Cader Sayed-Hossen, ancien ministre du Commerce « La STC opère actuellement avec une caisse vide et dévie de sa mission »

  • « Il dit qu’une baisse des taxes représenterait un manque à gagner. Mais cet argent n’était jamais destiné aux caisses de l’État. Il était censé rester dans les caisses de la STC pour qu’elle puisse gérer le prix des carburants, de la farine et du gaz dans les meilleurs intérêts de la population »

Il ne digère pas le prix de l’essence et du diesel. Pour l’ancien ministre du Commerce, Cader Sayed-Hossen, les facteurs externes ne justifient pas cette hausse qui plume les consommateurs. C’est la mauvaise gestion économique qui en est la cause, dit-il catégoriquement. Il nous explique pourquoi dans l’entretien qui suit…

Zahirah RADHA

Q : Le prix de l’essence et du diesel a atteint un seuil jamais connu à Maurice auparavant. Des facteurs externes justifient-ils cette quatrième hausse en moins de cinq mois ?

Absolument pas ! Il y a eu, depuis ces derniers quatre mois et demi, en moyenne une augmentation par mois. Aujourd’hui, le baril de Brent sur le marché mondial est à 109 dollars comparé à 147, 2 dollars en 2008, soit 33% de moins qu’en 2008. Mais le prix de l’essence a néanmoins atteint Rs 74.10 comparé à Rs 49.50/ litre en 2008. Donc, le prix de l’essence est actuellement 50% plus cher qu’en 2008 alors que le prix du pétrole brut est 33% moins cher qu’à cette même période. Ce n’est pas normal. En fait, la plupart des facteurs qui ont entrainé ces hausses systématiques de prix sont des facteurs liés à la mauvaise gestion de l’économie par le gouvernement Jugnauth.

Q : Mais les autorités diront sans doute qu’il n’y avait pas de guerre en Russie-Ukraine en 2008 !

La guerre en Ukraine n’a rien à y faire tout simplement parce que l’Ukraine n’est pas un exportateur de pétrole. La Russie est, par contre, un exportateur de gaz, principalement en Europe. Il y a probablement eu un impact sur le prix du gaz européen, tout comme sur le blé et sur l’huile de tournesol causé par la guerre en Ukraine. La Russie a aussi de grosses réserves de pétrole qu’elle continue à exporter vers certains pays. Mais il n’y a pas eu d’impact majeur sur le prix du pétrole strictement en raison de la guerre en Ukraine.

Revenons à 2008, si vous le voulez bien. Le prix du pétrole était de 150 dollars/ baril mais l’essence était vendue chez nous à Rs 49.50/ litre. À 109 dollars/ baril aujourd’hui, le prix de l’essence aux consommateurs mauriciens a grimpé en flèche pour atteindre Rs 74.10/ litre. Pourquoi ? Il y a trois facteurs qu’il faut prendre en considération. Premièrement, le dérapage incontrôlé de la roupie vis-à-vis du dollar. Deuxièmement, les taxes (excise duty et celles liées à la Covid-19) qui représentent des revenus de l’ordre de Rs 5, 8 milliards par an pour le gouvernement. Et troisièmement, l’écrémage des fonds de la STC par le gouvernement vers le « consolidated fund » pour financer les dépenses gouvernementales et maquiller le déficit budgétaire.

Voyons d’abord la dépréciation de la roupie. Quand nous avions quitté le gouvernement en 2014, le dollar se vendait à Rs 30.66 comparé à Rs 26.75 en 2008. De 2008 à 2014, soit en six ans, la roupie s’était dépréciée par 14%, soit par une moyenne de 2, 4% par an. Or aujourd’hui, le dollar se vend en moyenne à Rs 44.25. En huit ans, soit de 2014 à 2022, la roupie s’est dépréciée par 44 %, soit de 5, 5% par an. La dépréciation de la roupie est liée à une mauvaise gestion de l’économie nationale. Le gouvernement prétextera la Covid-19 pour la justifier. Pourtant, même avant 2020, la roupie s’était déjà dépréciée par 35% comparée à 2014.

Ensuite, il y a les taxes qui sont imposées sur le prix des carburants. Il y a d’abord l’imposition d’une « excise duty » de Rs 12.20 sur le litre d’essence et Rs 4.70 sur le litre de diesel. En 2021, rien que l’« excise duty » avait rapporté au gouvernement Rs 4 323 000 000 pour 264 millions de litres d’essence et 238 millions de litres de diesel vendus sur le marché local. Avec autant d’argent, le prix des carburants aurait pu ne pas connaître d’augmentation pendant un an. Cette « excise duty », dont les revenus vont dans le « consolidated fund » pour financer les dépenses gouvernementales et pour masquer le déficit budgétaire, tue les consommateurs.

Ce n’est pas tout. Il y a ensuite les taxes pour le « Covid-19 Solidarity Fund » et le « Covid-19 vaccines » qui totalise Rs 3/ litre. Ce qui rapporte au gouvernement des revenus de l’ordre de Rs 1 500 000 000/ an pour 500 millions de litres d’essence et de diesel vendus. Pour ces trois taxes (ndlr : excise duty, Covid-19 Solidarity Fund et Covid-19 vaccines), l’État prélève un total de Rs 5, 8 milliards sur l’essence et le diesel. Ce qui est énorme. Si seulement Rs 10 sont enlevées de cette « excise duty » de Rs 12.20, cela soulagera considérablement les difficultés auxquelles font face les consommateurs.

Venons maintenant à l’écrémage des fonds de la STC par le gouvernement. Lorsque j’étais ministre du Commerce dans le gouvernement travailliste, il y avait deux fonds à la STC, soit le « stabilisation account » et un fonds de réserve. Le surplus accumulé en cas de fluctuations favorables de prix ou du taux de change était versé dans ces deux fonds qui servaient subséquemment à compenser d’éventuelles hausses. C’est ainsi qu’en 2012 et 2013, nous avions maintenu les prix de l’essence et du diesel inchangé pendant 23 mois, en dépit des hausses du prix du brut sur le marché mondial. Or, sous le gouvernement MSM, tout le surplus de la STC est transféré dans les caisses du gouvernement.

De 2015 à 2021, Rs 12, 7 milliards ont ainsi été ponctionnés de la STC par le « consolidated fund », selon mes calculs. Et cela, en sus des revenus que le gouvernement récolte à travers les taxes imposées sur les carburants. La STC opère actuellement avec une caisse vide. Ce qui explique pourquoi elle ne peut pas intervenir quand il y a la moindre fluctuation sur le taux du dollar et du pétrole brut et qu’elle est contrainte à augmenter les prix. La STC ne fait aucune régulation des prix. Elle ne stabilise rien alors que c’est justement le rôle de la STC de réguler et de stabiliser le prix.

Q : Rajiv Servansingh n’a donc pas si tort quand il dit qu’une baisse des taxes, plus précisément de l’excise duty, n’est pas la solution puisqu’il représente un manque à gagner pour l’État ?

Le rôle de la STC, c’est de faire du ‘trading’ pour l’État en ce qu’il s’agit des denrées stratégiques telles que les produits pétroliers, la farine, le riz et le gaz ménager. La ‘STC Act’ ne dit rien sur ce que la STC doit faire avec son surplus. Mais selma ou koné ene dimoune pas aprane la compassion et sympathie pou lezot dimoune dans lekol, dan l’université. Ene dimoune li né avec compassion dan so leker ou li né sans compassion dans so leker. Le PTr et le Dr Navin Ramgoolam ont toujours eu cette compassion.

Raison pour laquelle, tout était fait, sous le règne du PTr, pour que les intérêts des consommateurs priment. La finalité de l’économie, ce sont les consommateurs. La finalité du gouvernement, c’est le service qu’il donne à la population. Il était toujours important pour le PTr pour que les prix restent à un niveau supportable, acceptable et gérable afin de ne pas tuer la population.

Aujourd’hui, M. Servansingh vient justifier le fait que le gouvernement ponctionne annuellement presque Rs 6 milliards de ses caisses. Il dit qu’une baisse des taxes représenterait un manque à gagner. Mais cet argent n’était jamais destiné aux caisses de l’État. Il était censé rester dans les caisses de la STC pour qu’elle puisse gérer le prix des carburants, de la farine et du gaz dans les meilleurs intérêts de la population.

Q : La STC a donc failli dans sa mission ?

Absolument ! La STC ne sert plus que de boîte aux lettres. Elle ne fait rien pour réguler les prix dans l’intérêt des consommateurs. Au contraire, elle ne fait que retirer de l’argent des poches des consommateurs sous forme de ‘levy’ et de taxes pour le donner au gouvernement.

Q : Si le contrat avec ‘Mangalore Refineries’ avait été maintenu, aurions-nous payé le prix actuel aujourd’hui ?

Probablement pas. Le prix du pétrole brut est le même à travers le monde, à l’exception de quelques petites variations, dépendant de la référence sur laquelle vous travaillez. À l’époque, le Dr Ramgoolam négociait les ‘premiums’ directement avec son homologue indien, le Dr Manmohan Singh. Nous avions un contrat avec ‘Mangalore Refineries and Petrochemicals Ltd’. Les prix étaient systématiquement négociés entre les gouvernements indien et mauricien. Or, maintenant, les carburants sont achetés à travers des intermédiaires ou sur le ‘spot market’. La STC achète actuellement les carburants auprès d’une compagnie qatarie, mais à travers un intermédiaire basé à Dubaï. Ce qui implique évidemment des commissions pour des tierces.

Le contrat avec Betamax était très avantageux puisqu’il avait fait construire un bateau sur mesure qui contenait 14 cales, soit 7 de chaque côté. De ce fait, il pouvait nous rapporter les sept différents produits pétroliers que nous importons d’un seul coup. De plus, Mangalore, où le pétrole était embarqué, est le seul port de l’océan indien où sept différents produits pétroliers pouvaient être embarqués à partir d’un seul terminal. Cela n’existe pas ailleurs. À Oman ou à Dubaï, le bateau doit changer de terminal et faire la queue à chaque fois qu’un autre produit est embarqué. Les frais de transport sont ainsi plus chers. 

Ce n’est pas étonnant que les parlementaires de l’opposition n’obtiennent pas des réponses au Parlement quand ils posent des questions sur le coût du transport pétrolier comparé à Betamax. Parce que le transport actuel coûte définitivement plus cher. Sans oublier que la STC a dû casquer Rs 5, 4 milliards excluant les autres frais après le verdict dans l’affaire Betamax. Finalement, ce sont les consommateurs qui en payent le prix. Qui est fautif ? Le gouvernement MSM : son imprévoyance et son obstination de vengeance politique.

Q : Que faut-il donc faire pour régler le problème ? Trouver d’autres fournisseurs ou négocier directement avec un autre gouvernement aidera-t-il ? 

Le problème est multiple. Il n’y a donc pas une seule solution. Il faut d’abord ramener le dollar vis-à-vis de la roupie à un taux acceptable. Pour cela, il faut que l’économie fonctionne bien. Notre agriculture ine crazé net. Le secteur de l’industrie est presque à terre. Le tourisme reprend petit à petit. Pour le moment, il n’y a que le ‘global business’ qui fonctionne plus ou moins bien. Notre production et nos exportations sont trop faibles par rapport à nos importations. Le dollar continuera donc de déraper et tout ce que vous importez, coûtera plus cher.

Il faudra ensuite trouver un fournisseur fiable et un transport prévisible à un prix acceptable. Et finalement, il faudra diminuer ou éliminer les taxes sur le prix des carburants.

Q : À titre comparatif, quel aurait dû être le prix actuel de l’essence, selon vous ?

Imaginons que le PTr était toujours au pouvoir. Le taux du dollar aurait été de Rs 36.50 maximum. Notre contrat de fourniture de produits pétroliers avec Mangalore aurait été toujours de mise. Le bateau de Betamax aurait continué à transporter nos produits pétroliers entre Mangalore et Port-Louis de manière régulière et à un prix prévisible. Le taux de l’« excise duty » sur l’essence aurait été de l’ordre de Rs 4/ litre au lieu du taux prédateur de Rs 12.20/ litre imposé par le gouvernement Jugnauth. Les consommateurs n’auraient probablement pas à contribuer au « Covid-19 Solidarity Fund » et à l’achat des vaccins anti-Covid-19. À ce moment-là, le prix de l’essence sur le marché local aurait été autour de Rs 56/ litre.