Sir Hamid Moollan QC: « Aucune raison qui justifierait la création d’une Prosecution Commission »

Dès le départ, il prend le soin de nous préciser. « Je représente les intérêts de Navin Ramgoolam et de Satyajit Boolell dans des affaires en cour. Je pourrai donc être subjectif dans certains cas », nous dit, sans ambages, Sir Hamid Moollan QC. Un risque qu’on accepte de prendre. Dans l’entretien qui suit, ce vétéran du barreau essaie d’apaiser les craintes suscitées par le ‘Prevention of Terrorism (Amendment) Bill’, tout en s’interrogeant sur la pertinence de ces amendements. Il se dit, par ailleurs, contre la création d’une ‘Prosecution Commission’. Celle-ci, soutient Sir Hamid Moollan, pourrait donner lieu à des abus.

Zahirah RADHA

 

Q : Le ‘Prevention of Terrorism (Amendment) Bill’ a finalement été voté cette semaine, en dépit des protestations de parts et d’autres. Des amendements à cette loi étaient-ils nécessaires, d’autant qu’il n’y a eu que deux arrestations sous la POTA depuis qu’elle avait été introduite en 2002?

R : Je ne crois pas que cela était nécessaire parce qu’à mon avis, il y a assez de concret dans la loi pour pouvoir réprimer tout abus. Donc, je ne vois pas la nécessité d’une telle action.

 

Q : Le gouvernement a-t-il été mal inspiré alors ?

R : Oui. Je pense qu’on peut effectivement le dire.

 

Q : Une loi suffit-elle pour combattre le terrorisme ?

R : Cela relève plutôt d’une question de politique internationale. Le groupe de pays auquel nous appartenons croit que c’est nécessaire de renforcer les dispositions contre le terrorisme. Dans le cadre de cette lutte, tous les pays de la partie ouest ont influencé les autres, dont Maurice, à leur emboîter le pas. Est-ce que ces amendements étaient absolument nécessaires ? Je me le demande.

  • « Pourquoi a-t-on maintenant besoin d’une instance administrative et non judiciaire pour revoir les décisions du DPP ? Cela donne évidemment lieu à des appréhensions » 

 

Q : Cette loi porte-elle atteinte aux droits humains?

R : Écoutez, l’État est obligé de sauvegarder les droits et les intérêts des citoyens. S’il trouve qu’à travers cette loi, il pourra mieux assurer la sécurité et la protection des individus, il faut qu’il agisse en conséquence. Comme je vous l’ai dit, le groupe de pays auquel nous appartenons pense que cette loi est nécessaire. D’ailleurs, nos gouvernements successifs ont toujours souscrit à cette tendance de s’aligner sur la position de l’ouest. Donc, cette action reste dans la logique de leurs actions et de leurs agissements. Y a-t-il des faits à Maurice qui justifieraient des lois de ce genre à Maurice est plutôt une question de politique fondamentale.

Jusqu’ici, je ne suis pas au courant qu’il y a eu des pratiques d’abus des droits fondamentaux des Mauriciens. Je crois ainsi que la question d’atteinte aux droits humains relève plus de la théorie que dans la pratique.

 

Q : Il y a des craintes que ces amendements visent une communauté particulière. Dans quelles mesures ces appréhensions sont-elles justifiées ?

R : Ce ne sont que des spéculations, voire des procès d’intention. Si jamais, dans les faits, on arrête quelqu’un parce qu’il porte un habit musulman, à ce moment on pourra venir dire qu’il y a une répression contre les musulmans. Mais autrement, il n’y a pas de raisons de s’inquiéter. Le fait d’inclure une clause concernant la façon d’habillement dans une loi veut dire que si éventuellement la façon de s’habiller de quelqu’un est en conformité avec un mouvement de ralliement dans un but qui est contraire à la loi ou à l’ordre public, à ce moment on pourra prendre des actions qui s’imposent.

Idem pour les pavillons. Si vous allez au football avec un pavillon, cela démontre simplement votre appartenance à une équipe et rien d’autre. Mais maintenant si le pavillon est un symbole de ralliement dont le but, qu’il soit déclaré ou non déclaré, serait de faire du désordre, alors oui, il faudra appliquer la loi.

 

Q : La création d’une ‘Prosecution Commission’ est vivement dénoncée par l’opposition, aussi bien que par des différents acteurs de la société civile. La mise sur pied de cette instance serait-elle poussée par des considérations politiques ?

R : Personnellement, je suis contre cette commission parce que c’est une instance administrative qu’on est en train d’imposer dans le système judiciaire. Je crois que celui-ci est complet et qu’il peut combattre toute infraction, s’il y en a. Je ne vois donc aucune raison qui justifierait une telle loi. D’autant qu’elle enfreint les sections 2 et 3 de notre Constitution et qui sont fondamentales à nos libertés. Je ne vois pas d’effet positif qu’elle pourrait apporter. Il se peut, au contraire, qu’il y ait des abus.

Il faut aussi préciser que la décision du DPP peut être revue par la Cour suprême, aussi bien que par le Privy Council. Pourquoi a-t-on maintenant besoin d’une instance administrative et non judiciaire pour revoir ses décisions ? Cela donne évidemment lieu à des appréhensions.

 

Q : Le député Ravi Rutnah a laissé entendre que cette nouvelle instance serait en partie liée à l’abandon des accusations contre Navin Ramgoolam, dont vous défendez les intérêts. Cela vous interpelle-t-il ?

R : A mon avis, faire une loi par rapport à une personne est contraire aux principes de droits que j’ai appris et qui ont été appliquées à Maurice. Une loi doit être appliquée de façon générale et non spécifique. Donc, je pense que cette justification qu’on essaie d’apporter pour expliquer la raison d’être de cette  loi la condamne en elle-même.

 

Q : Avez-vous l’impression que la police et le judiciaire sont devenus, ces derniers temps, des outils de répressions politiques ?

R : Moi, je crois dans l’indépendance du judiciaire et jusqu’à maintenant, rien ne m’a fait douter de cette indépendance. D’autant plus qu’on peut aussi avoir recours au Privy Council si on n’est pas d’accord avec un jugement.

Quant à la police, elle fait partie de l’exécutif et elle agit comme membre de cet exécutif, tout en maintenant l’indépendance du Commissaire de police (CP) par rapport aux ordres extérieurs qu’il pourrait recevoir. En cas de manquements, on peut toujours s’adresser au judiciaire pour les redresser.

 

Q : Venons-en dans un autre registre pour terminer. Des onze accusations qui pesaient contre Navin Ramgoolam, il ne reste qu’une seule. Etes-vous confiant qu’il arrivera à laver son honneur ?

R : Écoutez, cela ne m’a pas étonné que toutes ces affaires ont été abandonnées puisque ces accusations étaient dénuées de tout fondement. On va certainement le défendre dans le dernier cas également. Pour le reste, la justice tranchera.