[Interview] Patrice Armance, whip de l’opposition

« Le rééquilibrage du salaire minimum est une nécessité absolue »

  • « Les municipalités sont mal gérées, que ce soit au niveau du nettoyage de drains, de l’entretien des terrains de foot et des infrastructures sportives ou du service de voirie. Tout laisse vraiment à désirer »

Il est d’humeur guerrière. Le whip de l’opposition, Patrice Armance, soutient que les munitions ne manquent pas pour acculer le gouvernement à la reprise des travaux parlementaires ce mardi. Le député du PMSD se fait également le défenseur de la revendication de l’Entente de l’Espoir pour réajuster le salaire minimum à Rs 15 000…

Zahirah RADHA

Q : Les travaux parlementaires reprendront ce mardi, après plus de trois mois de vacances, dans un contexte particulièrement difficile. Les munitions ne manquent surtout pas à l’Opposition pour faire feu de tout bois, n’est-ce pas ?

Les parlementaires reprennent heureusement le chemin de l’hémicycle, ce mardi, après de longues vacances qui auraient pu être exceptionnellement supprimées, comme l’avait demandé le leader de l’Opposition. La situation, vous le savez, est très grave et les munitions ne manquent pas, comme vous le dites. Il y a des dossiers de brûlante actualité qui sont toujours en suspens depuis l’année dernière. D’autres dossiers sont maintenant venus s’y ajouter.

Il y a le problème d’inondations, le coût de la vie, le train de vie des camarades parlementaires du gouvernement, les dépenses gouvernementales exagérées, le gaspillage des fonds publics. Outre le rapport du ‘Public Accounts Committee’ (PAC), il y aura aussi le rapport de l’Audit qui sera rendu public dans quelques jours. Ce sont là autant de dossiers auxquels s’intéresseront les députés de l’Opposition. Nous ne ferons aucun cadeau à qui que ce soit. Nous ferons notre travail sans frayeur ni faveur pour ‘take the ministers to task’.

Q : Réalisez-vous que ce ne sera pas facile avec le Speaker goalkeeper qui sera toujours bien en selle ?

Le Parlement est le temple de la démocratie. Le Speaker doit être, lui, le gardien de cette démocratie. Son rôle n’est pas d’être un ‘goalkeeper’. Nous n’avons rien de personnel contre le Speaker et nous resterons positifs dans notre approche. Nous tenterons de faire notre travail en toute confiance et sérénité. Le Parlement, loin d’être arbitraire, doit, au contraire, nous permettre d’obtenir des réponses et des informations que nous recherchons. Nous sommes payés des fonds publics pour poser des questions et les ministres, également payés par l’État, ont l’obligation de nous répondre dans l’intérêt de nos mandants et de la population en général.

Q : Le principal souci de la population est actuellement la cherté de la vie. N’est-ce pas irresponsable de la part du gouvernement de rester indifférent face à la souffrance grandissante du peuple ?

Le ministre des Finances a une politique de dépenses effrénées sans aucune planification. Nous avons l’impression des fois qu’il ne mesure même pas les risques d’un non-retour sur les investissements. Nous ne pouvons plus cautionner l’incompétence du gouvernement. Avec l’inflation et la dépréciation de la roupie, la vie est devenue extrêmement chère. Le dernier rapport du « consumer price index » publié en janvier indique que le coût de la consommation a augmenté par 22%, celui des médicaments a augmenté par plus de 10% alors que les frais des études tertiaires, surtout dans les universités privées, ont aussi accusé une hausse. Ce sont là trois éléments (la consommation, la santé et l’éducation) qui touchent à la vie de tout le monde.

Que vaut le salaire minimum de quelque Rs 11 000 aujourd’hui ? Avec la dépréciation de la roupie, il ne vaut que Rs 8 000. Comment une famille de deux, trois ou plus de personnes pourra-t-elle vivre avec Rs 8 000, même si deux personnes travaillent ? Ce n’est pas possible. C’est pour cela qu’au sein du PMSD, nous proposons que le seuil du salaire minimum soit revu. Un salaire décent doit aujourd’hui tourner autour de Rs 15 000. C’est un de nos projets phares et le PMSD ne lâchera pas prise, car ce n’est pas tout le monde qui peut s’offrir des berlines à X millions de roupies ou d’aller au Dubaï Expo.

Q : Cette revendication d’un salaire minimum de Rs 15 000 est-elle réaliste et responsable dans la conjoncture actuelle ?

Je dirais que c’est une nécessité absolue ! Ena larzan ! La MIC dispose de fonds qu’elle aurait pu utiliser pour financer les PME pour réajuster le salaire minimum. Le gouvernement a de l’argent qu’il dilapide à gauche et à droite. Il faut rééquilibrer le salaire minimum, sinon le fossé entre les riches et les pauvres s’agrandira davantage. Nous sommes arrivés à ce chiffre de Rs 15 000 en prenant en compte divers éléments, dont les prix actuels et les chiffres de ‘Statistics Mauritius’, entre autres. La pension doit également être revue. Le montant que nos aînés perçoivent actuellement est dérisoire face à la flambée des prix, surtout ceux des médicaments. ‘Ene pensionnaire bizin alle prend kas prêter zis pou manzer et asté médicaments avec sa somme ki gagné la’.

Q : Donc, outre une révision du salaire minimum, le gouvernement doit aussi réaliser sa promesse électorale en ramenant la pension à Rs 13 500 ?

Bien sûr. Il faut la rééquilibrer. Si la roupie ne s’était pas dépréciée, le pouvoir d’achat aurait été le même. Mais tel n’est pas le cas. Le pouvoir d’achat a baissé à tous les niveaux.

Q : Mais comment comptez-vous faire avancer cette cause, surtout celle liée au salaire minimum ? Le feriez-vous à travers une motion au Parlement ?

Ce sera à l’agenda de notre campagne municipale. Nous l’avons d’ailleurs déjà annoncé la semaine dernière. Nous procèderons étape par étape.

Q : La première étape pour les municipales, c’est quoi ?

Nous avons déjà mis en place plusieurs comités composés des membres de l’Entente de l’Espoir. Nous viendrons ensuite avec une série de propositions. Nous en avons déjà annoncé deux, soit la révision du salaire minimum et de la pension.

Q : Quand l’Entente de l’Espoir va-t-il descendre sur le terrain ?

Certains partis sont déjà sur le terrain. Nous ne l’avons même jamais quitté d’ailleurs. Mais d’autres partis au sein de l’Entente de l’Espoir nous suivront certainement très prochainement.

Q : Où en est-on avec les consultations avec le PTr pour une réunification élargie de tous les partis de l’opposition ?

C’est le souhait de toute la population de voir la réunification de l’opposition. Ce n’est qu’une opposition unie qui pourra renverser ce gouvernement. Il y a un dialogue permanent entre le PTr et l’Entente de l’Espoir. J’espère que dans les jours ou les semaines à venir, nous pourrons voir cette réunification. En fin de compte, nous avons un seul objectif en commun : celui de remporter haut la main les municipales. Nous ne visons pas une, mais toutes les cinq municipalités. 

Q : N’est-ce pas un pari osé ? Le gouvernement ne lésinera pas sur les moyens pour tenter de gagner quelques-unes de ces municipalités…

Je pense que la population a déjà fait son choix. Les municipalités ne fonctionnent pas. Savez-vous combien de milliards de roupies ont été votés de 2014 à 2022 pour la construction des drains pour prévenir les inondations ? Mais qu’a-t-on vu la semaine dernière ? Tout le monde voit que le gouvernement n’a pas la volonté de régler cet épineux problème alors qu’il y a des millions et des millions de roupies qui ont été alloués pour supposément le résoudre. Des nouvelles compagnies, soit des ‘Special Purpose Vehicles’ (SPV), sont créées pour faire le même travail annoncé il y a deux, trois ou quatre années de cela. ‘La population ine plein’ !

Revenons aux municipalités. Elles sont mal gérées, que ce soit au niveau du nettoyage de drains, de l’entretien des terrains de foot et des infrastructures sportives ou du service de voirie. Tout laisse vraiment à désirer. C’est incroyable de voir comment les villes sont sales. Il n’y a aucune équipe dédiée pour s’occuper de l’entretien des drains. Il est temps pour qu’une nouvelle équipe prenne la barre des municipalités.

Q : Et si le gouvernement repoussait encore une fois l’échéance de ces municipales ?

Si des élections ont pu être tenues à Rodrigues dans un contexte difficile, il n’y a aucune raison pour que le gouvernement les repousse chez nous. D’autant qu’il se peut qu’il y ait un assouplissement des mesures sanitaires. D’ailleurs, pendant combien de temps encore le gouvernement pourra-t-il retarder cette échéance ?

Q : Entretemps, pensez-vous qu’il aurait fallu que le ministère des Finances vienne avec certaines mesures immédiates pour soulager la population en attendant le budget ?

Définitivement ! Il faut des mesures immédiates parce que beaucoup de ménages n’arrivent pas à joindre les deux bouts et la population souffre. Dans un récent rapport, la ‘Competition Commission’ a avancé plusieurs mesures qui peuvent être prises par le gouvernement pour soulager la population. Laissez-moi vous citer deux exemples. Le prix d’un aliment ‘branded’ est-il contrôlé ? Peut-on avoir le même aliment à un meilleur prix chez un autre importateur ? La réponse est non.

Quand le gouvernement subventionne le lait, subventionne-t-il la population ou les importateurs ? Je pense que la réponse est claire et nette, d’autant que cette question avait été soulevée lors d’une PNQ. Les subventions doivent être réajustées régulièrement puisque nous sommes dans un contexte difficile où il faut prendre des décisions rapides. ‘Pas quand trop tard, lerla ki pou vine dire ki ti bizin subventionne dipain’. Êtes-vous au courant que le prix du carburant a baissé à l’échelle internationale ?

Q : Certainement. Le prix chez nous n’aurait-il pas dû être revu à la baisse ?

Tout à fait. En Angleterre d’ailleurs, le prix a déjà été revu à la baisse. Il faut aussi enlever certaines taxes sur le prix des carburants. Le gouvernement a encaissé presque Rs 600 millions suite à la taxe de Rs 2 imposée sur les automobilistes pour financer l’achat des vaccins anti-Covid-19. 2, 5 millions de doses de vaccins ont déjà été administrées à la population mauricienne. Sans oublier que nous avons aussi reçu des vaccins en cadeau de la part des pays amis que nous remercions. N’est-il pas temps d’enlever cette taxe de Rs 2 maintenant ?

Q : Quelles devraient être les priorités du gouvernement lors du prochain exercice budgétaire, selon vous ?

L’alimentation. Entrer dans un supermarché est aujourd’hui devenu un luxe. Il faut revoir les prix. Et bien entendu, il faut réajuster le salaire minimum et la pension.

Q : Vous dites qu’une des priorités devrait être l’alimentation. Pourtant, la sécurité alimentaire reste le parent pauvre du gouvernement alors que c’est un sujet qui préoccupe de plus en plus sur le plan mondial…

Le gouvernement n’a pas à cœur ce dossier. Il n’y a qu’un ‘part-time minister’ au ministère de l’Agro-industrie alors que c’est un dossier extrêmement important. La sécurité alimentaire a été évoquée à plusieurs reprises, mais zéro action. Il faut donner priorité à la production locale.

Q : Un autre ‘part-time minister’ est responsable d’un cafouillage autour de la limitation de 2 litres imposée sur la vente de l’huile comestible. Qu’en pensez-vous ?

(Rires) C’est le gouvernement des ‘part-time ministers’ ! Pour répondre à votre question : à qui profite le crime ? Comment peut-on émettre un communiqué en fin d’après-midi pour imposer une telle limitation sans aucune planification ? Cela a créé une psychose dans le pays, contraignant même les importateurs à venir dire qu’il y a suffisamment de stock pour les prochains mois. On a ensuite vu certains importateurs réclamer un subside ou une hausse du prix de l’huile comestible. Moi, je veux savoir à qui profite le crime. Je pense qu’on aura la question très vite au Parlement.

Q :  Vous nous réservez des surprises ?

Vous aurez la réponse très prochainement !

Q : Je parie que c’est un autre scandale qui sera révélé lors de la prochaine PNQ ?

La PNQ est la prérogative du leader de l’Opposition. Je n’en dirai pas plus.