Plages publiques : Éternelle braderie

Les gouvernements se suivent et se ressemblent.  La braderie des plages publiques du pays ne semble pas vouloir s’arrêter.  Il existe déjà une liste très longue des pas géométriques qui ont été sacrifiés aux promoteurs d’hôtel et autres propriétaires de bungalows au fil des années. À cette liste il faut aussi ajouter les 16,6 arpents retirés du domaine public à St-Felix.  Cette braderie qui dure depuis des lustres est à la fois avantageux mais comporte son lot de risques, ce qui explique les soulèvements contre certaines pratiques dans ce sens.

Marwan Dawood

 

On a eu tort d’y croire au changement en décembre 2014.  Les plages de l’île Maurice aussi belles qu’elles sont se font aujourd’hui rares.  Si à l’étranger, les autres pays considèrent leurs plages comme un trésor, un cadeau venu du ciel, ici chez nous, les plages deviennent un produit qui rapporte beaucoup d’argent à la caisse de l’État.

 

Les plages du Sud au centre des convoitises

Après le littoral nord de Maurice, les promoteurs lorgnent-ils le littoral sud du pays ? Le gouvernement est-il plus enclin à déproclamer des bouts de plages publiques de cette région ?  La braderie du Nord terminée, les autorités s’attaquent maintenant aux derniers lopins de terre qui étaient restés pendant de longues années à l’état quasi sauvage.  Après Bel-Ombre il y a quelques années, les yeux sont maintenant rivés sur La Cambuse et St-Félix.  À ce rythme, une question se pose, assisterons-nous à la disparition de Sud sauvage ?

Pourtant, en 2003, le gouvernement d’alors dans lequel l’actuel ministre  du Logement et des Terres, Showkutally Soodhun , faisait partie du cabinet, avait publié une National Development Strategy.  Gros de 212 pages, ce document contient plusieurs points concernant la région côtière du Sud, nommé la «South Coast Heritage Zone ».

On peut y lire plusieurs extraits qui stipulent que les développements hôteliers dans ces régions doivent être limités aux petits projets.  Le point un stipule ceci : «The South Coast Heritage Zone (covering an extensive area from Blue Bay to Baie du Cap inclusive of Surinam, Souillac and Bel-Ombre) ; and the South West Natural Zone which includes the Black River Gorges National Park and a buffer zone, incorporate strategies to protect the natural environment. It is proposed that within the South Coast Heritage Zone, the existing coastline is preserved and that only limited tourism development should be permitted in and around existing centres, where inward investment can contribute to development clustering and therebysustain local economies. »

Outre ce point à la page 123, il y a aussi une liste de trois points qui stipulent :

  • La protection des côtes contre le développement
  • Un développement contrôlé dans les périmètres des Pas Géométriques
  • Encourager la construction des petits hôtels de haute qualité et le développement des « guest house » dans le centre des villages.

En sus de cela, il y a aussi le point qui stipule concernant le développement touristique dans ces régions de l’île. « Tourism development within the South Coast Heritage Zone should be limited to existing settlements. Development within Environmentally Sensitive Areas (ESAs), areas of moderate/ high suitability for agriculture or areas of landscape significance in the South West Natural Zone should not be permitted, other than to sustain local economies. Such limited developments should be in accordance with Policy SP15 Development in the Open Countryside, environmental policies and include environmental improvements to recreational, leisure and educational facilities. »

 

St-Felix fait monter la marée de contestation

Cette plage proclamée publique en 1991, a au fil des années rétrécit.  Dans un document datant de mai 2003, la plage de St-Felix était d’une superficie de 2.745 (Ha) avec un front de mer d’approximativement 990 mètres.  C’est ce qui apparait dans le Government Notice numéro 495 de 1991.  Cependant sur le site officiel de la Beach Authority, la même plage de St-Félix a considérablement rétréci. On peut y voir que la superficie s’étend cette fois-ci sur 6.6456 hectares (Ha) les 0.6343 (Ha) du Government Notice 495/1991.

Mais le front de mer qui faisait 990 mètres à l’époque fait aujourd’hui 391 mètres, ce qui révèle  le Government Notice No 214 de 2005. Jusqu’ici tout va bien, mais le fait intrigant concerne un troisième chiffre cette fois-ci publié dans le rapport annuel de la Beach Authorityen 2013, les détails sont comme suit : La superficie est cette fois-ci de 6.6454, pour un front de mer de 819 mètres. Ces détails apparaissent dans le Government Notice No 214 de 2005.

La déproclamation de Pomponette prévue depuis avant ?

Si tel n’est pas le cas, on se demande ce qui explique la disparition au fil des années de ce Pas Géométrique sur les documents. En 2003 toujours, la plage de Pomponette (P.G Bel Air) s’étendait sur une superficie de 6.994 (Ha) pour un front de mer de 915 mètres et proclamée publique dans le Government Notice No 608 de 1991. Mais que ce soit sur le site web de Beach Authorityou dans le rapport annuel de ce même organisme datant de 2013, aucune mention de ce Pas Géométrique n’est faite.

 

Polémique à Blue-Bay

Une fois de plus dans la région du Sud-Ouest, cette fois-ci à Blue-Bay.  Le ministère du Logement et des Terres annonce la déproclamation de 247m2 de plage publique.  Dans cette annonce parue le 18 juillet 2016, on peut y lire que le but de cette déproclamation est de « for the purpose of regularising an encroachment by Blue LagoonHotel Ltd. » Le porte-parole du mouvement ArretKokin Nu Laplaz, Yan Hookoomsing, s’est prononcé sur le sujet : «C’est incroyable. Un hotel empiète sur la plage publique et le ministre Soodhun a tout fait pour que cela soit proclamé légal par les autorités. Les promoteurs font ce qu’ils veulent avec nos plages publiques et cela avec la bénédiction du ministre Soodhun. » 

 

Soodhun pas tendre envers les ONG

Le vice-Premier ministre et ministre du Logement et des Terres, Showkutally Soodhun se défend bec et ongles et tente de faire du business avec nos Pas Géométriques.  De l’autre côté, les organisations non gouvernementales sont accusées de ne pas être parti prenante et essaient de «boycotter »  les projets hôteliers qui selon le ministre vont créer de l’emploi.  Mais ce dernier avance aussi une autre raison. «Ce sont des endroits dangereux et isolés où il y a eu mort d’homme », a-t-il déclaré en conférence de presse. Showkutally Soodhun  s’est-il embarqué dans une opération visant à se débarrasser de tous les lieux qui pourraient mette en péril la vie des Mauriciens ?  Faut pas nier, il y a du pain sur la planche.

Mais le ministre se défend et dit agir selon l’Integrated Plan for Tourism and LeisureDevelopment, mis sur pied il y a des années.  Il précise aussi que «parallèlement, son ministère a mis au domaine public 15 arpents et 74 perches comme plage publique à St-Felix ».  Mais pourquoi un tel argument ? Ces 15,7 arpents proclamés plage publique, datent du 14 février 2005, comme écrit dans le Government Notice No 214 de 2005.

Mais pourquoi sacrifier nos plages en prétextant que c’est pour le développement est un luxe qu’on ne peut plus se permettre ?  Et  ce n’est pas tout, le régime actuel se renvoie les responsabilités de ces braderies continues  de nos plages.  Même s’il est vrai que l’ancien régime a beaucoupfait brader nos plages.

 

Le bilan de l’ancien régime

Entre 2005 et 2013, 24,77 arpents de plages publiques principalement dans le Nord ont été déproclamés pendant que 78,57 arpents sont alors entrés dans le domaine public. Ce qui fait un total un peu plus de 6 kilomètres de front de mer.  Mais peu importe, comme nous l’avons mentionné plus haut dans le texte, il y a eu neuf demandes agréées depuis 2005. De ces neuf demandes, six sont uniquement dans le Nord.  De ces six, quatre se trouvent dans les régions de Pointe-aux-Piments et Trou-aux-Biches.

En 2013, un document émanant du ministère du Logement et des Terres donne plusieurs indications, dont la plus grande superficie de Pas Géométriques déproclamés qui se trouvait à Coteau Raffin au lieudit Comtesse de Lamarque. En 2007, soit le 23 mai plus précisément,  le gouvernement avait déproclamé 9.9 arpents du domaine public, pour l’allouer à la compagnie Tatorio Holdings.  Cette compagnie voulait y construire un projet IRS (Integrated Resort Scheme) et voulait ouvrir le chantier la même année.  Plus de neuf ans après, les premiers coups de pioche se fait toujours attendre.

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En 2010, le 14 octobre 6,5 arpents ont été déproclamés pour les besoins d’un centre récréatif pour personnes du troisième âge à Pointe-aux-Piments.  Et au hit-parade de plus grandes superficies rayées du domaine public, ces 6,5 arpents prennent la deuxième place puis suit les 3,18 arpents de Ville Valio, à Balaclava.  C’était pour permettre à l’hôtel Oberoi d’agrandir son domaine et ce n’est que 16 mars 2013 que le groupe a pris possession de ses terres.

C’est en 2013 que le pays a vu le plus de Pas Géométriques entrer dans le domaine public et ce depuis 2005. Il y a eu pas moins de 11 annonces seulement entre janvier et septembre 2013. Ces plages sont : Petite-Case Noyale, La Prairie, Les Salines Koenig, Vieux Grand-Port, Virginia et Ruisseau Créole. Ces plages totalisent en tout, 39,98 arpents de plages qui sont rentrés dans le domaine public. À noter qu’en 2008 et 2011, le gouvernement d’alors n’avait procédé à aucune proclamation.  Par contre, en 2006, 2007, 2009 et 2012, le gouvernement l’a fait une seule fois.  En ce qui concerne le front de mer, la longueur des Pas Géométriques déclarés publics depuis 2005 est de 6 014,82 mètres.

 

Avons-nous trop d’hôtels à Maurice ?

En tout cas c’est ce que pense Yan Hookoomsing, porte-parole du collectif Arret Kokin Nou Laplaz.  Les statistiques ne mentent pas. La superficie des plages mauricienne est longue de 322 kilomètres. En ce qui concerne les plages publiques, la superficie s’étend sur seulement 32 kilomètres, soit 10% uniquement de la totalité des plages.  Mais de l’autre côté de la manche,  les hôtels, les projets IRS et les parcours de Golf totalisent en tout 63 kilomètres de nos côtes.  Pour faire court, 1,1 million de touristes profitent à peu près 20% de nos côtes, soit deux fois plus que ce que peuvent en profiter  les 1,2 million de Mauriciens.

Cependant, il est écrit noir sur blanc que les hôtels ne remplissent jamais à 100%. Même si les arrivées touristiques sont en hausse depuis quelques années, pour l’année 2015, les chiffres démontrent qu’il n’y a pas lieu de construire de nouveaux établissements hôteliers, car les hotels existants ne peuvent faire le plein.

Le taux de remplissage des chambres en moyenne pour l’année 2015 était de 70%, ce qui signifie qu’il y avait 30% de places libres.  Depuis 2010, cette situation perdure. Le taux de remplissage dans les hôtels ne dépasse pas 65-70% par an et un tiers de leur capacité ne trouve pas preneur.

Mais avec les nouveaux projets annoncés, nous risquons le surdéveloppement.  Faut-il le rappeler qu’en 1980, il y avait seulement 43 hôtels et qu’en 2016, nous en sommes à 115 ? Et que dire du Mauritius Vision 2020, présenté en 1997 ?

 

Le projet Green Ceiling

En 1997, le gouvernement d’alors avait présenté un projet de développement durable nommé le Green Ceiling.  «Quality tourism- the green ceiling Mauritius combination of beautiful beaches, well run hotels and friendly people has enabled tousirm to grow from nothing to become one of the three main industries. Mauritius popularity is such that the number of tourists, which rose 4-fold between 1975 and 1992, could, in theory, rise a further 4-fold by 2020. However, Mauritius appeal is as a quality destination, exotic, safe, beautiful and peaceful. An equally appealing feature is the harmonious coexistence of diverse cultures which make up the Mauritian nation. Over-development would destroy this appeal, threaten the ecology of the lagoons, and deprive Mauritians of a proper share of their own beaches.  Accordingly it has been estimated that total capacity can be increased from the present 5,300 hotel rooms only to a maximum of 9,000 rooms. Beyond this green ceiling, increased earnings will have to come, not from higher numbers, but from higher spending per visitor, with still higher standards of provision and a wider range of activites, including, perhaps inland and eco-tourism. »

Hélas, cette Vision 2020 n’a pas été respectée. Nous en sommes aujourd’hui à 13 617 chambres d’hôtel.

 

Le public n’approuve pas la prise des plages par les hôtels

Deux plages font l’actualité ces dernières semaines.  Nous étions cette semaine à Pomponette et  St-Felix où nous avons pu rencontrer quelques personnes venant de la région et même d’autres endroits. Et ils sont catégoriques : le gouvernement ne doit pas toucher aux plages.

Simon  habite à Chemin-Grenier et nous le rencontrons à Pomponette en compagnie de son fidèle ami Deepak. « Mo pas comprend kifer gouvernement pe rode ferme ène laplaz pou fer lotel. Ici éna beaucoup dimounes ki vini mem zot pas ressi nazé mais zot content sa place là. Ici li retirer, partout trankil. » Deepak abonde dans le même sens que Simon : « Nou pas dakor, li vrai ki sa capav créer l’emploi mais pas vé dire bizin prend nou la mer, prend nou laplaz. »

Shameem est lui en famille. Accompagné de ses deux filles et de son épouse, cet homme qui habite Souillac depuis son enfance est catégorique : « Nou pas pou dakor ki zot prend sa laplaze là. Parski dépi zenfant mo vine ici, mo content laplaz là, gouvernement bizin revoir so décision. »

Même son de cloche à St-Felix.  Plusieurs associations du troisième âge s’étaient déplacées  ce mercredi-là.  Certains ne savaient pas que cette plage allait disparaitre, tandis que d’autre s’y opposent. Rajen habitant de Rose-Hill : « Ici péna so second. Boku dimoune vini ici, ou trouvé ou meme là couma ène mercredi éna dimoune lor laplaze. Li vrai ki li danzéré mais li nou plaisir vine ici, gouvernement pas gagne droit prend sa ek nou. »