Le député travailliste Osman Mahomed est inquiet par la situation qui règne dans une partie de sa circonscription, plus précisément à Vallée Pitot, depuis que cette région a été décrétée zone rouge. Mais pas que. Il est aussi préoccupé par la situation économique et la politique gouvernementale, entre autres. Il nous en fait part lors de cet entretien…
Zahirah RADHA
Q: Vallée Pitot, qui fait partie de votre circonscription, a été décrété zone rouge dans des circonstances douteuses en début de semaine. Cela vous étonne-t-il ?
Je suis évidemment étonné par la façon dont Vallée Pitot a été subitement décrété zone rouge. Sur quels critères le ministre de la Santé s’est-il basé pour prendre cette décision ? Lors de sa conférence de presse le jour de cette annonce, il a tenté de se justifier en expliquant que le faible taux de participation aux exercices de dépistage, soit seulement 28, 57 et 12 personnes dépistées les 13, 17 et 20 mai respectivement, a contribué à rendre floue la situation. Rien que sur cette base, il a enclavé toute une région composée d’au moins 15 000 à 20 000 habitants qui se retrouvent soudainement paralysés, avec toutes les implications que cela comporte.
J’estime que ces exercices de dépistage ont été mal faits. Il est vrai que le gouvernement ne compte pas de députés dans cet endroit, mais je pense que si la collaboration des trois élus de l’opposition, dont deux du PTr, incluant moi-même, et un du MMM, avait été sollicitée, nous aurions pu faire augmenter le taux de participation à ces exercices de dépistage. Hélas, je ne l’ai su que très en retard. Je suis cependant satisfait que, suite à mon interpellation de mardi, le ministre Jagutpal a accédé à ma requête de procéder à un nouvel exercice de dépistage le plus vite possible. Ce qui a été fait jeudi. Plus de 800 personnes ont répondu présentes à notre appel, et je les remercie infiniment pour leur coopération, pour se faire dépister comparé aux précédents exercices du ministère. C’était une étape importante pour qu’on puisse connaître la situation réelle, d’autant qu’il n’y a eu que deux nouveaux cas qui ont été recensés suite à ce dépistage. Dès ce lundi, j’interpellerai le ministre de la Santé pour savoir s’il compte maintenir ou enlever Vallée Pitot de la zone rouge.
Q: Enclaver une localité entière sur la base de simples doutes ne relève-t-il pas d’une solution facile?
Tout à fait. C’est une solution facile parce qu’elle n’a été prise que d’un trait de plume. Si le ministre m’avait fait part de ses préoccupations avant de prendre cette décision, j’aurais pu faire de sorte, avec le coup de main de mes colistiers, qu’on n’en arrive pas là. Cette situation, qui a provoqué des ‘panic buyings’ et qui a contraint des personnes à rester chez des proches au lieu de regagner leurs maisons après l’annonce du ministre, aurait pu être évitée s’il y avait eu des discussions au préalable.
Q: Les habitants, composés majoritairement de familles vulnérables, de self employed et de marchands ambulants, ne sont-ils pas pénalisés par cette décision brusque et irréfléchie du gouvernement?
Certainement ! C’est une situation qui a créé des problèmes sociaux, économiques et familiaux. J’ai reçu plusieurs appels des personnes « ki travay gramatin pou manze tanto », ainsi que des commerçants qui ont été incapables de travailler en raison du confinement. Heureusement qu’on a pu trouver une solution satisfaisante pour les élèves qui devaient obtenir leurs résultats du PSAC après que je fus intervenu auprès d’un cadre du ministère de l’Éducation. Mes démarches auprès de la SBM depuis lundi soir pour qu’une ATM soit installée à Vallée Pitot ont aussi porté leurs fruits, après maintes discussions et négociations. Mais tout cela aurait pu être évité s’il y avait eu un bon ‘planning’. Comme je l’ai déjà dit, même si nous sommes des députés de l’opposition, nous sommes disposés à collaborer avec les autorités si elles nous le demandent.
Q : Allez-vous faire pression sur le gouvernement pour que Vallée Pitot soit enlevé de la zone rouge au cas où il y a peu de cas positifs enregistrés à la suite de ce nouvel exercice de dépistage ?
Absolument. S’il n’y a pas ou très peu de cas de nouvelles contaminations, il n’y a pas de raison pour maintenir cette région dans la zone rouge. Je dois aussi faire ressortir que j’avais prévu d’interroger le ministre de la Santé, à travers une question parlementaire pour ce mardi, sur les critères sur lesquels le gouvernement se base pour d’abord décréter et ensuite enlever un endroit d’une zone rouge.
Q : Croyez-vous qu’il y a un flou dans la façon dont des régions sont décrétées zone rouge ?
Vallée Pitot servira de ‘test case’. Une fois qu’on aura tous les résultats, je les analyserai avant d’en discuter avec le ministre Jagutpal. Il est évident que le virus sera présent pendant encore quelque temps chez nous. Or, le ministre a clairement dit qu’il n’envisage pas d’imposer un confinement national, mais qu’il privilégie plutôt la mise en place des zones rouges pour éviter la propagation locale du virus. Je ne peux pas me prononcer sur l’efficacité de cette stratégie car je ne suis pas expert dans le domaine. Par contre, il est très important de connaître ces critères d’établissement et d’enlèvement des zones rouges car des centaines de milliers de personnes en seront concernées dans les semaines et les mois à venir.
Q: Votre ‘constituency clerk’ et votre collègue parlementaire Eshan Juman ont été convoqués par le CCID dans le sillage d’une manif pro-Palestine tenue récemment. Pensez-vous être le prochain sur la liste?
Possiblement oui car j’y étais également présent. Cette manifestation ayant été tenue dans ma circonscription, je me suis fait un devoir de s’enquérir de la situation. J’ai demandé à mon ‘constituency clerk’ Sheikh Muktar Hossenbaccus de se rendre au poste de police de Pope Hennessy dimanche matin pour voir si la tenue de cette manif avait reçu le feu vert des autorités. C’est ce qu’il a fait. Un policier lui aurait confirmé que la manif avait été autorisée en brandissant une correspondance officielle. Sur la base de cette information, je m’y suis rendu en tant qu’observateur. J’ai d’ailleurs rencontré, en chemin, mon collègue Eshan Juman, qui s’y dirigeait aussi.
Je dois faire ressortir qu’une fois sur place, il n’y avait aucune résistance au niveau de la police. La presse s’est approchée de nous et nous avons tous les deux fait une déclaration en faveur de la Palestine. Nous ne sommes restés qu’une dizaine de minutes et il n’y avait pas plus que neuf ou dix personnes autour de nous, bien qu’il y ait eu, au dernier moment, un petit attroupement un peu plus loin, mais que la police a dispersé tout de suite. Cela peut être prouvée par les caméras de surveillance.
Q: Avez-vous été surpris par l’attitude de la police alors qu’elle ne s’était pas, selon vous, montrée résistante ?
J’étais étonné que la police ait convoqué mon ‘constituency clerk’ ainsi que celui d’Eshan Juman à une heure aussi tardive, surtout un dimanche. Je suis arrivé aux Casernes centrales vers minuit, après que mon ‘constituency clerk’ m’ait fait part de la nouvelle. Autant que je sache, ils n’ont pas commis de crimes ou de délits graves. Quelle urgence y avait-il donc pour les interpeller au beau milieu de la nuit ? Cela a créé une perturbation inutile alors qu’ils auraient pu être convoqués, si besoin est, d’une façon civilisée le lendemain matin.
Q: Cela ne reflète-t-il pas le pourrissement et la politisation des institutions?
Je pense qu’il y a effectivement un problème à ce niveau. Sinon, quelle aurait pu être la motivation d’une telle démarche ? D’ailleurs plusieurs avocats, et même le président du Bar Council, ont dénoncé cette attitude de la police.
Q: Vous avez évoqué plus tôt votre position en faveur de la Palestine. La décision du gouvernement de ne pas rompre ses relations diplomatiques avec Israël vous déçoit-il ?
C’était suite à une question parlementaire que j’avais adressée au ministre des Affaires étrangères qu’il a révélé que le gouvernement n’avait aucunement l’intention de rompre ses relations diplomatiques avec Israël. Ce qui est dommage. Car une telle démarche, venant d’un petit État comme le nôtre, aurait envoyé un signal fort sur le plan international.
Je suis d’autant plus surpris par la décision du gouvernement car Israël ne nous a jamais soutenu dans notre combat pour les Chagos. Il a, au contraire, voté pour les intérêts de la partie adverse. Par contre, la Palestine, bien qu’elle n’ait pas un droit de vote aux Nations Unies, a toujours fait du ‘lobbying’ en faveur de Maurice. Est-ce ainsi qu’on prouve notre reconnaissance alors que des femmes et des enfants ont été tués cruellement et que des lieux de culte, dont Al-Aqsa, sont pillés pour des fouilles archéologiques tandis que nous sommes signataires de certains accords visant à les protéger ?
Je suis étonné par l’octroi des contrats du gouvernement à des compagnies israéliennes. Parmi, il y a celui d’un montant de Rs 210 millions octroyé, sans appels d’offres, à ECI Telecom par le CEB Fiber Net Co. Ltd pour l’installation de câbles à fibres optiques. Ce qui est suspect car les compagnies israéliennes ont de l’expertise dans le système d’espionnage. C’est tout naturellement donc que je m’interroge sur la politique du gouvernement sur le dossier israélo-palestinien.
Je tiens aussi à souligner que le conflit israélo-palestinien ne relève pas d’une question religieuse, mais plutôt d’une question de colonisation, de droits humains et d’oppressions qui ne concerne pas que les Musulmans, mais aussi des Chrétiens qui y habitent ainsi que des Athéistes. J’ai d’ailleurs noté avec beaucoup de plaisir les posts d’internautes mauriciens non-musulmans soutenant que « You don’t need to be a Muslim to support the Palestinian cause ». Cela m’a fait très chaud au cœur.
Q: En tant que député d’une circonscription urbaine, le renvoi probable des élections municipales vous interpelle-t-il ?
Je dirai d’emblée que la situation dans les villes n’est guère semblable à celle des villages. Que le Premier ministre se base sur les élections villageoises pour prétendre qu’il n’a pas peur des municipales est donc mal inspiré. Les résultats obtenus dans les villes aux dernières élections générales le démontrent de façon claire et nette. Rien que dans ma circonscription, où le pourcentage de l’alliance PTr-PMSD a été le plus élevé, et celles d’à côté, l’opposition a fait une performance remarquable. Cette tendance se maintient toujours car nous, mes collègues de l’opposition et moi-même, n’avons pas abandonné le terrain. Je suis sûr et certain, et je le dis en toute modestie, que les résultats des prochaines municipales seront en notre faveur.
Je concède que la crise sanitaire ne favorise pas la tenue des élections. Je donne donc au gouvernement le bénéfice du doute concernant un éventuel renvoi. Mais je souhaite qu’on n’ait pas à attendre deux ans avant la tenue de ces élections. Les municipalités ne fonctionnent plus comme il se doit. Celle de Port-Louis a perdu ses lettres de noblesse. C’est inacceptable qu’un député doive intervenir pour qu’un lampadaire puisse être réparé après des mois de panne. Où sont les conseillers municipaux ? Que font-ils ? Ne sont-ils pas élus pour faire ce travail ?
Outre la gestion des mairies, l’état des infrastructures récréatives et sportives est aussi scandaleux. J’avais adressé une question en ce sens au ministre Husnoo la semaine dernière. Je lui ai dit que ces infrastructures doivent être rénovées maintenant pour que les dames et les jeunes puissent se détendre après la levée des restrictions sanitaires. Car le confinement a déjà eu un effet négatif sur eux. Mais je ne vois rien venir.
Q: Le rôle et les responsabilités des élus municipaux doivent-ils être revus ?
Définitivement. Il faut d’abord qu’ils aient une formation. Une fois que le PTr aligne des candidats aux municipales, je souhaiterais avoir une relation de travail étroit avec eux. Il faut une bonne synergie entre les députés et les conseillers municipaux pour que le travail soit fait. Il nous faut optimiser les ressources pour que les habitants puissent sortir gagnants. L’objectif doit être de servir les citadins au lieu de faire de la politique.
Q: Maurice classé parmi le ‘top ten’ des pays autocratiques. Vous en pensez quoi ?
Je suis content que vous m’ayez posé cette question. Je ne sais pas trop sur quels critères V-Dem s’est basé pour allouer ce ‘very bad rating’ à Maurice, mais il faut surtout voir ses implications, dont sur l’investissement. Ayant déjà travaillé au ‘Board of Investment’ (BOI) et ayant fait partie de plusieurs missions pour des campagnes promotionnelles, je peux vous dire qu’un des facteurs qu’on met toujours de l’avant en premier, c’est le statut démocratique de Maurice. Les investisseurs étrangers le considèrent comme un point crucial pour s’assurer que les institutions fonctionnent bien et qu’il y a une stabilité politique pour que leurs investissements soient protégés.
L’‘Economic Development Board’ (EDB) devra être appelé à révéler l’impact que ce rapport a eu sur le taux d’investissement depuis qu’il a été publié. Moi, je n’ai pas de doutes que les investisseurs étrangers vont ‘back out’. Ce qui est préoccupant, surtout à un moment où on a le plus besoin d’investissements. Je dois aussi ajouter qu’il y a un sérieux problème concernant la disponibilité des devises étrangères dans le pays en ce moment et des importateurs en font les frais.
Q: Le prochain budget, prévu pour le 11 juin, sera-t-il une occasion pour adresser ces problèmes tout en donnant un nouveau souffle à notre économie ?
Je souhaite que l’économie soit relancée. Comparé à l’année dernière, le gouvernement ne pourra pas utiliser les fonds de la Banque de Maurice pour financer ce budget. J’ai bien peur qu’il ne contracte ainsi davantage de prêts, d’autant que le plafond des dettes publiques a été enlevé suivant un amendement à la ‘Public Debt Act’. On se retrouve dans une spirale d’endettement infernale, d’où il nous sera difficile de s’en sortir. D’ici 2024, nous aurons un demi-million de roupies de dette par tête d’habitant. C’est très inquiétant.
C’est malheureux que le gouvernement n’ait pas pu saisir l’occasion que nous a donnée la Covid-19 pour réinventer et développer notre économie. Il persiste à s’enliser dans des projets qui sont loin d’être prioritaires, comme la révision de la carte d’identité nationale, la construction d’un ‘World Trade Centre’ ou encore l’extension du Métro Express d’Ébène à Réduit, sur une distance de 3 km, au coût grossement exagéré de Rs 4, 5 milliards. D’ailleurs, je me demande si ces Rs 4, 5 milliards n’incluent pas d’autres frais comme le coût des trams additionnels pour faire baisser le coût de la phase 1, et dont le gouvernement s’en est toujours vanté.
Jusqu’ici, il n’y a pas eu de ‘new normal’. La construction des bâtiments ne créé pas d’emplois alors que rien n’a été fait durant les 6 ou 7 dernières concernant l’économie bleue par exemple. J’attends donc de voir ce que le prochain exercice budgétaire nous réservera.