Subash Gobine : « Le PTr-MMM-PMSD est une alliance redoutable et démarre avec une très bonne assise dans les villes »

  • « Les seuls ‘ti acteurs’ qui tenteront de grignoter les parts de ces trois grands partis sont Ivan Collendavelloo et le Père Grégoire »
  • « Tel qu’il se présente actuellement, le MSM pourrait avoir des difficultés pour obtenir 3-0 dans les circonscriptions rurales, connues comme la fameuse « Hindu Belt », allant du no. 4 au no.14, contrairement à 2014. En 2019, rappelons-le, il n’avait pas eu 3-0 aux nos. 5, 6 et 12 par exemple »

Il analyse d’une façon clinique et fait des constats qui ne plaisent pas toujours. D’ailleurs avec lui, il faut toujours lire entre les lignes et son sarcasme est souvent mal digéré, n’étant pas compris de tous. Dans l’entretien qui suit, le vétéran de la presse qu’est Subash Gobine, qui sévit chaque semaine comme El Figaro dans l’Express où il est Consultant, nous livre ses observations sur la situation politique d’une façon dépassionnée, ne donnant ni gagnant ni perdant à ce stade…

Zahirah RADHA

Q : Le gouvernement entame, à partir de cette semaine, la dernière année de son deuxième mandat. Que retenez-vous de la gestion du pays pendant ces neuf dernières années ?

Il s’est passé beaucoup de choses durant ces neuf dernières années, que ce soit en termes de performance économique, de nombreux scandales et d’événements négatifs. Il faut aussi garder en tête qu’on a été frappé par la pandémie Covid-19 durant cette période. Ce qui a bousculé les choses que ce soit à Maurice ou à l’étranger. Il faut donc le voir dans son ensemble.

Q :  Y a-t-il des réalisations qui vous ont quand même marqué ? 

Celle qui m’a le plus marqué et dont je suis très fier quand je la regarde tous les jours, c’est le tramway. Je le trouve extraordinaire. Là où j’habite à Quatre-Bornes, je l’entends dès le matin.

Q : Il provoque beaucoup de critiques puisqu’il cause pas mal d’embouteillages, n’est-ce pas ?

Je peux vous dire que ce n’est plus aussi facile pour que des invités viennent chez moi maintenant. Sa kantité explications ki mo bizin donné la, pou dire zot kot bizin fer le tour, tention rentre dans one-way, tention rentre dans No Entry, alors ki mo reste près ek grande route. Je suis particulièrement attristé par l’absence d’animation comme il y en avait auparavant autour des commerces se trouvant le long de la route St-Jean, surtout à la boulangerie La Baguette Magique qui appartenait à un de mes bons amis issus de la famille Hosany. On y rencontrait des connaissances, dont le ministre Husnoo et des chefs de la police, entre autres. Maintenant vous êtes condamnés à aller acheter vos pains ailleurs.

Q : Donc, malgré votre fierté de voir le tramway, vous concédez toutefois qu’il y a des inconvénients…

Oui, notre vie sociale a été affectée par l’arrivée du tramway à Quatre-Bornes.

Q : Selon un récent sondage réalisé par Synthèses et commandité par l’Express, Pravind Jugnauth serait le Premier ministre le plus performant depuis l’Indépendance alors qu’il y a eu divers scandales sous son règne et que vous avez vous-même mentionné en évoquant le bilan du gouvernement. Qu’en pensez-vous ?

J’ai esquissé un petit sourire quand je l’ai vu. J’ai ensuite réalisé qu’une bonne partie des sondés sont des jeunes. Lorsque le gouvernement a changé en 2014, ils étaient probablement encore des enfants. Ils ne connaissent possiblement que Pravind Jugnauth comme Premier ministre. D’autant que la MBC fait un travail systématique tous les jours pour vendre le produit qu’est Pravind Kumar Jugnauth. Par contre, ils ne connaissent pas les précédents Premiers ministres que le pays a eus. Dans ce contexte, ils ne peuvent pas vraiment faire de comparaison en ce qu’il s’agit de la performance des divers Premier ministres.

Q : Ce même sondage plébiscite l’alliance PTr-MMM-PMSD dirigée par Navin Ramgoolam en termes d’intention de votes, soit 36%, contre 24% au MSM de Pravind Jugnauth. N’est-ce pas un désaveu pour le gouvernement du jour ?

Je pense que ces chiffres reflètent le positionnement actuel des sondés. Ils peuvent, par contre, évoluer à l’approche des prochaines élections lorsque les Mauriciens se positionneront davantage. Les deux blocs, nommément l’alliance PTr-MMM-PMSD et le MSM et ses partis croupions, sont tous les deux sur la ligne de départ, avec leurs atouts et leurs faiblesses. Tout évoluera à partir de là jusqu’aux élections quand la population devra faire un choix définitif entre l’un ou l’autre. Quant aux autres acteurs, je ne pense pas qu’ils joueront un grand rôle. Je prends néanmoins en considération des « ti acteurs » qui tenteront de grignoter les parts des trois grands partis (ndlr : PTr-MMM-PMSD) pour consolider l’autre côté (ndlr : le MSM).

Q : Vous parlez de beaucoup d’acteurs ! Qui sont-ils ? On aura compris que certains de ces acteurs sont les partis extra-parlementaires qui jouissent d’une certaine popularité sur les réseaux sociaux, mais qui ne semblent pas attirer vraiment, selon le sondage de Synthèses…

Oui, je ne pense pas qu’ils représentent une menace pour les grands partis.

Q : À quels autres acteurs faites-vous donc allusion ?

Je ne parle pas Nando Bodha ou de Roshi Badhain.

Q : Et donc ?

Je parle des « ti acteurs » comme Ivan Collendavelloo et le Père Grégoire. Ils essaieront encore une fois de grignoter l’électorat traditionnel du MMM. Cela avait eu un effet sur les élections de 2014 et de 2019.

Q : Pensez-vous que cela pourrait se reproduire ?

Cela reste à voir. Tel qu’il se présente actuellement, le MSM pourrait avoir des difficultés pour obtenir 3-0 dans les circonscriptions rurales, connues comme la fameuse « Hindu Belt », allant du no. 4 au no.14, contrairement à 2014. En 2019, rappelons-le, il n’avait pas eu 3-0 aux nos. 5, 6 et 12 par exemple. Je pense personnellement que, valeur du jour, le MSM pourrait ne pas se retrouver dans une situation où le « winner takes it all » dans les circonscriptions rurales. Je me base surtout sur la nécessité que Pravind Jugnauth a trouvé pour procéder à un remaniement ministériel il y a quelques semaines de cela. Celui-ci visait justement à corriger une faiblesse qui commençait à se faire ressentir.

Q : De quelle faiblesse s’agit-il ?

Une faiblesse sur le positionnement des gens par rapport aux facteurs sociologiques. Je ne pourrais vous en dire plus.

Q : Soit ! Mais il se pourrait qu’il y ait un autre remaniement ministériel pour accommoder cette fois-ci le « ti acteur » Ivan Collendavelloo lui-même. Qu’en pensez-vous ?

Il y a deux explications concernant Collendavelloo. La première c’est qu’il sera effectivement pris « on board ». L’autre, il faut bien la comprendre. Collendavelloo a d’abord été convoqué à l’ICAC. Ensuite il y a eu le verdict du Privy Council dans la pétition électorale au no. 8. Et le lendemain, jour de la reprise des travaux parlementaires, il y a eu un petit incident qui est passé inaperçu. Tous les membres du gouvernement ont donné une « standing ovation » à Pravind Jugnauth, à l’exception de Collendavelloo et un autre membre de son parti (ndlr : Zahid Nazurally). C’est un épisode qui a peut-être fait réfléchir le MSM, le poussant ainsi à soigner la carte Collendavelloo. D’autant que si le MSM pense qu’il pourrait perdre des sièges dans les villages, il lui faudrait remporter des sièges dans les villes pour les compenser. Une façon d’y arriver, c’est à travers Collendavelloo. Ce dernier a prouvé qu’il peut creuser dans l’électorat du MMM, sachant comment ce dernier réagit et qui lui permettrait d’obtenir quelques centaines de votes en son sein.

Q : Estimez-vous qu’il a toujours une assise dans sa circonscription même si d’un côté, il n’a pas été ministre pendant quatre ans, et ayant de ce fait, moins de moyens pour satisfaire son électorat, et de l’autre, avec l’affaire St-Louis qui lui collera à la peau ?

Je ne sais pas quel sera l’apport de l’affaire St-Louis dans ce scénario. Mais si Pravind Jugnauth veut avoir Ivan Collendavelloo « on board », il devra, dans ce cas, s’assurer ki li pas pe saryé laké ferblan. Il est vrai que si Collendavelloo était ministre, il aurait pu mieux soigner son électorat, à travers son ministère. On connaît comment cela se fait, à travers des emplois à gauche et à droite et des nominations sur des boards. Mais cela n’empêche qu’il connait cet électorat (ndlr : no. 19) depuis très longtemps et qu’il sait comment le travailler.

Q : Qu’en est-il du positionnement de l’alliance PTr-MMM-PMSD sur l’échiquier politique ?

Je pense que c’est une alliance redoutable. Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier Duval ont tous des ‘track record’ impressionnants. Parfois, on a tendance à croire que le PMSD aime le pouvoir parce qu’il a cette culture de « amizé boire jalsa ». Mais on oublie que le PMSD a été à la base de beaucoup de grandes initiatives sur le plan économique, à l’instar du tourisme par exemple. Ce sceteur est aujourd’hui d’un grand soutien à notre économie. Cette alliance, je le redis, est redoutable. Elle démarre avec une très bonne assise dans les villes et les circonscriptions urbaines.

Q : Mais à elles seules, les circonscriptions urbaines ne suffisent pas pour faire élire un gouvernement !

Certainement. Mais si l’électorat des villages ne vote pas en bloc, s’il s’adonne au « coupé tranché », et s’il se laisse influencer par d’autres facteurs, cette alliance disposerait alors de très bonnes chances de remporter les prochaines élections.

Q : Mais il y a une crainte que les nouvelles technologies ne soient utilisées par le MSM pour influencer les élections. Partagez-vous ces craintes ?

Il y a deux facteurs qu’il faut prendre en considération. D’abord, Pravind Jugnauth cultive très bien l’électorat composé de « senior citizens ». Ces derniers pensent que c’est Pravind qui leur donne cette pension, tout comme lorsque j’étais enfant, l’on croyait que c’était la Reine qui donnait la pension. Deuxièmement, je pense qu’en termes de communication, le MSM est beaucoup plus agressif. Pas seulement à cause de la MBC, mais aussi parce qu’il est plus présent sur les réseaux sociaux.

Q : N’est-ce pas parce qu’il dispose de plus de moyens logistiques et financiers que les autres partis de l’opposition ?

Tout à fait. Je pense qu’il pourra aussi jouer une autre carte au moment des élections. Il se présentera comme le seul leader, de surcroit accessible, de son alliance. De ce fait, il sera le seul à prendre des décisions. Alors qu’il a en face de lui trois leaders, et on ne sait encore qui d’autre sur le front bench. Il fera croire à l’électorat que Navin Ramgoolam pourrait subir des pressions de ses alliés. Ou il pourrait aussi leur faire croire que le MMM et le PMSD pourraient mener une campagne sournoise pour demander à l’électorat de ne pas voter pour Navin Ramgoolam, sachant que généralement, les candidats Hindous ne sont pas repêchés comme « Best Losers » s’ils perdent aux élections. Les seules exceptions avaient été Tangavel Narrainen, Motee Ramdass et Ravi Yerrigadoo. Pravind voudra faire croire que si Navin Ramgoolam n’est pas élu, lezot ki pou fer Premier ministres. Mo koné kuma zot pou servi sa.

Q : Ce n’est qu’une supposition. Mais comment l’Opposition s’en sortira-t-elle si cela est avéré ?

Dès le départ, j’ai dit que le moindre signe de dissidence dans cette alliance de l’opposition jouera carrément en faveur du MSM. Jusqu’ici, il n’y a pas eu de dissidence. Les trois partis se sont montrés disciplinés et parlent d’une seule voix. So far, so good. S’ils maintiennent cette position jusqu’aux élections, cela atténuera l’argument du MSM.

Q : Mais au-delà de la situation politique, c’est la situation sociale, dont le coût de la vie, la prolifération de la drogue et le salaire minimum, qui semble préoccuper davantage les sondeurs. N’est-ce pas, au final, un des principaux facteurs qui seront déterminants aux prochaines élections ?

Ce sont effectivement les trois grandes préoccupations de la population. Concernant le coût de la vie, on se retrouve dans une situation paradoxale dans le sens que, plus la valeur de la roupie baisse, plus le gouvernement est content. Parce que quand les consommateurs payent plus en raison de la dévaluation de la roupie, le gouvernement encaisse plus d’argent en termes de TVA. Idem pour la pension. Je ne sais pas se les retraités réalisent que cette pension est grignotée par la dévaluation de la roupie.

Le fléau de la drogue fait, lui, bien des ravages dans le pays. Le nombre de jeunes personnes qui décèdent tous les jours est vraiment dramatique. Il y a aussi des situations où des jeunes attaquent non seulement leurs parents, mais aussi leurs grands-parents pour avoir de l’argent pour se procurer de la drogue. Reste à voir dans quelle mesure cela inquiète la population. Il faudra aussi voir comment l’Opposition l’exploitera et s’il y aura d’autres facteurs qui influenceront les électeurs au moment des élections.

Q : Quels sont ces autres facteurs qui pourraient influencer l’électorat ?

Je pense qu’il y aura une surenchère en termes d’attentes, surtout financières. Le ‘money politics’ pèsera de tout son poids. Il sera aussi question de savoir si et comment l’on pourra avoir accès au gouvernement et de ce qu’on pourra obtenir de lui.

Q : Quid du programme électoral alors qu’une grande partie de la population réclame un changement en profondeur ?

À vrai dire, je ne vois pas vraiment quel changement en profondeur on peut apporter, à moins qu’il y ait une démocratie directe où vous pourrez révoquer un député après un an, ou qu’on fasse des référendums ou des pétitions. Je ne vois pas ce qu’on peut faire selon les paramètres existants. Pour moi, les élections ne se joueront pas sur de grandes idées, mais sur les acteurs qu’il y aura.

Q : Pour finir, la presse mauricienne fête ses 250 ans cette année. Comment trouvez-vous son évolution au fil du temps ?

L’informatique, les nouvelles technologies des télécommunications et l’internet ont remis en question le rôle de la presse écrite et traditionnelle. Très souvent, Facebook a un plus grand impact que les journaux. Au fur et à mesure, le rôle de la presse écrite, telle qu’on la connait, diminuera davantage. Raison pour laquelle les journaux, y compris le vôtre, disposent d’une plateforme électronique. Celle-ci prendra de l’ampleur alors que les journaux traditionnels finiront, eux, par devenir des journaux électroniques. D’ailleurs, certains journaux traditionnels ont déjà introduit un ‘pay wall’ qui vous oblige à payer pour pouvoir lire la totalité du contenu d’un article. La presse a cependant un avantage comparé à d’autres acteurs et amateurs qui opèrent sur les réseaux sociaux, parce qu’elle compte en son sein des professionnels qui sont formés, qui ont de l’expérience, et qui connaissent les règles.

Q : Quels sont les plus grands défis auxquels les médias locaux sont actuellement confrontés ?

Les médias mauriciens ont, selon moi, un problème beaucoup plus accentué que ceux de l’étranger. Il concerne l’économie d’échelle. Nous avons une petite population. De ce fait, il n’y a pas une masse critique pour soutenir un abonnement payant pour les journaux traditionnels qui ont recours à un support électronique. Je suis fortement inquiet pour la survie de la presse dirigée par des professionnels, car les réseaux sociaux peuvent être mal utilisés par ceux qui n’ont pas de formation pour avancer des idées ou faire des débats qui peuvent faire du tort au pays.