Il va sans dire que l’économie est exsangue à cause de la pandémie de covid-19. Tout le pays a les yeux rivés sur le deuxième budget du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui sera dévoilé à la nation mauricienne ce vendredi 11 juin. On se rappellera aisément que le ministre des Finances avait présenté un Budget 2020-2021 fade,  au coût de Rs 162 milliards, incluant les Rs 60 milliards prises de la Banque centrale, qui en grande partie n’a pas été au goût des acteurs des différents secteurs. Les choses seront-elles différentes cette fois-ci ? Est-ce qu’on pourra enfin voir une relance de l’économie ? Gardons les doigts croisés…

Économie

Vinay Auncharaz : « Comment la relance de l’économie va-t-elle se faire dans une situation pareille ? »

Selon l’économiste Vinay Auncharaz, la notion d’un budget balancé dans une situation de crise est illogique.

Ainsi, le Budget 2020-2021 n’était pas un Budget équilibré, comme le ministre des Finances veut faire croire. Selon lui, il y a eu un déficit budgétaire de Rs 60 milliards, qui constitue presque 15 % de notre PIB, mais qui avait été financé par un ‘grant’ de la Banque centrale.

Le gouvernement avait ainsi reçu Rs 60 milliards de la Banque de Maurice, somme qui avait été injectée dans le Budget 2020-2021 comme un revenu, bien que ce n’était pas un revenu. « Le FMI est revenu remettre les pendules à l’heure, en venant dire au gouvernement que ces Rs 60 milliards doivent être rapportées comme un ‘Balancing Item’ et non comme un revenu », lance-t-il. L’économiste maintient ainsi qu’en réalité, on avait eu un déficit budgétaire majeur l’an dernier.

Pour cette année-ci, Vinay Auncharaz afirme que la marge de manœuvre du gouvernement est encore plus restreinte car la dernière fois qu’il avait pris l’argent de la Banque centrale, il a eu une bonne correction du FMI. Toutefois, l’économiste ne pense pas que le gouvernement a dépensé toutes les Rs 60 milliards et pense que le gouvernement a comme option d’utiliser ce qui reste de cet argent pour le présent Budget.

Selon ses calculs, l’économiste avance que l’économie fonctionne à environ 60 %, vu qu’un pilier de l’économie, à savoir le secteur du tourisme, est en panne. Vinay Auncharaz se demande comment dans une situation pareille, la relance de l’économie va se faire.

« Dans un moment de crise, le gouvernement doit injecter de la liquidité dans l’économie, ce qui est fait à travers l’investissement public », explique-t-il.  L’idée d’investir est de créer de l’emploi. Il revient sur la façon dont l’investissement public se fait et ne voit pas d’effet multiplicatif. Il prend comme exemple la construction du Metro Express dans le pays et constate que ce sont des travailleurs indiens qui sont engagés dans ce projet. En d’autres mots, l’argent que ces travailleurs reçoivent est acheminé dans leur pays, ce qui fait que cet argent ne reste pas dans l’économie du pays. « Est-ce que les projets d’investissement que le gouvernement compte annoncer dans le prochain budget créeront des emplois locaux ? », se demande l’économiste.

« Nous importons plus de deux fois la quantité que nous exportons », avance-t-il. Selon lui, ces derniers temps, l’exportation a diminué d’année en année, ce qui constitue un problème majeur. Vinay Auncharaz estime que le gouvernement doit venir avec une politique de soutien à l’exportation.

« Le rapport de l’Audit de cette année-ci a vivement critiqué la façon dont le gouvernement gère ses finances », fait ressortir l’économiste, qui est toutefois d’avis que c’est une occasion pour le gouvernement de se ressaisir et d’utiliser ses fonds d’une façon plus efficiente.

Tourisme

Ajay Jhurry : « Que le gouvernement revoie sa stratégie et prenne en considération les propositions »

Comme on le sait, le secteur du tourisme, un pilier fort de l’économie, a été mis à genoux par la crise sanitaire. Il est plus que nécessaire de redémarrer ce secteur pour le bien de l’économie, ainsi que pour sauver des milliers d’emplois. 

Dans cette optique, les acteurs de ce secteur ont travaillé sur un plan de relance et des propositions ont déjà été soumises au ministre des Finances.

Pour sa part, Ajay Jhurry, le président de l’Association of Tourist Operators (ATO) avance qu’il est impératif que le gouvernement revoie sa formule pour aider ce secteur. Il maintient que le gouvernement doit ainsi revoir les lois pour mieux aider les entrepreneurs et les PME opérant dans le tourisme.

Autre point soulevé par Ajay Jhurry : les emprunts. Il avance que le gouvernement doit venir avec de nouveaux cadres légaux pour que les entrepreneurs puissent se prémunir contre les risques. « Il faut y avoir plus d’accompagnement financier pour ces personnes », dit-il. En outre, il s’interroge : « Même si les activités reprennent, est-ce qu’un entrepreneur pourra redémarrer son entreprise si ses biens ont été saisis par la banque ? »

De ce fait, il lance un appel au gouvernement de revoir sa stratégie et de prendre en considération les propositions de l’ATO pour mieux aider à rebooster l’économie du pays, ainsi que pour aider les entrepreneurs qui se trouvent en difficulté.                                    

Secteur privé

Business Mauritius : « Préoccupé par le retard de Maurice pour sortir des listes grise et noire »

Pour Business Mauritius, le prochain budget sera un exercice d’équilibre.

Le gouvernement devra ainsi naviguer entre les projets nécessitant un financement, l’ouverture des frontières et la minimisation des risques, l’accompagnement aux secteurs en difficulté, l’inclusion des mesures incitatives pour les secteurs émergents, le développement d’un environnement durable et la mise sur pied des mesures pour favoriser la croissance.

Dans son ‘Executive Summary’, Business Mauritius préconise un comité mixte public-privé, qui servirait de plate-forme pour concevoir et mettre en œuvre une stratégie globale pour la réouverture de nos frontières.  

Business Mauritius se dit préoccupé par le retard de Maurice pour sortir de la liste grise du FATF et de la liste noire de l’UE, et sur les informations négatives qui circulent à ce sujet dans les médias et les réseaux sociaux. Business Mauritius estime qu’il faut donc mettre en place une équipe de communication sur la question AML/CFT (‘Anti Money Laundering / Combating the Financing of Terrorism’), qui communiquera régulièrement avec les parties prenantes et sur le plan international. « De toute urgence, il est également important d’améliorer le système de réglementation, en mettant particulièrement l’accent sur le ‘risk-based assessment’ », selon Business Mauritius.

Business Mauritius demande aussi la mise en place d’un ‘scheme’ pour les PME qui peuvent démontrer qu’elles ont perdu au moins 25 % de leur chiffre d’affaires, de janvier 2021 à juin 2021, et qui ont un plan de continuité en place. Elles pourront alors demander une aide salariale spéciale, équivalente au ‘Wage Assistance Scheme’ (WAS) pour la période de juillet à décembre 2021.

Petites et moyennes entreprises

Amar Deerpalsing : « Une situation économique extrêmement précaire pour les PME »

Pour le président de la Fédération des PME, Amar Deerpalsing, la situation est difficile et compliquée pour les PME. Selon lui, dans plusieurs secteurs, il y aurait beaucoup de fermetures des PME. « Nous sommes dans une situation économique extrêmement précaire. Au niveau économique, c’est comme si nous étions retournés 10 ans en arrière », ajoute-t-il.

Le gros problème du côté des PME, selon lui, est une contraction économique entre 15 et 16 %. Le président de la Fédération des PME devait pointer du doigt les problèmes auxquels font face les PME, tels que la dépréciation de la roupie, l’augmentation de 200 à 300 % du coût du fret, et l’augmentation du prix des matières premières à l’étranger, entre autres. En outre, les entreprises doivent faire face à d’autres coûts additionnels.

Il s’attend à plus d’initiatives en ce qui concerne ce secteur, notamment pour encourager la production locale, et souhaite que le gouvernement vienne en aide aux PME, dans l’intérêt non seulement du pays mais aussi des consommateurs.

Protection des consommateurs

L’ACIM : « Un contrôle des prix est nécessaire pour prévenir toute flambée des prix »

L’Association des consommateurs de l’île Maurice (ACIM), à travers son secrétaire-général, Jayen Chellum, met en garde contre une flambée des prix des denrées alimentaires, des produits de base et même des services de santé. Cette hausse des prix, aura un impact majeur sur les segments les plus démunis de la société, et rognera significativement leur corbeille ménagère.

L’ACIM estime qu’il est ainsi nécessaire d’avoir un contrôle des prix et l’imposition de plafonds pour les produits et services essentiels. Une liste a déjà été soumise en ce sens par l’ACIM au ministère responsable de la Protection des consommateurs.

Jayen Chellum devait aussi aborder une des mesures du précédant Budget 2020-2021, notamment la subvention de Rs 2 milliards pour maintenir les prix de détail du riz et de la farine à leurs niveaux actuels. « Cet argent est prélevé des taxes sur les produits pétroliers pour subventionner le prix du riz, de la farine et même du gaz ménager. Le gouvernement met la main dans la poche des automobilistes pour pouvoir subventionner ces produits de base », souligne-t-il.

Agricole

Kreepalloo Sunghoon : « Que l’impôt soit supprimé pour les petits planteurs »

Pour le secteur agricole, le secrétaire de la Small Planters Association (SPA), Kreepalloo Sunghoon nous indique qu’il a déjà soumis les propositions de la SPA au gouvernement pour le budget. Parmi :

L’impôt sur le revenu des petits planteurs doit être supprimé.

Les ‘Agricultural Loans’ émis par la Banque de développement (DBM) devront être ‘interest free’ pour mieux aider les planteurs à s’engager dans leurs projets, et pour que la DBM participe elle aussi aux risques.

Il faudrait lancer une stratégie pour que les terrains abandonnés puissent être utilisés.

Il faudrait plus de facilités pour l’achat des nouvelles machines, qui sera une nécessité dans ce secteur à cause d’un manque de main d’œuvre.

En ce qui concerne les effets climatiques, un ‘Rain Water Harvesting Scheme’ doit être introduit en cas de sècheresse. On devrait revoir les drains pour éviter l’érosion du sol et les inondations.

Il faudrait plus de fonds pour pouvoir lutter contre les rongeurs et les maladies affectant les récoltes. Vu la hausse du nombre de vols dans les champs, il faudrait la réintroduction des caméras CCTV afin d’assurer la sécurité des planteurs, subventionnés à hauteur de 50 %.

Le gouvernement devrait encourager le jardinage familial, qui aidera les familles à économiser entre Rs 200 et 300 par mois.

Le gouvernement devra mettre en place une plateforme numérique pour les produits agricoles et les divers services fournis dans ce secteur.

Il faudrait créer une ‘Agro Solar Cooperative Farm’ afin d’aider à produire des aliments sains et de l’énergie verte.

Les coopératives des planteurs devraient recevoir des subventions s’élevant à au moins 50 % de leur investissement dans des projets de sécurité alimentaire.

Le ‘Sugarcane Replantation Scheme’, qui est de l’ordre de Rs 40 000 par arpent, ainsi que l’allocation de Rs 25 000 par tonne de sucre, devra être maintenu pour les petits planteurs.

Les planteurs de canne à sucre devront être payés à un prix minimum de Rs 2 500 par tonne de canne à sucre. Vu le fait que le revenu provenant de la bagasse qu’un planteur perçoit n’a pas évolué pendant ces 30 dernières années, cet aspect devra être revu.

Pêche

Judex Ramphul : « Les bonnes décisions ne sont pas prises au moment opportun »

Comme de nombreux secteurs, l’industrie de la pêche n’a pas été épargnée par la pandémie de covid-19. Pour le porte-parole des pêcheurs, Judex Ramphul, le gouvernement est en train de travailler d’arrache-pied pour faire bouger les choses dans ce secteur, mais affirme qu’il y a toujours une mauvaise gestion car les bonnes décisions ne sont pas prises au moment opportun. Judex Ramphul avance que le secteur de la pêche peut booster la croissance  alimentaire et a le potentiel de créer bon nombre d’emplois. Parmi ses propositions :

Prévoir l’allocation des Rs 50 millions allouées aux coopératives des pêcheurs afin qu’ils puissent construire de nouveaux bateaux pour la pêche en haute mer.

Former de nouveaux skippers et de mécaniciens pour la pêche hauturière (en haute mer), ce qui va permettre la création de plus d’emplois à Maurice, ainsi que les pêcheurs artisanaux et ceux qui travailleront sur les bancs.

Accorder des subsides pour l’achat d’équipements de navigation et de sécurité.

Mettre sur pied un ‘Voluntary Retirement Compensation Scheme’ pour les pêcheurs ayant atteint 65 ans.

Construire une chambre froide et une unité de production de glaçons pour les coopératives de pêcheurs à Trou Fanfaron.

Effacer les dettes des pêcheurs contractés en 2000 à la Banque de développement de Maurice (DBM).