[Vinaye Ancharaz, économiste] « Je me demande si le gouvernement a bien payé la CSG des fonctionnaires »

« La ‘Contribution Sociale Généralisée’ (CSG) n’est pas un fonds de pension comme l’avait été le NPF. C’est une taxe dont les recettes sont versées dans le ‘Consolidated Fund’ du gouvernement pour couvrir les dépenses courantes. Raison pour laquelle il ne faut pas s’étonner que cette caisse soit vide », nous explique le Dr Vinaye Ancharaz, économiste, dans l’entretien qui suit.

Propos recueillis par Zahirah RADHA

Q : Cela vous étonne-t-il qu’il n’y ait pas un seul sou dans la caisse de la CSG ?

Je ne suis pas le moindrement étonné. La CSG n’est pas un fonds. Elle ne l’a jamais été, contrairement au ‘National Pension Fund’ (NPF), comme l’indiquait d’ailleurs son nom. Les déductions de la NPF étaient versées dans une réserve qui était gérée par la SICOM qui est une compagnie étatique. Celle-ci investissait ces fonds d’une façon prudente qui permettait au gouvernement d’avoir un retour sur investissement. Mais en 2020, le gouvernement a aboli le NPF pour introduire, à sa place, la CSG. Il ne faut pas oublier la raison que le gouvernement avait avancée pour justifier l’introduction de la CSG…

Q : … Celui d’un déficit du NPF. Ce qui n’est pas loin de la caisse vide d’aujourd’hui, n’est-ce pas ?

Exactement ! Le ministre des Finances avait plaidé pour une réforme de la pension, mais c’est tout le contraire qu’il a fait. Il a, dans la foulée, fait reculer le pays. Je tiens à rappeler que ce sont surtout les travailleurs du secteur privé qui contribuent à la CSG. Les employés du gouvernement, eux, n’y contribuent pas puisque c’est le gouvernement qui la paie à leur place. Ce qui me pousse à me demander si le gouvernement a bien payé la CSG des fonctionnaires. Personnellement, je ne pense pas qu’il l’a fait.

Rappelons aussi que l’argent de la CSG ne va pas dans un fonds de pension, mais dans le ‘Consolidated Fund’. Celui-ci n’est pas un fonds comme l’était le NPF. Le « Consolidated Fund » est un compte qu’utilise le gouvernement pour effectuer ses dépenses courantes. Ce qui explique pourquoi tout l’argent de la CSG a été engouffré.

Q : Fallait-il qu’il y ait un fonds spécial pour la CSG, comme il y en avait pour le NPF ?

Évidemment, il fallait avoir un ‘CSG Fund’. Mais, comme je vous l’ai dit plus tôt, je ne suis pas surpris par cette situation parce que, dès le départ, le gouvernement avait précisé que cet argent irait dans le « Consolidated Fund ». Il fallait donc s’attendre à ce qu’il n’y ait plus de sou pour la CSG.

Q : Et la pension alors, comment la financer s’il n’y a plus d’argent ?

Il y a effectivement un gros problème. Le ministre des Finances est venu avec une réforme totalement contradictoire, à un moment où le système de pension est sous pression. Une pression qui remonte d’ailleurs à bien avant que le présent gouvernement ne vienne au pouvoir. La Banque Mondiale tire, depuis longtemps, la sonnette d’alarme sur notre population vieillissante. Ce qui fait qu’il y aura d’un côté, moins de personnes qui paieront de taxes qui servent à financer la pension qui est basé sur le système « Pay As You Go », et de l’autre, plus de pensionnaires. Il y a donc un déséquilibre. Ce problème a empiré lorsque le présent gouvernement est venu avec des promesses politiques visant à augmenter la pension, qui est passée successivement de Rs 3500 à Rs 5000, puis à Rs 9000 en attendant les Rs 13 500 promis.

Q : Pensez-vous que la hausse de la pension à Rs 13 500 est compromise ?

D’un point de vue économique, oui. Mais je ne pense pas que le gouvernement fera une croix dessus, surtout dans une année électorale.

Q : De quels moyens dispose-t-il donc pour payer cette hausse ?

Je ne sais pas d’où le gouvernement sortira cet argent, mais je suis sûr qu’il accordera cette hausse coûte que coûte. N’oublions pas que c’est une promesse électorale qui est extrêmement importante pour le régime actuel qui joue à la « pension politics », comme je l’ai toujours dit. Sa stratégie politique est axée sur la pension, d’autant que les pensionnaires représentent presque un quart des votants.

On évoque souvent le « war chest » du gouvernement. Il sera peut-être utilisé pour financer cette hausse. Ou il se peut qu’il choisisse de couper d’autres dépenses ou investissements qui ne sont pas prioritaires pour lui. On voit, par exemple, que le gouvernement n’investit plus dans l’éducation. Ou koné komié construction lékol ti bizin fer kine arrêté ?

Q : Il y aura également une crainte qu’il ne dévalue davantage la roupie ?

C’est possiblement un moyen pour avoir des « revaluation gains », mais je ne pense pas qu’il le fera, bien que la valeur de la roupie commence à apprécier légèrement. N’oublions pas que le Fonds Monétaire International (FMI) avait passé un savon au gouvernement concernant le « one-off grant » de Rs 60 milliards qu’avait accordé la Banque de Maurice (BoM) au gouvernement. Ce qui avait contraint ce dernier à ne céder finalement que Rs 32 milliards comme un « one-off grant » et d’amortir les Rs 28 milliards restant comme une avance sur des « future profits ». C’est pour cela que j’estime que le gouvernement ne fera pas la même bêtise.

Q : Comment faire pour arrêter cette bombe à retardement ?

Le ministre des Finances ne l’explique pas alors qu’il aurait dû le faire. Il aurait dû expliquer comment il fera pour financer la pension actuelle, mais aussi la hausse promise (de Rs 11 500 à Rs 13 500). Une hausse qui alourdira le fardeau de la pension par des milliards de roupies.  

Q : Le gouvernement devra-t-il taxer davantage les employés pour financer cette hausse ?

Probablement. Jusqu’ici, le gouvernement n’a pas augmenté la taxe pour des raisons politiques, quoique la CSG est aussi une taxe. Mais il continue en même temps de faire des dépenses qui ne sont pas soutenables à la longue.

Q : Quel est donc le ‘way forward’ ?

Le prochain gouvernement devra impérativement faire une réforme de la pension. Il n’y a pas d’autres solutions. Sinon, seki dimoune pe gagné zordi, dans l’avenir, risqué pa gagné. Kot pou tire kas ? C’est un gouvernement qui ne fait que taxer et dépenser (tax and spend). Nous nous enorgueillissons de notre état providence. Je ne pense pas qu’il y ait un autre pays au monde qui soit aussi généreux que Maurice. Nous percevons relativement peu de taxes, mais la pension, l’éducation, la santé et le transport pour les jeunes étudiants et les vieilles personnes sont tous gratuits. Nou zis fer labous dou. Or, there’s no free lunch. Tôt ou tard, il faudra passer à la caisse. La pilule sera alors amère.