Qu’en est-il de la protection des sources journalistiques ?

Les récents événements choquants et indignes depuis quelque temps entre la presse et les autorités nous poussent à remettre sur le tapis un débat qui a pendant longtemps été discuté, c’est-à-dire un cadre légal pour la protection des sources journalistiques.

Si l’on prend comme simple exemple le cas des journalistes qui ont été arrêtés et interrogés récemment sur une affaire qui a défrayé la chronique, il semble que ces derniers pourraient faire l’objet d’un judge’s order – selon certaines sources – afin de les obliger à remettre leurs téléphones portables et leurs ordinateurs à la police. Chose qu’ils n’ont pas capitulé. Une obligation qui pourrait permettre aux autorités d’avoir accès à des informations par rapport à leurs sources non seulement sur l’affaire en question mais possiblement sur d’autres sujets qui ont été publiés par leur journal.

Alors quelles sont les dispositions de la loi pour protéger les sources journalistiques ? Eh bien, figurez-vous qu’il n’y a pas de législation qui régule la presse écrite à Maurice. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de loi qui protège les source(S) d’un journaliste. Mais cela ne veut pas dire que les journalistes sont obligés de dévoiler leurs sources puisque nous avons dans notre constitution la liberté d’expression et le droit à l’information qui y sont inscrits dont les journalistes pourraient y invoquer. Sauf que cela ne suffit pas selon certains experts légaux des médias puisque tout est à la discrétion des autorités et que dépendant de l’affaire en question, cela pourrait être un « contempt of court » si un journaliste ne les révèle pas.

La protection du secret des journalistes est un sujet technique, donc abscons, mais vital à une démocratie. Selon Reporters sans frontières, « La protection des sources, parmi lesquelles les lanceurs d’alerte, permet au Reporter de s’appuyer pour son travail de vérification des faits, sur des personnes qui souhaitent préserver leur anonymat et ne pas être inquiétées. Faute d’anonymat, leur parole ne serait pas libre et l’information ainsi privée des sources précieuses ». En France par exemple, le droit à la protection des  sources d’information a été inscrit en 2006 dans la loi de juillet 1881 qui régit la liberté de la presse avec également l’adoption définitive d’une proposition de loi sur l’indépendance et le pluralisme des medias en octobre 2016.  À noter quand même que la protection des sources est inscrite dans le droit français depuis 1993. Même initiative pour la Belgique, où le parlement avait voté, en avril 2005, une loi garantissant aux journalistes le secret de leurs sources. Des mesures certes qui ne sont évidemment pas révolutionnaires mais la mesure est plus symbolique qu’autre chose.

Sous nos latitudes par contre, une clause au sujet de la protection des sources de nos journalistes avait déjà été préconisée par Me Geoffrey Robertson en 2013 dans son rapport préliminaire, intitulé « Media law and ethics in Mauritius ». Un rapport qui avait été soumis mais dont aucune des prescriptions avait été mise en vigueur. Mais il serait peut-être l’occasion opportune de rappeler ici que Me Geoffrey Robertson avait recommandé à cette époque dans ce fameux rapport qu’il serait important d’avoir une « new statutory provision » dans nos lois qui définissent que :

“no court may require a person to disclose, nor is any person guilty of contempt for refusing to disclose the source of information contained in a publication for which he is responsible unless it is clearly established that such disclosure is essential in the interests of justice”. – Puisque celui ou celle qui refuse de répondre aux questions pour révéler l’identité d’une source pourrait encourir une peine d’emprisonnement et d’une amende pour contempt of court. Chose que la cour européenne des droits de l’homme avait declaré dans le cas de Goodwin V UK que « contempt against journalist were held to be a breach of the freedom of expression guarantee, which included a presumption in favour of newsgathering [but that] only some overriding and urgent necessity would outweigh the vital interest in the protection of a journalist’s source. »  

Il est clair que la mission première du journaliste est de rechercher la vérité tout en vérifiant et contre-vérifier l’information, la situer dans un contexte, la mettre en forme dans une façon à ce que les lecteurs puissent comprendre avant de publier. Tout ceci dans le respect de l’éthique journalistique qui est un code de bonne conduite et d’honneur qui régit la profession. Sauf que le / la journaliste n’est pas totalement protégé(e) pour pouvoir accomplir sa tâche qui est de fournir des informations de qualité, libres, indépendantes et complètes afin d’informer et d’éclairer l’opinion publique.

Et la protection des sources journalistiques est une des pierres angulaires du métier de journaliste qui permettra d’éviter toute circonstance indigne et choquante d’interrogatoires, d’arrestations et de perquisitions chez des journalistes à 5 heures du matin – signe d’un totalitarisme et une atteinte au droit à l’information qui est un droit fondamental !

Alexandre Laridon

Référence :

  • Goodwin V United Kingdom (1996) 22 EHRR 123
  • rfi.fr – La protection des sources journalistiques
  • Association générale des journalistes professionnels de Belgique
  • Reporters sans frontières
  • Media Law and Ethics in Mauritius – Rapport Preliminaire de Me Geoffrey Robertson
  • L’éthique journalistique : plaidoyer pour une autorégulation – Par Patrick Yvon, Ancien président de l’Union syndicale des employés de presse (USEP)