Navin Ramgoolam convoité

Les spéculations enflent depuis le désormais fameux « koz kozé » entre Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth aux célébrations du 74ème anniversaire de l’indépendance de l’Inde. Une scène qu’on n’a pas vue depuis des lustres. Certainement pas post-2014, les scrutins de cette année-là ayant été suivis par une politique vengeresse inlassable et impitoyable du MSM à l’encontre de Navin Ramgoolam, de son ancien gouvernement, de son parti et de tous ceux jugés trop proches de lui, à l’exception du Judas de service, et culminant avec l’épisode « katori » aux élections de novembre 2019. Ce qui avait creusé davantage le fossé entre Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth, bien plus qu’entre le PTr et le MSM.

Sans surprise donc que cette scène montrant les deux leaders politiques en mode « koz kozé » est devenue le « talk of the town », chacun y ajoutant son grain de sel. Si certains le prennent avec des pincettes préférant n’y voir que des spéculations, d’autres y voient nettement plus qu’un banal échange de civilités. D’autant que cela s’est passé chez leur hôte, le Haut-commissariat de l’Inde à Maurice. Le gouvernement indien est-il pour quelque chose dans ce qui est considéré comme un dégel des relations entre les deux hommes ? La question revêt une importance capitale, surtout quand le plan de Mother India concernant Agaléga et ses considérations géopolitiques est un secret de polichinelle.

Mais il convient de voir au-delà de ce « koz kozé », qu’il soit impromptu ou prémédité. Si Navin Ramgoolam est de nouveau courtisé par l’opposition, qui l’avait exclu indécemment de la plateforme commune dont il était l’artisan, et plus récemment par le gouvernement à travers Pravind Jugnauth qui lui était jusqu’ici pourtant très hostile, c’est parce qu’il sera très difficile, voire impossible, de le contourner sur l’échiquier politique lors des prochaines législatives. L’Alliance de l’Espoir n’a aucune chance de faire chavirer le gouvernement sans le Parti Travailliste et de son leader Navin Ramgoolam qui est toujours plébiscité par une grande majorité du camp rouge.

Les Bodha et Bhadain n’ayant pas, jusqu’à preuve du contraire, le même poids politique que Navin Ramgoolam, les Bérenger et Duval n’ont pas d’autre choix que de frapper à la porte de l’ancien Premier ministre travailliste. Quitte à revenir sur leur dernière position qui l’avait exclu du Regroupement de l’opposition. Navin Ramgoolam, en bon stratège, en est conscient. Et il avait donné le ton dès la mi-juillet, en soutenant que « nou pane rode auken l’entente ek personne. Se bane la ki pe rode nou la […] nou kone nou la force ». Ce qui a quelque peu refroidi les ardeurs de l’Alliance de l’Espoir aux egos surdimensionnés. D’autant que les dirigeants de cette alliance semblent être plus préoccupés par la répartition des responsabilités dans un éventuel gouvernement que le réel projet de société qu’ils disent prôner.

Quant à Pravind Jugnauth, il doit se rendre compte de son impopularité et de celle de son gouvernement. Empêtré qu’il est dans l’affaire Angus Road, avec l’étau qui se resserre autour de son colistier et ancien ministre Yogida Sawmynaden en refusant de soumettre son ADN dans le sillage de l’enquête judiciaire sur la mort de l’activiste Soopramanien Kistnen, et avec la situation au niveau économique et social qui se corse, son gouvernement est de plus en plus fragilisé. Le MSM du fils Jugnauth, ne pouvant se fier aux seuls Muvman Liberater (ML), Plateforme Militante (PM) et Mouvement Alan Ganoo, pourrait trouver un soulagement s’il avait une béquille politique sur laquelle se reposer. Ce réconfort, il peut le retrouver auprès de Navin Ramgoolam, le PTr ayant déjà œuvré pour le sortir du ‘karo kan’ et le ramener à l’hôtel du gouvernement en 2009 et ensuite au gouvernement aux élections de 2010.

Au milieu de toutes ces convoitises et supputations, Navin Ramgoolam doit certainement se réjouir. Il sait qu’il ne peut être effacé d’un trait de plume. N’est-ce pas d’ailleurs la raison principale pourquoi le MSM a systématiquement axé ses attaques sur lui durant ces dernières années ? Mais Navin Ramgoolam n’a pas encore dit son dernier mot. Que fera-t-il ? Une alliance avec le MSM en dépit de sa politique vengeresse à son égard et des scandales qu’il traîne, mais qui apaisera les tensions dans le pays ? Ou une coalition avec l’opposition pour changer véritablement la destinée du pays ? Ou encore prendra-t-il le risque d’aller seul aux prochaines élections avec les risques que cela comporte et ce qu’on a déjà vu en 2019 ?

Théoriquement, les prochains scrutins ne sont que dans trois ans. Mais un peu d’éclaircissement dans le nuage sombre de la politique locale ne peut que nous embaumer le cœur. D’autant que les municipales se précisent, avec la présence remarquée des membres du gouvernement dans leurs circonscriptions alors que l’opposition persiste, elle, à perdre son temps dans des conférences de presse ennuyeuses alors que le terrain demande à être labouré assidûment.