Reculer pour mieux sauter ?

Pravind Jugnauth a enfin réagi. En présentant une motion à l’ajournement des travaux parlementaires mardi, il a mis fin à la suspension du trio Boolell-Bérenger-Bhagwan de l’Assemblée nationale pour le reste de la session parlementaire. Tout est bien qui finit bien ? NON ! Car cette suspension tout aussi arbitraire qu’anti-démocratique a quand même tenu ces trois vétérans loin de l’hémicycle depuis le 30 mars, soit pendant presque deux mois. Sept longues séances pendant lesquelles leurs interpellations sur des sujets d’intérêt national ou liées à leurs circonscriptions n’ont pu être posées et adressées. Sept interminables semaines où ils n’ont pu faire entendre leurs voix sonores, et par ricochet celles de leurs mandants, sur les débats relatifs aux projets de loi. Sept maudits mardis pendant lesquels ils ont été contraints de suivre les travaux sur leurs écrans au lieu d’être présents en chair et en os dans la Chambre alors qu’ils sont payés des fonds des contribuables pour les représenter.

Il était temps pour que le Premier ministre mette fin à cette entorse de la Constitution dont il est l’un des principaux responsables. Ce volte-face de Pravind Jugnauth a été manifestement motivé par la contestation de la suspension des Boolell-Bérenger-Bhagwan en cour. Il était évident qu’une fois l’affaire appelée ce mardi, le gouvernement serait davantage tourmenté, surtout après les pétitions électorales, d’autant que Maurice s’est récemment hissé parmi les Top-Ten des pays autocratiques au monde. Une autre affaire en cour aurait contribué à discréditer davantage notre image sur le plan international. Il fallait donc trouver une parade pour justifier la levée de cette triple suspension. Les débats budgétaires ont eu bon dos. Tant mieux. N’empêche que le tandem Jugnauth-Phokeer aura quand même réussi dans sa sale besogne pour faire régresser la démocratie parlementaire en se permettant d’agir comme nul autre avant lui n’a osé le faire. Quelle garantie y a-t-il d’ailleurs qu’il ne sévira plus ainsi dans les jours, les mois, les années à venir avant que ne termine le présent mandat ?

Un élu mandaté par le peuple pour le représenter au Parlement ne peut pas en être tenu à l’écart pendant longtemps par un non-élu. Le seul rempart face à ce genre de dérives dictatoriales demeure la justice. Malheureusement, notre système judiciaire, bien qu’il soit encore l’une des rares institutions libres et indépendantes du pays, souffre d’une lenteur pathologique extrême qui pénalise presque tous ceux qui en ont recours. Ne voit-on pas comment les pétitions électorales avancent à pas de tortue alors que dix-huit mois se sont déjà écoulés depuis qu’elles ont été logées ? Cette lourdeur est un handicap majeur qui jouerait inévitablement en faveur du gouvernement dans l’éventualité que des députés de l’opposition souhaitent contester d’éventuelles suspensions, utilisées telles une arme lancinante contre les plus vociférants d’entre eux. Le gouvernement en est pleinement conscient. Il l’utilisera donc à ses fins. Raison pour laquelle ce serait mal inspiré qu’on jubile sur la levée de la suspension du trio Boolell-Bérenger-Bhagwan.