Dr. Farhad Aumeer : « Confiant que Navin Ramgoolam sera très vite de retour parmi nous »

  • « Jusqu’ici, je n’ai pas trop compris le protocole du ministère de la Santé quant à la prise en charge des patients, le traitement prodigué et le suivi qui est effectué, surtout en cas de détérioration de la santé des patients »
  • « Le traitement aurait dû être étendu dans des centres autres que les hôpitaux régionaux»

En tant que médecin et responsable du dossier Santé au sein du PTr, il observait et critiquait jusqu’ici la gestion de la pandémie Covid-19 de loin, tout en faisant certaines propositions pour améliorer l’efficacité du protocole mis en place. Un protocole qu’il dit d’ailleurs ne pas comprendre, même s’il a récemment été associé de près, voire même responsable, avec le soutien d’une équipe médicale composée de divers spécialistes, du traitement de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam, testé positif, avant que celui-ci n’aille poursuivre ses traitements à l’étranger. Ce qui révèle à quel point le protocole du ministère de la Santé n’inspire pas confiance…

Zahirah RADHA

Q : Un mot sur votre état d’âme avant qu’on ne débute cet entretien, sachant que vous avez été au four et au moulin durant l’hospitalisation de Navin Ramgoolam jusqu’à son départ pour l’Inde…

Je suis passé par des phases où j’étais très anxieux et bouleversé par son état, tout en étant conscient que je m’exposais, ainsi que mes proches, à des risques sanitaires. Mais je suis resté concentré sur son traitement et son transfert en Inde. Je suis aujourd’hui très content qu’il se porte mieux.

Q : L’état de santé du Dr Navin Ramgoolam montre-t-il des signes d’amélioration satisfaisante ?

Oui, nous sommes très satisfaits de ses rapports médicaux et des améliorations notées au niveau de sa condition. Navin Ramgoolam se porte beaucoup mieux. Il ne faudra pas attendre trop longtemps avant qu’il ne se rétablisse complètement et qu’il soit en route vers Maurice.

Q : Tout le monde veut savoir pourquoi des traitements à l’étranger lui ont été recommandés malgré que son état soit stable. Pourriez-vous nous éclairer ?

L’équipe médicale, qui était sous ma charge, a insisté pour qu’il se rende à l’étranger parce que nous estimions qu’il nécessitait un traitement continu. Même si sa santé s’améliorait, cela ne voulait pas dire qu’il pouvait obtenir une décharge immédiate. Le Dr. Navin Ramgoolam n’était pas à l’aise avec l’idée de se rendre à l’hôpital ENT. Il n’y a pas non plus, à Maurice, de « Covid-19 treatment centres » dans le privé. D’où l’option de traitement à l’étranger pour qu’il puisse se faire soigner, sachant que, selon les pathologies de ce virus, des risques de complications éventuelles ne sont pas à écarter. Le choix s’est porté sur AIIMS car il connait les rouages liés au traitement de la Covid-19, ayant déjà traité beaucoup de patients contaminés. D’ailleurs, avant même le départ de l’ancien Premier ministre, nous avons eu une série de consultations avec l’équipe médicale d’AIIMS par visio-conférence pour nous assurer que le traitement que nous lui procurions ici correspondaient à celui qu’elle allait lui prodiguer par la suite.

Q : Cela jette quand même un blâme sur notre système de santé. N’y a-t-il pas eu d’amélioration dans notre traitement et de suivi de la Covid-19 depuis mars 2020 ?

Je ne travaille pas dans la santé publique, mais je sais, selon mes informations, que le personnel médical fait de son mieux. On ne connait cependant pas grande chose sur le protocole qui a été mis en place par le ministère de la Santé. Je peux, par contre, vous dire ce que moi j’ai fait dans le cas du Dr Ramgoolam. Dès qu’il m’a contacté le vendredi 3 septembre, j’ai enclenché des démarches immédiates pour son admission à la clinique. J’ai pu, en quelques heures, mettre en place une équipe composée de spécialistes spécifiques pour le traitement pathologique de la Covid-19. Je me suis assuré que les consultations ne se fassent pas uniquement via la vidéo, mais qu’il y ait aussi un suivi direct avec le patient, en prenant bien entendu toutes les précautions d’usage. Nous avons pu éventuellement, avec le soutien du personnel paramédical, amener une grande amélioration au niveau de sa condition médicale.

Q : Justement, le traitement est complètement différent dans le service public, d’où les nombreuses dénonciations !

Oui, pour revenir à votre question initiale, j’entends dire qu’il y a une équipe qui travaille 24/7, mais je ne peux vous dire s’il y a eu d’amélioration ou pas au niveau du traitement.

Q : Quelles sont les limitations que vous avez personnellement notées dans le privé et le public confondus en ce qu’il s’agit du traitement de la Covid-19 ?

La plus grande limitation que j’ai notée, c’est le manque d’institutions autorisées à traiter cette maladie. Il nous en faut beaucoup plus dans le public et dans le privé pour pouvoir prendre en charge le nombre grandissant de personnes contaminées. On ne peut pas se fier uniquement sur l’ENT qui est déjà saturé.

Q : Le protocole a été revu en fin de semaine et les hôpitaux régionaux peuvent maintenant accueillir les patients contaminés. N’est-ce pas un pas dans la bonne direction ?

Je ne pense pas qu’il fallait le faire dans les hôpitaux régionaux pour éviter que d’autres patients ne soient contaminés. D’autres places, comme les mediclinics ou certaines cliniques, auraient pu être converties en centres de traitement dédiés à la Covid-19.

Ceci dit, je n’ai pas trop compris le protocole du ministère de la Santé quant à la prise en charge des patients, le traitement prodigué et le suivi qui est effectué, surtout en cas de détérioration de la santé des patients.

Q : Mais n’avez-vous pas suivi le protocole du ministère dans le traitement du Dr Navin Ramgoolam ?

Non. Nous avions établi un protocole propre à nous, basé sur le traitement prodigué dans les grands centres médicaux étrangers, notre connaissance, mais aussi avec l’apport d’un spécialiste pulmonaire travaillant à l’hôpital ENT. Je peux vous dire, en toute modestie, que ce protocole a porté ses fruits puisqu’on a pu stabiliser et améliorer la condition du Dr Ramgoolam. Autrement, il n’aurait pas pu se déplacer, fut-il en avion médicalisé ou pas.

Q : N’est-il pas temps pour que les cliniques privées soient mises de la partie dans le traitement de cette maladie pour prévenir la saturation de nos services publics ?

Les cliniques ayant des facilités avancées peuvent effectivement le faire. Il est même très important pour qu’elles le fassent.

Q : Mais sont-elles prêtes à le faire, à votre connaissance ?

Je sais qu’à la clinique Wellkin, où je travaille, des préparations ont été faites en ce sens. Je pense que d’autres cliniques peuvent aussi le faire. Il faut savoir que ce traitement requiert la mise en place d’une forte logistique. Deux facteurs sont très importants pour sa concrétisation. D’abord, que le traitement puisse être prodigué, avec le soutien et le ‘back-up’ d’un personnel médical et paramédical adéquat, et qu’ensuite, les autres patients non-infectées soient assurés qu’ils ne seront pas contaminés par la Covid-19. La mise en place d’un « green corridor » est donc très importante.

Q : Comment voyez-vous l’évolution de la situation à Maurice ?

La situation est sérieuse. On enregistre un nombre élevé de cas et de patients symptomatiques alors que notre service de santé est saturé. Je ne veux pas, après les moments que je viens de vivre…

Q : … cela ne vous donne-t-il pas un meilleur aperçu de la situation ?

L’ayant vécu pendant quelques jours, je comprends les complications et les difficultés auxquelles on doit faire face pour l’organisation et le traitement de cette maladie. Je pense que les médecins du public font face aux mêmes problèmes. D’où l’importance d’un plan de préparation et d’anticipation. Ce qui explique mes critiques contre le ministère de la Santé. On avait prévenu qu’il y aurait une saturation du service de santé. Tel est aujourd’hui le cas. On ne sait pas si l’on fait face à une deuxième ou à une troisième vague.

A-t-on un différent variant ou une différente souche dans la communauté ? A-t-on un variant propre à nous ? Tout cela est très important dans la compilation des données, du protocole mis en place et du traitement prodigué. Le ministère de la Santé n’est-il pas trop complaisant quand il soutient avoir déjà atteint l’immunité collective ? La situation, je le redis, est très sérieuse. Notre service de santé, dont l’ENT, est saturé. La saga de respirateurs artificiels est encore vivide dans nos mémoires.

Q : Arrivera-t-on à faire face à la pandémie avec le nombre actuel de « ventilators » dont on dispose, dans l’éventualité d’un nombre croissant de cas sévères ?

On connait tous le scandale « Pack & Blister » et comment les « ventilators » défectueux ont dû être renvoyés. J’ai cru comprendre qu’on en a fait l’acquisition d’environ une douzaine, mais ce n’est guère suffisant. J’estime qu’il fallait entre 50 et 75 respirateurs artificiels additionnels pour la prise en charge des patients souffrant de symptômes sévères et de complications, en se basant surtout sur les statistiques exponentielles pourvues par l’OMS. Le gouvernement avait le devoir d’acquérir d’autres « ventilators », d’autant que ceux-ci sont facilement disponibles maintenant, et de mettre en place de nouvelles ICUs.

Il est aussi primordial que ce soit le panel de médecins travaillant en collaboration avec le « High Level Committee » qui décide de la mise en place du meilleur protocole de traitement possible, en prenant en considération l’efficacité des traitements prodigués dans des centres étrangers et les recherches effectuées jusqu’ici, et de le communiquer clairement à la population. L’OMS peut nous conseiller, mais elle ne peut pas nous dicter ce qu’il nous faut faire.

J’aimerais également faire ressortir que l’immunité collective est un concept, et non un fait concret. Il y a quatre différents types de vaccins qui ont été utilisés pour vacciner les Mauriciens. Le virus, il faut le dire, n’est pas bête. Il mute constamment pour pouvoir continuer à attaquer. La plupart du temps, il s’affaiblit lors de ses multiples mutations. Mais en dépit de cet affaiblissement, il arrive à pénétrer la défense humaine. Ce qui explique les cas de contamination même après la vaccination. Raison pour laquelle le séquençage rapide des personnes infectées est primordial pour savoir si on a affaire à de nouvelles souches, qu’elles soient virulentes ou pas. Ce qui nous permet également d’évaluer, entre autres, notre défense vis-à-vis de certains vaccins. Car n’oubliez pas, malgré le « herd immunity », le nombre de cas est en hausse. De quelle immunité collective parle-t-on donc ? Pourquoi autant de personnes sont-elles toujours infectées ?

Q : Là il est question d’une « booster dose ». Est-ce le moment de la faire ?

Je suis tout à fait en faveur d’une dose de rappel. Mais le gouvernement devrait d’abord faire une évaluation très scientifique sur l’immunité de la population en se basant sur leurs anticorps avant d’entamer la « booster dose ». Il doit faire des « sample studies » très rapides pour évaluer si l’immunité de la population a baissé ou s’il a augmenté depuis ces sept derniers mois. À partir de là, il pourra établir ses priorités en ce qu’il s’agit des catégories de personnes nécessitant une « booster dose ».

Q : Les femmes enceintes sont encouragées à se faire vacciner. Quels sont les risques qui y sont associés ?

J’ai déjà réalisé une vidéo pour évoquer l’effet du vaccin anti-Covid-19 sur les femmes, y compris celles qui sont enceintes, celles qui se préparent pour avoir un enfant, celles qui suivent un traitement « in vitro », l’effet sur les menstruations ou les mamans qui allaitent leurs bébés. Concernant les femmes enceintes, le principe c’est qu’elles ne se fassent pas vacciner durant le premier trimestre, soit les premières treize semaines. Les vaccins sont, par contre, parfois administrés durant les deux autres trimestres. Même le tétanos est administré dans les hôpitaux.

Quant à la Covid-19, il n’y a aucune étude scientifique claire qui spécifie que le vaccin n’est pas permis à partir du deuxième trimestre. Il n’y a rien qui prouve non plus que le vaccin a provoqué des malformations, qu’il a affecté le fœtus ou qu’il a provoqué des pertes chez les femmes enceintes. Par contre, il y a des études qui démontrent qu’il y a eu, parmi des femmes testées positives durant leur grossesse, des accouchements prématurés, des tensions artérielles très fortes et des pertes. Il est donc conseillé que les femmes enceintes se fassent vacciner, surtout si elles évoluent dans un environnement très à risque.

Q : N’y a-t-il pas un manque de communication au niveau des autorités pour les convaincre de se faire vacciner au vu de la réticence évidente parmi les femmes enceintes ?

Je l’ai fait et j’en suis fier. Le gouvernement a débuté une campagne, mais elle est très tiède. Il doit l’accélérer.  Je pense qu’il lui faut surtout des personnes qui peuvent inspirer confianceaux femmes enceintes. Moi je conseille à ces dernières de se faire vacciner. Le vaccin idéal est bien sûr le Pfizer BioNTech et le Moderna, mais on n’en a pas. Les autres vaccins ont été recommandés par les instances médicales de leur pays de fabrication.

Q : Au-delà de la gestion de la pandémie Covid-19, n’y a-t-il pas un besoin pressant pour moderniser notre système de santé ?

La médecine est évolutive. Il faut toujours qu’on s’améliore pour qu’on soit à la pointe de la technologie. Outre des hôpitaux spécialisés pour traiter les maladies infectieuses, il nous faut aussi des ambulances hautement sophistiquées et spécialisées car le SAMU est déjà « overloaded ». J’avais, par ailleurs, déjà adressé une question parlementaire au ministre Jagutpal pour lui demander si l’on comptait faire l’acquisition des appareils d’ECMO (Extracorporeal Membrane Oxygenation). Il m’avait rassuré que le nécessaire sera fait. ‘Selma nou pa kapave asté loto, mais nou pena sofer !’

Il nous faut une structure de formation continue pour les médecins du service public afin qu’on puisse toujours être à l’avant-garde. Finalement, il nous faut prêter plus d’attention à la spécialisation, mais aussi à la sous-spécialisation. Celle-ci doit devenir la norme. Je ne dirai pas que tout est mauvais dans le service public, mais il y a définitivement ‘a lot of room for improvement’. Des efforts doivent être consentis pour que ces améliorations soient concrétisées, d’autant que rien ne semble avoir été fait suivant les maldonnes entourant l’acquisition des équipements médicaux, entre autres.

Un ressaisissement du ministre de la Santé est donc attendu. Je regrette d’ailleurs que ma proposition officielle, soutenue par le Dr Arvin Boolell, pour aider le gouvernement dans la lutte contre la Covid-19 n’ait pas été considérée. Pourtant, c’est presque cette même équipe que j’avais suggérée qui a traité le Dr Ramgoolam.