[EDITO] Gaspillages : dilo lor brède-songe

Encore et toujours de l’argent jeté par les fenêtres. À peine remis des révélations du « Splashgate » au cours de la toute première PNQ de cette année, où Rs 380 millions semblent avoir été jetées à l’eau, nous avons eu droit au dernier rapport de l’Audit rendu public le même jour. C’est sans aucun étonnement que ce rapport a mis à jour d’autres irrégularités, des gaspillages flagrantes, des fraudes alléguées, des lacunes inadmissibles dans les appels d’offres et des détournements honteux des procédures, entre autres. Sans compter qu’il a aussi révélé la dette vertigineuse et le piteux état de nos finances. Évidemment, il nous a été quasiment impossible de tout digérer en un seul jour et tous ces gaspillages nous sont restés naturellement en travers de la gorge. Comme toute autre personne ayant à cœur les intérêts du pays. Mais visiblement, le gouvernement n’en a rien à battre.

Le constat n’est pas nouveau, mais il n’en demeure pas moins angoissant. Nous avons, d’un côté, affaire à la désinvolture d’un gouvernement qui n’hésite pas le moindrement à brûler la chandelle par les deux bouts en dilapidant les fonds des contribuables comme il l’entend. Et de l’autre, nous constatons avec effroi, la souffrance croissante d’un peuple qui s’escrime à pouvoir joindre les deux bouts face à la cherté de la vie, exacerbée grandement, outre des facteurs externes comme la guerre russo-ukrainienne, par la mauvaise politique gouvernementale. Malgré les temps extrêmement difficiles, nos dirigeants, s’ils ne se pavanent pas au Dubaï Expo, cherchent par tous les moyens de mettre du beurre dans les épinards des « happy few » constitués de proches, parents, copains ou agents qui « pas met de l’huile dan zorey » tandis que des milliers et des milliers de familles n’arrivent plus à manger à leur faim.

Ce scénario, on la voyait déjà depuis bientôt sept ans. Sauf qu’il commence maintenant à peser vachement lourd dans la balance, avec un déficit budgétaire s’élevant à Rs 49, 3 milliards à la fin de l’année financière 2020-2021. Le gouvernement continue d’emprunter aveuglément de l’argent, la dette publique s’élevant à hauteur de Rs 381, 8 milliards, sans consentir à des sacrifices ou à freiner les abus. Les abnégations, il les laisse pour la population. Il suffit d’écouter les explications fournies par le ministre de la Santé pour prendre conscience du sans-gêne du régime actuel face à la dilapidation des fonds publics. Puisque la Covid-19 a le dos large, Kailesh Jagutpal l’a, comme d’habitude, utilisé comme paravent pour justifier les gaspillages commis par son ministère. Alors qu’en réalité, nous savons, à la lumière des révélations faites dans le sillage du scandale Molnupiravir et du rapport du PAC, qu’il y a eu connivence et contorsions procédurales au plus haut niveau du pouvoir et de l’administration publique pour faire bénéficier de juteux contrats à certains.

Le ministre de la Santé a aussi fait montre de son incompétence désormais notoire en évoquant les vaccins anti-grippe, au coût de Rs 16, 5 millions, expirés et détruits sans avoir été utilisés, comme nous l’avions fait état en exclusivité dans notre édition du 21 mars dernier. « Nous avons concentré nos efforts dans l’acquisition des vaccins anti-Covid-19 et nous n’avons ainsi pas pu faire le vaccin contre la grippe », a-t-il argué. Pourquoi les avoir donc achetés si le ministère de la Santé n’avait pas les ressources nécessaires pour les administrer ? Ces Rs 16, 5 millions sortent-elles des poches de Kailesh Jagutpal pour qu’il puisse s’en sortir avec une explication aussi banale ? Et dire que son ministère n’a rien trouvé de mieux que d’arrêter de fournir du papier toilette aux fonctionnaires afin de réduire les dépenses de la Santé ! « Adding insult to injury », dirait l’Anglais.

Ces gaspillages qui scandalisent la population se résument pourtant à « dilo lor brède-songe » pour nos gouvernants. Parce que nous avons malheureusement à la tête du pays un Premier ministre qui ferme les yeux sur la mauvaise gestion et les maldonnes et qui soutire l’incompétence de ses ministres et nominés politiques. Aussi parce que la notion d’« accountability » n’existe quasiment pas sous le leadership de Pravind Jugnauth. En témoigne la compagnie nationale d’aviation qui sera dorénavant plus ou moins libre de faire ce qu’elle veut, n’étant plus cotée en Bourse. Ce qui fait que malgré toutes les dénonciations, rien ne changera sous le règne de ce gouvernement, surtout quand certains fonctionnaires complices acceptent de faire son jeu et quand la police et l’ICAC préfèrent jouer à la blanchisserie au lieu de travailler en toute indépendance pour faire payer les responsables.