Vivekanand Ramburun : « Nous serons intraitables envers les douaniers complices, s’il y en a »  

Pour des raisons de sécurité, nous dit-il d’emblée, il ne peut pas se permettre de trop s’exposer dans les médias. Vivekanand Ramburun, le directeur des douanes, a néanmoins accepté de nous recevoir pour faire le point sur les saisies record effectuées dans le port récemment. Ce douanier de carrière se veut être intransigeant dans son combat contre le trafic de drogue. Les douaniers trouvés coupables de complicité n’ont qu’à bien se tenir puisqu’il sera « sans pitié » envers eux. Il prend également ses prédécesseurs à contre-pied…

Zahirah RADHA 

 

Q : La douane est dans l’actualité depuis les récentes saisies record de drogues. N’est-il pas surprenant que la MRA ait subitement procédé à de telles saisies?

R : Il paraît que les grosses saisies sont un nouveau phénomène qui se passe non seulement à Maurice, mais aussi dans la région. 42 kilos de drogues ont été saisies à la Réunion en novembre 2016. En avril de la même année, il y a eu une saisie de 150 kilos de drogues aux Seychelles. Il n’y a jamais eu d’aussi grosses saisies dans la région auparavant.

Je pense que les importateurs ont adopté ce nouveau modus operandi, c’est-à-dire l’importation par voie maritime, depuis que des mesures très strictes ont été mises en place au niveau de l’aéroport et des services postaux pour sévir contre la drogue. Ceci dit, je dois avouer que, bien qu’il n’y ait pas eu de saisies record auparavant, il y a quand même eu des saisies assez conséquentes durant ces dernières années.

 

Q : Se peut-il que d’importantes quantités de drogues aient déjà franchi le seuil de la douane dans le passé, soit par manque de vigilance ou en connivence avec une poignée de douaniers véreux ?

: Nous avons une politique de zéro tolérance envers la fraude et la corruption. Nous avons été la première entité parapublique à avoir mis en place une unité anti-corruption connue comme l’Internal Affairs Division. De ce fait, on a déjà tracé la voie pour un système basé sur les principes de la bonne gouvernance. Par exemple, chaque trois ans, les officiers sont appelés à déclarer leurs avoirs. Même pour les recrutements, on procède à des exercices de ‘due diligence’ avant qu’on ne recrute.

Je ne sais pas, à ce stade, si des drogues ont franchi le seuil de la douane. Seulement une enquête détaillée pourra le déterminer. On travaille en étroite collaboration avec l’ADSU et l’ICAC, aussi bien qu’avec la FIU (Financial Intelligence Unit), et on n’épargnera aucun effort pour venir à bout de cette affaire. Je ne connais pas la teneur des révélations de Navind Kitnah à l’ADSU, mais je suppose qu’il y aura des développements.

Je ne peux, cependant, confirmer s’il y a eu de complicité au niveau de la douane en ce qu’il s’agit des récentes saisies. Mais, s’il s’avère qu’il y en a eu, on sera sans pitié envers les coupables.

  • « Il y a des intermédiaires qui abusent du système de ‘trade facilitation’ qu’on a mise en place »

 

Q : Avez-vous initié une enquête à votre niveau pour en savoir plus ?

R : Oui. On a débuté une enquête interne au niveau de la ‘supply chain’, c’est-à-dire dans toutes les chaînes logistiques où ces colis sont passés, que ce soit à Maurice aussi bien qu’en Afrique du Sud. L’enquête progresse et temps et lieu, on connaîtra les conclusions. Je donne la garantie que nous serons intraitables envers les brebis galeuses, s’il y en a.

 

Q : La douane a-t-elle respecté toutes les procédures en effectuant les récentes saisies dans le port ?

R : Que ce soit au port ou à l’aéroport, c’est la douane qui effectue les saisies avant de hand over à la police pour les investigations. Tout a été fait selon les paramètres de la loi. La douane ne peut non seulement procéder à des saisies, mais elle peut également détenir une personne durant 24 heures. C’est un pouvoir qu’on détient depuis toujours. Mes prédécesseurs ne l’ont peut-être pas utilisé, mais, moi, je l’utilise à fond.

  • « Mes prédécesseurs n’ont pas utilisé leurs prérogatives. Moi, je les utilise à fond » 

 

Q : Vous dites que la douane travaille en étroite collaboration avec l’ADSU. Mais il y a quand même eu des bisbilles entre ces deux instances sur ce dossier. Quelles sont les raisons de ces divergences alors que vos objectifs sont les mêmes ?

R : Il semblerait qu’il y a eu des ‘misinformation’. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’ADSU, surtout avec le DCP Bhojoo avec qui nous avons tissé des relations extrêmement cordiales. Il y a, paraît-il, certaines bisbilles au niveau des opérations. Je tiens toutefois à rassurer la population que nous travaillons conjointement. Les relations entre la police et la douane seront d’ailleurs raffermies avec la signature prochaine d’un protocole d’accord de coopération.

 

Q : Il y a, paraît-il, un manque criant de sécurité dans le port. Quelles sont les mesures qui ont été prises pour remédier à la situation ?

R : La sécurité relève surtout des prérogatives de la police et de la Mauritius Ports Authority (MPA). Nos officiers sont néanmoins postés dans des lieux stratégiques. D’ailleurs, on a augmenté le nombre de douaniers qui y sont présents afin de rehausser le niveau de sécurité. Il y aussi des ‘joint patrols’ de la police, la MPA et la douane qui se font régulièrement. L’installation des caméras de surveillance nous permet également d’exercer un contrôle plus strict dans le port. La mise sur pied de la Customs Anti-Narcotic Section (CNS) à la fin de l’année dernière commence aussi à porter ses fruits.

 

Q : La perception dans le public c’est que la douane est le plus grand facilitateur de fraudes, corruptions et contrebandes de tous genres. Qu’en est-il au juste ?

R : Écoutez, il n’y a pas de duty sur 97 % des produits importés. Pourquoi alors y aura-t-il de contrebande ? C’est une perception qui perdure depuis les années 60. S’il n’y a pas de duty et de taxes, why do you pay? Who do you pay? Il n’y a aucune raison de donner des ‘bribes’. Il faut que les gens comprennent cela. D’ailleurs, le système est tel qu’il se peut qu’il y ait une autre section qui fasse des vérifications après celles entreprises par une première équipe. Cette contre-vérification est importante puisqu’elle permet justement d’éliminer tous genres de fraudes et de corruption. De plus, le contact avec le public a considérablement diminué grâce au système d’E-Customs. Tout cela pour vous dire que le risque de corruption est presque impossible de nos jours. Je dois cependant avouer qu’il y a des intermédiaires qui abusent du système de ‘trade facilitation’ qu’on a mis en place.

 

Q : On fait état d’une équipe mafieuse qui opère dans le port, notamment dans les Customs Freight Stations (CFS), grâce à la complicité de certains officiers de la douane. En êtes-vous au courant ?

R : Il y a un système bien structuré qui opère au sein de la CFS. On a d’ailleurs fait un inventaire dans les neuf CFS il y a deux semaines de cela. Y a-t-il une équipe qui a pu contourner ce système ? Je ne sais pas. Mais si jamais l’équipe de patrouille mobile remarque quelque chose d’anormal, elle peut toujours sévir. Je dois ici appeler à plus de collaboration de la part de la société civile, car le combat contre la drogue n’est pas uniquement le nôtre.