Interview de Vera Baboun: « Nous prions pour la paix dans le monde quand nous-mêmes nous n’en avons pas ! »

Vera Baboun, mairesse de Bethléem, est la première Palestinienne à occuper ces fonctions politiques et administratives dans un État meurtri sous la privation, l’occupation et la domination israéliennes. À la veille de son départ au terme de son court séjour dans notre île, elle a bienveillamment accepté de nous accorder cet entretien. Pour cette mère de cinq enfants, détentrice d’une maîtrise en littérature américaine et africaine  et ex-chargée de cours qui a enseigné à l’Université de Bethléem, sa ville est spirituelle et très sécurisée. L’ironie, pour cette grande dame de la Palestine, c’est que « nous prions pour la paix dans le monde quand nous-mêmes nous n’en avons pas ! »

Zahirah RADHA

 

En octobre 2012, Mme Vera Baboun, membre du Fatah, est élue aux élections municipales et devient la première femme maire de Bethléem. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager activement dans la politique ?

Chaque maire, qu’il soit homme ou femme, a le devoir et la responsabilité de servir la ville dans laquelle il a été élu. Ce qui m’a poussée à m’engager activement dans la politique, c’est cette pressante envie de servir ma ville afin de rendre la vie de mes compatriotes meilleure. C’était cela mon ambition personnelle. En sus de cela, Bethléem est la porte de la Palestine. En tant que mairesse de cette ville, je peux œuvrer sur le plan national et international en faisant passer le message de Bethléem et en conscientisant la communauté internationale sur la situation en Palestine. C’est donc un moyen aussi de lutter pour la cause palestinienne.

 

Être mairesse, est-ce une fonction à plein temps pour une ville de 30 000 habitants ou bien trouvez-vous le temps de vous consacrer à d’autres responsabilités professionnelles en votre capacité de pédagogue et de chargée de cours à l’Université de Bethléem ?

En fait, c’est un travail à plein temps. N’importe qui participe aux élections pour devenir maire doit obligatoirement démissionner de son poste. C’est une responsabilité qui requiert une attention constante, d’autant que la situation en Palestine est loin d’être reluisante.

 

Pour une catholique chrétienne, est-ce facile de gérer une ville à majorité musulmane dans un environnement social et politique difficile ?

Notre environnement social n’est pas difficile. Au contraire, à Bethléem, les musulmans et les chrétiens vivent en parfaite harmonie. Notre identité première est celle d’être Palestinienne ou Palestinien. Et l’identité de Bethléem est intrinsèquement liée aux activités et célébrations religieuses qui y ont lieu. Le mairat de Bethléem doit participer aux cérémonies d’accueil, à la procession du Patriarche, assister aux messes, bref il doit participer pleinement aux activités chrétiennes qui sont prédominantes à Bethléem. Donc,  ayant un maire chrétien fait partie de cette identité. Le maire est, bien entendu, élu et il peut être chrétien ou musulman, homme ou femme, indistinctement.

Quant à la situation politique, elle est vraiment très difficile. Comme vous le savez, Bethléem et Jérusalem sont divisés par un mur de séparation. Cela crée un état de siège, un étranglement qui rend la situation extrêmement difficile. Rien qu’à Bethléem, nous avons 19 colonies et cela complique davantage la tâche du mairat. 66% du territoire en Cisjordanie est sous l’administration et la juridiction sécuritaire israélienne. Cela constitue un autre problème puisque tous les projets que nous avons, nous devons impérativement avoir l’aval et les permis de l’administration israélienne. C’est donc important d’en parler et d’en conscientiser. Ce qui devait être l’État palestinien n’est en fait que 1967 frontières.

 

A votre prise de fonctions, avec le fort taux de chômage en Cisjordanie, vous avez espéré pouvoir créer des emplois pour les jeunes. Êtes-vous parvenue à soulager la jeunesse palestinienne dans ce sens ?

La création d’emplois n’est pas exclusivement le travail du maire, quoi qu’il puisse œuvrer dans ce sens. Pendant des années, toutes ces barrières de séparation et d’étranglement de Bethléem ne font qu’augmenter le taux de chômage. Bethléem étant éloigné de la ville politique de Ramallah, les gens ont tendance à rester chez eux pour travailler au lieu d’aller à Ramallah pour bosser et perdre la majeure partie de leurs salaires sur les moyens de transport.

  • « Bethléem est une ville très sécurisée »

Durant les quatre dernières années, nous avons décidé d’organiser la première convention  de la diaspora à Bethléem. Nous avons pas mal de Bethléemites vivant en Amérique du Sud  et aux États-Unis. Afin de rapprocher la diaspora de Bethléem, nous tiendrons, en octobre prochain, cette première convention où nous prônerons un retour aux sources pour la diaspora. Nous espérons, dans la même foulée, attirer plus d’investissements et de partenariats commerciaux à Bethléem. Nous avons de nouveaux projets qui sont en chantier dans la nouvelle zone industrielle. Donc, nous nous attendons à ce que toutes ces initiatives puissent créer de nouveaux emplois.

 

Vous disiez aussi que Bethléem est « une ville étranglée, sans aucune place pour s’accroître en raison de la présence des colonies et du mur ». C’est dur dans ces circonstances d’administrer dans la stabilité pour l’avancement de vos citadins,  et de votre mairie, n’est-ce pas ?

L’administration de la mairie de Bethléem n’est pas plus différente des autres administrations de la Cisjordanie. Tous les maires palestiniens rencontrent les mêmes difficultés que moi. Chaque zone assiégée comprend 66% des 1967 territoires  de chaque gouvernorat. Et à chaque fois que vous voulez réaliser de gros projets ayant trait à l’électricité, aux dépotoirs, au traitement d’eaux usées, aux abattoirs ou aux terrains de foot entre autres, vous avez besoin d’espaces libres et ils ne sont disponibles que dans les zones assiégées et qui nécessitent l’aval de l’administration israélienne. Les procédures sont longues et fastidieuses et dans la plupart des cas, nous devons abandonner les projets, faute des autorisations nécessaires.

 

Bethléem, ville religieuse et hautement touristique, est-elle à l’abri des exactions israéliennes ?

Le sens de sécurité est très important. L’absence de la paix affecte généralement le tourisme dans cette partie du monde. Raison pour laquelle quand nous évoquons le processus de paix, nous parlons aussi de la reconnaissance des droits du peuple palestinien. Je dois toutefois préciser que Bethléem est une ville très sécurisée.

 

Avez-vous aussi fait face à des coupures d’eau comme certaines autres villes ou villages ont connues durant l’été ?

Un des problèmes majeurs auquel nous faisons face, c’est la pénurie d’eau. Les maires de Bethléem sont généralement les présidents des ‘water authorities’, mais nous ne contrôlons pas l’eau. Nous devons l’acheter pour ensuite la distribuer. Bethléem en a besoin de 15 000 m3  par jour. Or, nous n’obtenons que 10 000 à 11 000 m3 quotidiennement.  Ce qui nous oblige à établir un programme de distribution d’eau à Bethléem. Chaque région ne reçoit l’eau que pendant deux jours, qu’ils conservent dans des réservoirs d’eau, et durant les huit à dix jours suivants, les habitants ne reçoivent rien. Ce programme de distribution dépend du volume d’eau qu’on reçoit. Comme vous pouvez l’imaginer, c’est un très gros problème auquel nous faisons face, surtout en été puisque Bethléem est également une ville touristique qui compte en son sein 44 hôtels. Nous n’y pouvons rien face à cet inconvénient.

 

Dans une de vos conférences publiques mercredi, vous avez lancé un appel au peuple mauricien pour qu’il se rallie derrière la cause palestinienne. Êtes-vous satisfaite de la réaction des autorités mauriciennes ?

J’en suis très satisfaite. Dès 1978, les autorités mauriciennes se sont montrées attentives à notre cause. La visite du Deputy Prime Minister, Xavier Duval, à Bethléem était très significative puisque ce n’est qu’en restant parmi nous que vous pourrez constater les défis auxquels nous devons faire face en Palestine. Notre demande pour l’instauration d’un État palestinien est non seulement un droit fondamental, mais un droit humain. Pour nous les Palestiniens, un État palestinien équivaut à la vie et vice-versa.

C’est ce besoin que j’ai partagé avec vous à Maurice. Xavier Duval m’a fait comprendre qu’il soutiendra l’initiative française pour la paix israélo-palestinienne en faveur de laquelle œuvre notre Président Mahmoud Abbas. Ce sera une très grande opportunité pour qu’on puisse réitérer notre appel en faveur de la reconnaissance d’un État palestinien dans un délai déterminé et dans des conditions spécifiques. Nous avons beaucoup perdu durant les vingt-cinq dernières années. Aucun des accords signés n’a vraiment été appliqué. Un des problèmes les plus cruciaux est que les zones assiégées accueillent maintenant 650 000 colons sur l’ensemble des 1967 territoires qui sont supposés être la Palestine.

Le peuple mauricien a aussi été très attentif à notre cause. En 1948, les Nations Unies ont reconnu Israël. Il est maintenant grand temps pour qu’elle reconnaisse l’adhésion totale de la Palestine aux Nations Unies. « Up to when will we remain like this ? There are those who are living inside the world and those living outside the world. » Cela ne peut plus durer ainsi.

 

Comment trouvez-vous notre île et ses habitants ?

Je trouve votre île formidable. Il y a une multitude de religions et de communautés qui vivent en toute quiétude, en parfaite harmonie et en toute sérénité. C’est un grand privilège que de pouvoir vivre en paix.  « In our region, the Middle East, you find peace so scarcely. »

 

Les Mauriciens qui veulent venir célébrer la Noël à Bethléem et à la Basilique de la Nativité, peuvent-ils préparer leur voyage en toute sérénité ?

Bien sûr. « Bethlehem is all about spirituality and worship but also about the social spirit of the Bethlehemites. Nous accueillons des touristes à travers le monde pour les célébrations de la naissance du Christ chaque année. « Bethlehem is the city of Peace and Love where the Christ was born. » Mais cette ville aujourd’hui est terriblement affectée. Elle est séparée de sa ville-jumelée Jérusalem. Nous nous réunissons annuellement, le 24 décembre, pour prier pour la paix dans le monde. « We, Palestinians, pray for peace, hope and love for the whole world when we ourselves don’t have peace. »