Dr Shameem Jaumdally, virologue Omicron : « Pour le moment, seuls ceux infectés avant septembre sont à risque de réinfection »

De la quarantaine où il se retrouve après son retour à Maurice pour des vacances, le Dr Shameem Jaumdally demeure constant dans ses analyses. Le pic en termes de contamination et de mortalité dûs surtout à la présence du Delta a été atteint durant les deux dernières semaines de novembre, maintient-il, conformément à ce qu’il avait prévu dans le dernier entretien qu’il nous avait accordé le 14 novembre 2021. Il n’y a ainsi, selon lui, aucune raison d’imposer un confinement, martèle-t-il, en dépit des critiques auxquelles il fait face depuis qu’il a insisté qu’un lockdown n’a pas sa raison d’être. Il insiste cependant que des restrictions plus sévères doivent être mises en place pour éviter un rebond après les festivités du nouvel an. Le virologue décortique aussi l’Omicron et dénonce la psychose créée autour de ce nouveau variant.

Zahirah RADHA

Q : Pourquoi cette inquiétude face au variant Omicron ?

L’inconnu, surtout dans le contexte de la maladie, suscite toujours des frayeurs. L’Omicron, au-delà de sa nouveauté, est aussi un variant qui se manifeste avec un plus grand nombre de mutations dans sa protéine de spicule, comparé aux autres variants déjà en circulation. Il faut savoir que les vaccins produits jusqu’ici ont été conçus avec un spicule comme leur cible. Ce bout de spicule programmé dans les vaccins aide le système immunitaire à développer des anticorps neutralisants pour désactiver et neutraliser le virus dès qu’une personne ait été infectée, et tout aussi créer une mémoire immunologique cellulaire. Mais en raison du grand nombre de mutations dans ce spicule, il y a une crainte que les vaccins existants ne puissent le reconnaître. D’où le danger. Mais avec ma compréhension de la vaccinologie, j’anticipe qu’il n’y aura pas de changement très conséquent dans l’efficacité des vaccins contre Omicron.

Face aux variants, l’efficacité des vaccins reste pour le moment l’arme la plus efficace contre la covid-19. Du moins tant que les nouveaux médicaments (Molnupiravir et Paxlovid) en fabrication contre la maladie sévère ne soient pas disponibles. La transmission déterminera à quelle vitesse ce nouveau variant se propagera et combien de personnes seront infectées. Le Delta s’était manifesté avec une charge virale 100 fois supérieur et était, de ce fait, plus contagieux. Mais la mutation présente dans le Delta qui comportait justement cette charge virale supérieure est absent dans l’Omicron.

Ce qui nous laisse supposer que l’Omicron n’aura très probablement pas une charge virale plus forte que le Delta en ce qu’il s’agit de la transmission. Il y a néanmoins des changements dans le génome qui suggère qu’il peut entrer plus facilement dans les cellules. L’autre danger c’est qu’il peut réinfecter les personnes précédemment contaminées plus facilement, et cela dû aux changements de sa conformation physique, qui fait que le système immunitaire ne le reconnait plus. Mais à Maurice, les seules personnes qui ont un risque de réinfection pour le moment sont celles qui ont été précédemment infectées avant le mois de septembre.

Q : Cela sous-entend-il que ce n’est pas aussi grave qu’on ne le pense ?

Jusqu’à présent, on ne peut concrètement rien dire, sauf faire des suppositions basées sur des observations faites car le variant est toujours au stade d’études. Il faudra attendre les conclusions des expériences avant qu’on ne se prononce avec certitude sur l’efficacité des vaccins et l’accroissement de la transmission. Malgré cela, les expérimentations en laboratoire ne sont pas totalement en parallèle avec ce qu’on voit dans un contexte de vie réelle. Bien que ma formation principale soit la science, je vous dirai sans ambages qu’on comprend plus bien en regardant ce qui se passe dans la communauté. Si les cas augmentent, c’est qu’il y a plus d’infections. Ceci pour vous dire qu’il faudra impérativement attendre avant qu’on ne soit définitivement fixé sur ce nouveau variant.

Q : Le Delta a-t-il donc déjà fait son cycle ?

En Afrique du sud, le Delta a duré pendant cinq à six mois. En mai, il représentait 30% des cas, passant à 65% en juin et à 90% de juillet à octobre 2021. Le Delta était prédominant jusqu’à ce que le nombre de cas ne baisse, ayant déjà infecté le maximum de personnes possible. Il était déjà sur un « downward trend », indiquant que son cycle est terminé. C’est maintenant l’Omicron qui prendra le dessus. C’est probablement ce qui se passera dans d’autres pays où le Delta est présent, dont Maurice, l’Europe, l’Asie ou l’Amérique.

Q : Mais combien de temps devrait-on attendre avant qu’on ait des données qui nous permettraient d’avoir plus d’informations sur l’Omicron ?

Déjà, dans le laboratoire où je travaille ou avec qui nous collaborons en Afrique du sud, on aura probablement des données sur la transmission jusqu’à la fin de cette semaine. Concernant l’efficacité des vaccins, cela prendra un peu plus de temps, le système de surveillance étant un peu plus complexe. Mais on devra néanmoins obtenir plus d’informations d’ici la semaine prochaine.

Q : La présence de ce variant remonte-t-elle au-delà de novembre, selon vous ?

S’il a été détecté le 11 novembre, c’est plus que probable qu’il fut présent bien avant. Un échantillonnage ne peut être représentatif s’il ne couvre pas suffisamment de terrain et de personnes contaminées dans la communauté. Puisqu’il n’y a pas eu beaucoup de cas en Afrique du sud ces derniers mois, le nombre de séquençages effectué a été plutôt restreint. Ce n’est que maintenant que les exercices de séquençages reprennent à plein régime, nous permettant de savoir dans quels endroits l’Omicron est présent.

Selon moi, l’Omicron a probablement émergé en octobre. D’ailleurs, ce variant comporte différents clades (ndlr : petites différences existant dans un variant), nous laissant croire que sa présence est là depuis quelques temps déjà. Raison pour laquelle je ne comprends pas trop les soudaines restrictions concernant les voyages. Pourquoi céder à la psychose quand il est déjà présent en Hollande, en Angleterre, en Asie et en Afrique ? Valeur du jour, ce variant a déjà été décelé dans plus de 40 pays, à travers 5 continents.

Il est très probable que ce variant ait émergé en Afrique du Sud, en connaissance que les variants de la Covid-19 évoluent plus rapidement dans le corps des personnes immunodéprimées (comme celles seropositives au VIH), mais c’est quand même ironique que ce pays soit maintenant puni pour avoir été avant-gardiste avec un exercice de séquençage extraordinaire (pour un pays en développement), mais surtout pour une honnêteté intellectuelle sans précédent à révéler au monde entier l’avènement d’Omicron, tout comme a été fait avec le variant Beta et C.1.2.

Comme statué par l’OMS, la fermeture des frontières aux pays de l’Afrique australe exclusivement, et en ce faisant procédant à l’isolation économique et une certaine stigmatisation de ces derniers, n’a pas de sens ! Cela n’augure rien de bien pour le futur, où certains pays pourraient décider de cacher la présence des variants émergents de leur territoire. Qu’est-ce qui nous dit qu’Omicron ne soit pas déjà en Inde par exemple, avec plus d’un milliard d’habitants, ou qu’il y ait un autre ‘super variant’ comme le Delta, où il a émergé en 2020.

Q : Est-ce possible que l’Omicron soit déjà présent à Maurice ?

On ne peut pas savoir s’il est présent à Maurice ou pas tant qu’on ne termine pas le séquençage des échantillons qui se sont révélés positifs ce dernier mois, surtout des passagers en provenance de l’Afrique du sud. Par contre, les tests PCR peuvent aider à déterminer s’il y a une différence comparée aux variants précédents, dont le Beta, le Delta, l’Alpha ou d’autres. C’est une des façons nous permettant de retracer des variants en l’absence de séquençage.

Je pense que les autorités doivent s’intéresser à tous les résultats positifs enregistrés durant les trois ou quatre dernières semaines pour voir si une différence est notée. Ces échantillons sont généralement archivés pendant un certain temps, surtout pour les besoins de séquençage. Cela nous permettra d’avoir une idée s’ils sont ceux d’Omicron ou pas.

J’anticipe que tout ce ramdam autour de la fermeture des frontières à certains pays n’aurait plus sa raison d’être dans les semaines à venir, et que le bon sens prévaudra finalement ! L’ironie du sort, c’est qu’actuellement, l’Afrique du sud, au centre de toute cette controverse, rapporte moins en termes de cas par tête d’habitant qu’aux pays comme l’Angleterre, l’Amerique ou la France, qui lui ont fermé leurs frontières.

Q : Vous dîtes qu’il n’y a pas lieu de céder à la psychose alors que le monde redouble de vigilance…

La psychose a été créée suivant l’annonce du nombre de mutations dont consiste l’Omicron. Mais ce n’est pas la première fois que cela arrive puisque le variant C.1.2 comportait également un certain nombre de mutations. Il avait d’ailleurs défrayé la chronique à travers le monde il y a deux ou trois mois de cela. Mais il n’y avait pas autant de tapage parce que ce variant s’était déjà propagé en Amérique Latine et en Europe avant qu’il ne soit découvert et qu’il ne soit officialisé.

C’est, à mon avis, une politique de deux poids deux mesures. L’Afrique du sud a pu le détecter et l’annoncer assez tôt, mais ironiquement, elle est punie. Elle se retrouve isolée économiquement, et elle est même stigmatisée. Pourquoi cela n’avait-il pas été le cas quand le variant C.1.2 s’était propagé dans certains pays développés ? Cela défie, pour moi, toute logique alors que l’Omicron est présent partout maintenant en circulation libre dans la communauté. Encore une fois, comment sait-on, par exemple, qu’il n’y a pas de variant émergent en Inde ?

Q : Mais quelles observations ont été notées concernant les cas d’Omicron enregistrés jusqu’ici en Afrique du sud ?

Selon des informations que j’ai recueillies sur le terrain, je peux vous dire que la majorité des cas infectés au variant Omicron sont issus des ‘super-spreaded events’ où des jeunes âgés de 10 à 29 ans étaient concernés. Malheureusement, aucune information par rapport à la maladie sévère ne peut être obtenue parce que cette catégorie de personnes infectées n’est pas à risque de développer une forme grave de la maladie. On ne pourra le savoir qu’une fois des personnes plus vulnérables ou ayant des comorbidités soient infectées au variant Omicron.

J’ai vu un médecin dire que l’Omicron cause des maladies ‘mild’. Mais il doit aussi dire que les personnes qui ont été infectées par ce variant sont des jeunes n’ayant pas de risque de développer des maladies sévères. Bref, on ne peut pas faire des hypothèses sur la sévérité de la maladie parce qu’il n’y a, jusqu’ici, pas suffisamment de personnes vulnérables qui l’ont contractée. Cela reste, bien sûr, à prouver.

Q : Quelles est votre analyse de la situation actuelle à Maurice ?

Je maintiens que les informations que j’obtienne sur le terrain, dans la communauté comme dans les services de santé du public et du privé présageaient depuis plus d’une semaine que les nouveaux cas diminuent. Je tiens à rappeler aux gens que le développement de la maladie sévère n’arrive qu’une dizaine de jours après l’infection, et la mort qui peut s’ensuivre arrive, elle, deux semaines après l’infection. On a vu un certain changement dans le comportement des gens environ deux semaines de cela, conscientisés par le nombre de personnes qui tombaient malades ou qui mouraient autour d’eux. C’est ce qu’on a vu dans nombreux pays dans leurs vagues précédentes.

Je pense qu’on a atteint à la fin du mois de novembre le pic en termes de mortalité, et je maintiens qu’on doit être très vigilant si on veut éviter un rebond au début de l’année prochaine. Un confinement extrême comme on l’a vécu l’année dernière n’a pas lieu d’être. Je préconise plutôt un système d’alerte, type cyclonique, plus proactif que réactif, qui sera basé sur deux paramètres, le taux de positivité au début d’une nouvelle vague, et ensuite le taux d’admission dans les centres de santé plus tard au sommet de la vague. Les restrictions imposées à différents niveaux de ce système d’alerte doivent être définies par les risques qu’on encourt à cet instant précis. Un couvre-feu, une limite dans le nombre de gens pour les regroupements, une pause du travail ou de l’école, et le port obligatoire du masque à tout temps peuvent être considérés.

En Afrique du sud, on a après coup, réalisé le côté néfaste d’un confinement très strict, qui a causé une montée fulgurante dans la mortalité excessive, à cause du manque d’accès aux services de santé pour les problèmes chroniques ou aigus, autre que la Covid-19. L’enjeu économique pèse tout aussi lourd dans la balance de la santé, dans le sens que la survie de bon nombre de personnes en dépend. ‘Mazine ou tou sa bane ti travayers indépendant la kouma pou met manzé lor latab pou zot zenfan si empes zot travay pou ene période de longue durée !’

Je lance un appel pressant aux Mauriciens et résidents de notre île, allez faire votre booster dose parce qu’on doit faire de sorte que nos services de santé puissent fonctionner correctement et éviter de l’encombrer. Protégeons nous-mêmes, nos proches, nos voisins et notre personnel de santé. On a besoin de votre sens du civisme, du communautarisme et du mauricianisme plus que jamais.