’une armoire

Quelques jours après, soit le 14 décembre, une dactylographe travaillant au Bureau du Premier ministre, âgée de 30 ans, devait se donner la mort par pendaison. Selon les proches de Sarah Boitieux, elle s’est pendue à l’aide d’une écharpe avec une poignée de son armoire. Chose qui avait étonné beaucoup de gens, comment une personne peut donc se donner la mort en se pendant à la poignée d’une armoire ?

Selon Rama Valayden, les collègues de Sarah Boitieux avaient été appelés a prendre congé le jour de sa mort. La clé de l’énigme réside sans doute dans les dossiers dont s’occupait la jeune femme.

Hors-Texte

En 2016, un homme qui se pend à … un lavabo

Arvind HurreechurnLes ‘suicides’ qui laissent planer le doute ne sont pas chose nouvelle. Ainsi, en 2016, au Moka Detention Centre, un policier, Arvind Hurreechurn, s’était apparemment donné la mort dans sa cellule le 20 octobre 2016.

Ce constable de 30 ans, habitant Rivière-du-Rempart et affecté au poste de police de Piton, avait été arrêté le 25 octobre, soit 5 jours avant sa mort, à l’aéroport alors qu’il revenait de Madagascar. Il avait en sa possession de l’héroïne valant Rs 35 millions.

Ce sont les policiers en faction au MDC qui ont fait la découverte macabre lors de leurs rondes.

Le jeune homme s’était donné la mort en se pendant… au lavabo de la cellule no 14. Les gens ont toujours considéré cela comme un scénario improbable.

Neevedita Nundowah