Catherine Boudet, politologue : « Ces ‘snap elections’ sont un pari risqué pour le gouvernement »

  • « Je ne vois pas que le MMM puisse remporter assez de voix pour prétendre être un joker dans un arrangement post-électoral. Dispose-t-il encore de ses 43% de votants de 2010 ? »

 

Dans l’entretien qui suit, la politologue Catherine Boudet revient sur les enjeux des prochaines élections générales qui se tiendront le 7 novembre prochain. Elle dit noter de nouvelles tendances politiques ainsi qu’un changement de mentalité chez les Mauriciens. Ce qui pèsera certainement dans la balance au moment des votes…

Zahirah RADHA

 

Q : Comment expliquer la décision du Premier ministre de tenir des ‘snap elections’, surtout en pleine période d’examens du secondaire ?

Les ‘snap elections’ sont permis et autorisés par le système électoral mauricien, soit sous l’article 41 de la « Representation of People Act ». C’est un joker ou un avantage dont le parti au pouvoir dispose sur le calendrier des élections. Elles sont généralement pratiquées pour capitaliser sur une opportunité électorale, notamment pour exploiter une fenêtre de temps dans laquelle l’opposition serait plus faible, ou moins forte.

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, tout comme Navin Ramgoolam en son temps, a donc joué sur cette carte. Il n’a cependant donné aucune explication officielle pour expliquer l’objectif de la tenue de ces ‘snap elections’. On ne peut ainsi que se livrer à des interprétations ou à des conjectures. Un certain nombre d’éléments nous indique toutefois que c’est une tactique qui a été faite dans la précipitation et qui donne l’impression qu’il s’agit d’une tactique par défaut et non d’une stratégie savamment calculée. C’est, à mon avis, un pari risqué.

Q : Mais quel sera l’impact de cette courte campagne sur les principaux partis politiques ?

Ce sera, d’après moi, un mal pour un bien. La précipitation de l’annonce, qui a été faite dans le flou entretenu initialement, visait clairement à prendre l’adversaire de court, afin de le déstabiliser. Il ne faut pas oublier que le Premier ministre avait déjà fait des promesses électorales une semaine avant l’annonce de la dissolution du Parlement.

Mais cet effet de surprise est mitigé. D’un côté, il a fallu que l’opposition tranche dans le vif. Ce qui a précipité les alliances alors que les discours à ce sujet s’enlisaient auparavant dans le flou et la contradiction. On a vu, par exemple, le MMM qui dit qu’il va faire une alliance avec le peuple. On a donc vu émerger une certaine nouveauté politique. Ce qui est assez novatrice.

Au niveau du PTr, les innovations en termes de discours et du positionnement se jouent sur comment contrer les promesses électorales du Premier ministre. La rencontre et la promesse faite par Navin Ramgoolam à un gréviste de la faim ayant des revendications sociales démontrent une autre nouveauté, car il est allé vers la demande sociale, et ce sur le terrain. C’est donc un phénomène très nouveau qui émerge à Maurice et que je trouve très intéressant.

De l’autre côté, il y a eu des dommages collatéraux, comme ceux payés par le MP, par exemple. Ce parti a éclaté parce que les délais électoraux ne laissaient plus le temps aux dirigeants de régler les dissensions internes sur les allégeances concernant les alliances.

En revanche, l’échauffement des esprits et les risques de dérapages sont réels puisque le pays est sous pression comme une marmite tempo. Les violences électorales ont d’ailleurs commencé tôt, comme on l’a vu à Vacoas et à Flacq dans la seule soirée de jeudi alors que les alliances venaient tout juste de s’enregistrer.

Q : Pravind Jugnauth a choisi de se débarrasser de la plupart de ses parlementaires pour faire de la place à de nouvelles têtes. Est-ce une bonne ou mauvaise stratégie, selon vous ?

C’était une stratégie contrainte pour deux raisons principalement. D’abord, il n’avait pas d’autre choix, vu l’impopularité des casseroles que son gouvernement traînait. C’était, en même temps, une opportunité en or pour lui de refaire ses troupes et d’asseoir son pouvoir, sans la mainmise de son père. Car il ne faut pas oublier qu’il avait hérité du gouvernement formé par SAJ, et par conséquent les boulets que celui-ci traînait.

Il faudra maintenant voir si le choix de Pravind Jugnauth sera validé par l’électorat. Est-ce que celui-ci acceptera ce sang-neuf ou préférera-t-il les anciennes gardes ? Et puis, il ne faut pas oublier qu’on avait vu, aux élections de 2014, entrer du sang neuf, parmi lequel il y avait des têtes brûlées et qui figurent aujourd’hui parmi les casseroles qui ont dû être mises au placard.

Q : Mais en recrutant à gauche et à droite des personnes qui n’ont pas forcément des idéologies ou d’ancrage dans la politique, comment cela risque-t-il d’affecter le parti d’une part et la politique elle-même d’autre part ?

Oui effectivement, il n’y a pas que l’impact sur l’électorat mais aussi sur la structure et l’idéologie du parti. Ces nouveaux profils dans les recrutements sont preuves qu’on s’éloigne du profil traditionnel politique. Cela signale un changement d’images des politiciens et c’est un très gros pari, mais qui va quand même dans l’ère du temps. Je pense que si le Premier ministre le fait, c’est parce qu’il a l’intention de réformer la culture politique de son parti.

Je trouve ces élections très passionnantes parce qu’on fait vraiment dans l’engineering politique en ce moment. C’est une tendance assez réformatrice que le Premier ministre adopte, un peu comme celle de Modi en Inde. Comme je l’ai dit, c’est un pari risqué, mais un pari néanmoins.

Q : Pension vieillesse à Rs 13 500, révision à la hausse du salaire minimal, promotion automatique après 20 ans de service dans la force policière… Comment qualifiez-vous ces promesses électorales faites par le Premier ministre ?

C’est un autre pari très risqué. À la base, ce sont des mesures clientélistes. Elles marchent dans le contexte où l’électorat est demandeur et preneur. Mais, prenons la hausse de la pension de vieillesse par exemple, on a vu que ce cadeau électoral n’a pas été si bien reçu. Il n’y a pas seulement la question de faisabilité en terme de cette promesse, mais aussi en terme de recevabilité. Finalement, la promesse qui aurait été reçue avec beaucoup d’enthousiasme il y a cinq ans ne l’est plus aujourd’hui. En d’autres mots, l’électorat mauricien a évolué.

Q : Mais ces promesses pourront-elles quand même influencer les votes ?

Définitivement ! Elles ne vont non seulement influencer les votes mais en attendant, elles polarisent aussi le débat. C’est intéressant de voir que désormais le débat se fait entre les partisans de ces mesures  et ceux qui dénoncent leur côté clientéliste et mettent en question leur faisabilité. Cependant, je ne sais pas si la question de faisabilité est vraiment un argument qui pèse dans la balance du choix des urnes en tant que tel.

Ceci dit, on attend toujours les programmes électoraux puisqu’on sait qu’il faut d’abord enregistrer les alliances avant de voir débarquer les programmes. Mais là, le débat sur les réseaux sociaux bat tellement son plein avec le combat des gladiateurs que finalement, cela occupe les esprits.

En attendant les programmes, ce sont des grandes valeurs – soit l’éthique, la vérité et la justice – qui sont énoncées et des grandes contre-valeurs – comme la corruption et le roder-boutisme – qui sont dénoncées.

Q : Le pays se dirige vers une lutte à trois pour ces élections. Comment s’annonce-t-elle ?

Ce sera encore une fois une lutte entre cartels d’élites. La décision du MMM d’aller seul aux élections est également une stratégie contrainte puisqu’il sait qu’une alliance aurait pu être très préjudiciable pour lui. Sans une alliance pré-électorale à Maurice, c’est très difficile d’avoir des majorités claires.

On voit entrer beaucoup de sang neuf dans cette campagne. C’est dommage que les nouveaux venus auront peu de temps pour démontrer ce qu’ils ont dans le ventre, parce qu’ils sont pris dans la logique du système électoral et partisan.

Le sort des petits partis ou plutôt des ‘minor players’ est pratiquement scellé car, comme on le sait, en scrutin majoritaire, un petit parti en alliance comme le ML, pèsera plus lourd qu’un Reform Party. Ce qui est dommage puisque ce sont souvent les ‘minor players’ qui proposent des programmes plus intéressants par rapport aux vrais enjeux.

Q : Le MMM a-t-il raison d’aller seul aux élections ? Sera-t-il effectivement un joker, comme le prétendent les dirigeants mauves ?

Un joker, cela sous-entend, qu’il contractera une alliance post-électorale. Ce terme a été avancé par des observateurs politiques. Mais cela va totalement à l’encontre de son positionnement actuel face à l’électorat quand le MMM dit vouloir faire une alliance avec le peuple mauricien. Une alliance post-électorale serait un reniement complet de son slogan actuel, voire une trahison envers le peuple.

De toute façon, je ne vois pas que le MMM puisse remporter assez de voix pour prétendre être un joker dans un arrangement post-électoral. Dispose-t-il encore de ses 43% de votants de 2010 ? Je maintiens qu’aller seul aux élections, c’est un suicide noble pour le MMM. Noble pour montrer que l’on peut résister aux sirènes des alliances, tellement décriées par les Mauriciens qui en ont marre du jeu de ces alliances incestueuses.

Valeur du jour, là où nous sommes arrivés dans ces élections où nous voyons beaucoup d’innovations politiques, une logique d’alliance post-électorale serait vraiment un retour en arrière.

Q : En parlant de retour en arrière, le fait qu’il n’y a pas eu de mini-amendement constitutionnel concernant la déclaration de l’appartenance ethnique, n’est-ce pas un recul de la démocratie ?

Très bonne question ! Tous ceux qui se disent Mauriciens avant tel ou tel groupe se sentent lésés. Selon moi, la déclaration ethnique n’est qu’une partie du problématique. La déclaration ethnique sert plus à l’attribution des postes de ‘best losers’. On sait très bien que les ‘best losers’ étaient un outil essentiel au moment de l’indépendance, soit pour garantir une place à toutes les communautés car on était toujours dans l’ère coloniale et il n’y avait pas de citoyens en tant que tel mais plutôt comme des membres de telle ou telle communauté. Au moment où le pays a accédé à l’indépendance en 1968, tout le monde est devenu citoyen. 50 ans après, on est toujours dans cette logique contradictoire. La déclaration de l’appartenance n’est que symbolique. Donc, on n’a fait que jouer sur ce symbolisme en ne faisant pas de mini-amendement constitutionnel…

Q : Mais n’est-ce pas une contradiction avec l’élimination graduelle que proposait le gouvernement dans son projet de réforme électorale ?

De toute façon, le mini-amendement aurait été très paradoxal. La déclaration de l’appartenance ethnique n’aurait pas réglé pas le problème de ‘best losers’. En fait, elle aurait davantage compliqué l’exercice de l’attribution des sièges de ‘best losers’. C’est un retour en arrière, mais en même temps, cela veut dire qu’on retourne à zéro sur la problématique. Les ‘best losers’, il ne faut pas l’oublier, apportaient une rectification ethnique sur l’attribution des sièges au Parlement. Mais c’est une mesure partielle parce qu’on sait que cette répartition ethnique se fait de façon informelle dans les reste de l’exécutif, par exemple dans l’attribution des ministères ou au niveau du service civil. Les sièges de ‘best losers’ eux-mêmes ne sont en fait qu’une demi-mesure parce qu’ils ne garantissaient qu’une proportionnalité uniquement dans le Parlement.

Q : Un pronostic pour les prochaines élections?

Mon pronostic, je ne le donne jamais parce que je ne veux pas entrer dans la surenchère en terme de ‘zougadérisme’ politique. On est clairement dans un changement de culture politique à Maurice. La polarisation entre les deux grands blocs – quoique ce soit voulu par le système – reste très forte, à la différence près qu’on va être plus dans le débat des bilans, en l’absence des programmes. Pour moi, le résultat des élections ne sera pas important uniquement en termes de votes, parce qu’à on avis, les nouvelles tendances qui sont en train de se dégager auront un impact considérable sur les prochaines années de la vie politique mauricienne.