Stéphanie Anquetil, députée du PTr « Personne et rien ne pourra m’intimider dans l’exercice de mes fonctions »

Elle est accusée de « Contempt of the Assembly » après qu’elle ait pris une photo de la ministre Kalpana Koonjoo-Shah en train de dormir en plein travaux parlementaires. L’affaire a ainsi été référée au Directeur des poursuites publiques. Mais Stéphanie Anquetil, députée du PTr, ne s’en plaint pas. Faisant preuve d’un mental d’acier, elle maintient qu’elle ne se laissera point décourager

Zahirah RADHA

Q : Vous faites l’objet d’une enquête pour avoir utilisé votre téléphone portable au sein de l’hémicycle alors que vous avez déjà présenté des excuses pour un « délit » qui avait pourtant pour but de mettre en exergue un fait qui relève d’intérêt public. Comment réagissez-vous suite à la tournure qu’a pris cet incident ?

J’écoutais le discours de mon collègue de parti, Patrick Assirvaden, quand j’ai soudainement remarqué que la ministre avait changé de place et qu’elle était en plein sommeil. J’ai été interpellée par son comportement et j’ai eu le réflexe de prendre une photo. J’ai agi de façon instinctive parce que le Parlement n’est pas fait pour dormir. Si elle était fatiguée, comme nous l’avons tous été cette semaine, elle aurait pu sortir pour prendre un peu d’air et pour se reposer un peu avant de retourner dans l’hémicycle au lieu de dormir profondément alors que les travaux parlementaires se poursuivaient. Du reste, enquête ou pas, je continue mon travail de députée. Personne et rien ne pourra m’intimider dans l’exercice de mes fonctions.

Q : Mais il y a bien eu auparavant d’autres enquêtes visant des parlementaires du gouvernement sans qu’elles n’aboutissent alors que celle-là a été référée au DPP. Cela ne vous gêne-t-il pas ?

Le Speaker m’a appelée et m’a fait comprendre que ‘caméra ine kozé’ et qu’il était clair que c’est moi qui ai pris cette photo. Je ne suis pas une menteuse. J’ai eu le courage et l’humilité de reconnaître que je suis l’auteure de la photo et j’en assume l’entière responsabilité. J’ai de ce fait accepté de présenter des excuses. Je laisse maintenant le soin à la population de me juger et de tirer ses propres conclusions. L’aurais-je refait si je pouvais retourner en arrière ? Je le referai si un autre cas se présente, mais ce sera peut-être d’une manière différente. Je fais mon travail. Je ne me plains pas, bien que cette semaine a été une semaine difficile pour les femmes parlementaires de l’opposition.

Q : Où étiez-vous quand les trois députées du MMM avaient été expulsées et suspendues par le Speaker ?

Je n’étais pas au Parlement au moment des faits puisque j’avais pris la parole très tard dans la nuit la veille. Mais j’ai tout de suite réagi quand j’ai eu la nouvelle de leur suspension. Je suis évidemment très révoltée contre cette façon de faire et je leur accorde tout mon soutien.

Q : Trouvez-vous également que le comportement du Speaker découragerait les femmes à faire de la politique, comme l’ont soutenu les députées du MMM ?

Je ne peux pas parler pour elles, mais moi en tout cas, je suis encore plus déterminée à faire mon travail. La politique n’est jamais simple, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes. Moi, j’ai fait des sacrifices pour être là. Ce n’est pas maintenant que je vais baisser les bras. J’encouragerai toujours les femmes à faire de la politique et de tels comportements ne devraient surtout pas les décourager. S’il y avait plus de femmes au Parlement d’ailleurs, on ne serait peut-être pas arrivé à un niveau pareil aujourd’hui. Ce que je trouve dommage, c’est que les reproches sont faits uniquement à l’encontre d’un seul côté de la chambre, soit dans celui de l’opposition, alors que, dans les rangs de la majorité, il y a pire. Malgré tout, je ne me laisserai pas décourager et je continuerai à poser des questions et dénoncer des abus. J’assumerai mes responsabilités jusqu’au bout, comme je l’ai toujours fait.

Q : Vous avez de nouveau ciblé le ministère de l’Égalité des genres et la ministre de tutelle lors de votre discours sur le budget. Certains pourraient croire que vous vous acharnez contre elle…

Pas du tout ! Je n’ai rien de personnel contre elle. Elle reste, malgré tout, une collègue. Franchement, quand elle venait d’être nommée ministre en 2019, j’avais vu un certain dynamisme en elle et je croyais sincèrement qu’elle allait prendre les taureaux par les cornes. Malheureusement, elle m’a vite déçue. Moi, Stéphanie Anquetil, je serai la première à la saluer si elle le mérite. Mais il n’en est rien pour l’heure.

Je suis responsable, entre autres, du dossier de la femme et des enfants. Il est donc de mon devoir d’attirer son attention là où il le faut et de dénoncer quand il y a des manquements et des abus. Il y a de gros problèmes au niveau des shelters et des crèches. Je ne peux pas y rester insensible. Je suis d’ailleurs très satisfaite que le bureau de l’Audit et le PAC se sont, cette fois-ci, intéressés au ministère de l’Égalité des genres alors que tel n’a pas vraiment été le cas dans le passé.

Q : Le ‘Gender Equality Bill’ tarde toujours à venir. L’égalité des genres est-elle condamnée à rester un leurre à Maurice ?

Kalpana Koonjoo-Shah avait évoqué l’introduction d’un ‘Gender Equality Bill’ peu après avoir été nommée comme ministre en 2019. J’y ai vraiment cru. Mais arrivé le budget 2020-2021, zéro. Budget 2021-2022, zéro. Budget 2022-2023, toujours zéro. En réalité, j’avais déjà compris qu’on peut dire adieu à ce projet de loi quand le Premier ministre avait dit, à l’occasion de la Journée de la femme le 8 mars dernier, que c’était une loi complexe. C’est pour cela que j’ai dit qu’elle a mis la charrue avant les bœufs. Cela m’attriste parce qu’une telle loi aurait permis de tacler un bon nombre de problèmes, dont les disparités dans les salaires. Il y a un travail énorme à abattre pour qu’on puisse avoir une société égale, et le ‘Gender Equality Bill’ aurait été un pas en avant et dans la bonne direction. On parle maintenant d’adoption. Je me demande si l’adoption ne va pas connaître le même sort. Même pour la ‘Children’s Act’, il y a de gros problèmes concernant son implémentation.

Q : Pourquoi trouvez-vous que le ‘baby bonus’ est insuffisant pour encourager les couples à avoir plus d’enfants ?

C’est un problème qui adresse principalement le vieillissement de la population. Celui-ci reste un sujet très inquiétant parce que le problème s’aggravera davantage si l’on ne fait rien pour le résoudre. Je salue ce bonus de Rs 1000, mais ce n’est pas suffisant. Au PTr, nous nous étions engagés à accorder un ‘baby bond’ de Rs 1000/ mois aux couples dont les salaires ne dépassent pas Rs 50 000, et ce pour chaque enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de 18 ans. Mais ce gouvernement fait, lui, dans la demi-mesure. Il propose de donner des couches aux bébés pendant un an seulement, tandis que les couches sont utilisées au-delà d’un an. Je m’attendais à ce que le gouvernement vienne avec une politique plus cohérente, mais en vain. Il y a fort à faire. Par exemple, les congés parentaux laissent toujours à désirer alors que les congés de maternité sont plus longs ailleurs…

Q : Mais une extension des congés de maternité ne risque-t-elle pas d’aggraver le chômage féminin qui reste aussi un facteur économique préoccupant ?

C’est pour cela qu’il faut aussi soutenir les mères de famille. Il ne faut, en aucun cas, que la carrière des mères soit affectée. D’où l’importance du flexi-time. Il faut aussi qu’il y ait des aménagements pour que les mères puissent allaiter leurs bébés, comme dans d’autres pays. Je ne pense pas que ce soit aussi difficile de permettre à une femme d’allaiter son bébé. Cela ne requiert ni des millions ni des milliards de roupies. L’accès aux crèches est tout aussi important.

Il faut d’ailleurs revoir l’état et le fonctionnement des crèches. Le rapport du PAC en a tiré la sonnette d’alarme. Il y a des crèches qui sont dans un état déplorable alors qu’un budget annuel est prévu pour leur entretien et fonctionnement. Dans bien des cas, le personnel n’est pas qualifié pour s’occuper de la petite enfance. Il y a tellement à faire. Et puis, il faut que les couples aient aussi accès à un logement décent pour pouvoir avoir et élever des enfants.  Bref, c’est un plan global qu’il nous faut.

Q : Croyez-vous que la démission de la ministre Kalpana Koonjoo-Shah, comme réclamé par vous et votre collègue Shakeel Mohamed, pourra résoudre tous ces problèmes ?

Pour pouvoir résoudre ces problèmes, il faut que le ministère de l’Égalité des genres ait à sa tête une personne compétente et dynamique. Il faut un ministre qui agit au lieu de polémiquer. Il faut un ministre qui est à l’écoute et qui est sensible aux problèmes qui touchent son ministère au lieu d’une personne arrogante. Je ne reviendrai pas sur la raison qui a poussé Shakeel Mohamed à réclamer sa démission, car il l’a déjà expliqué. Moi, je réclame sa démission, non pas à cause de ses escapades à Dubaï, mais parce qu’elle ne défend pas les intérêts des femmes et des enfants.

Je réclame sa démission parce qu’au lieu de descendre sur le terrain pour être aux côtés des familles qui souffrent, elle se contente de faire la promotion des hôtels dans le cadre de la Fête de la famille. Au lieu de rendre visite aux six enfants atteints de la Covid-19 dans un shelter à Cap Malheureux pendant le confinement, elle préfère rester de marbre. Au lieu de s’intéresser aux cas de fémicides, elle s’en lave les mains en adoptant une attitude frivole. Je réclame aussi sa démission parce qu’elle adopte une politique opaque.