[Interview] Vinod Boolell, ancien juge de la Cour suprême: « Le DG de la FCC sera un ‘political executive’ »

  • « Selon ce projet de loi, on peut mettre quelqu’un sur table d’écoute, l’espionner ou recueillir des informations personnelles sur lui, sans qu’il ne le sache »
  • « Je trouve comique que le projet de loi stipule que « the Director-General shall, in the discharge of his functions and exercice of his powers, not be subject to the direction or control of any person or authority » alors qu’il sera un nominé politique. Il sera nommé par le Premier ministre pour une période de trois ans et son contrat pourra être renouvelé toujours par le PM pour une période additionnelle de cinq ans »

Dans l’entretien qui suit, l’ancien juge de la Cour suprême, Vinod Boolell décortique le ‘Financial Crimes Commission Bill’ et nous donne les raisons de ses inquiétudes. « Les pouvoirs exorbitants qu’aura le DG, si cette loi est votée, pèsera comme une épée de Damoclès sur la tête de tous les citoyens mauriciens », prévient-il…

Zahirah RADHA

Q : Qu’est-ce qui vous interpelle dans le ‘Financial Crimes Commission Bill’ ?

Ce projet de loi prévoit une consolidation de toutes les lois existantes sur les crimes financiers. Je n’y vois aucun inconvénient, d’autant que dans un passé assez récent, il y a eu des divergences entre divers organismes, soit entre l’ICAC et l’‘Integrity Reporting Services Agency’ (IRSA), ou encore entre l’ICAC et la FIU. Ce qui est mauvais. Ce clash n’existera plus lorsque tous les organismes luttant contre les crimes financiers seront regroupés en un seul.

Ce qui m’interpelle par contre, c’est d’abord, le pouvoir de poursuite qu’aura le directeur général de la ‘Financial Crimes Commission’ (FCC). Ensuite, le pouvoir qu’il aura pour effectuer des fouilles sur la base de preuves qu’il jugera suffisantes pour faire des saisies, et finalement le pouvoir qui lui permettra de surveiller quelqu’un sur la base de soupçons.

Q : Analysons-les au cas par cas et commençons par le pouvoir de poursuite du directeur général de la FFC. Il parait qu’il usurpera le pouvoir du DPP. Partagez-vous cet avis ?

Parait, non ! C’est bel et bien une usurpation du pouvoir du DPP ! Il n’y aura pas d’appel à candidatures pour le poste du directeur général de la FCC, contrairement à la nomination des juges qui passent à travers un appel à candidatures et des entretiens. Pourquoi n’en fait-on pas de même pour le poste de directeur général de la FFC ? C’est le Premier ministre qui le nommera, après une prétendue consultation avec le leader de l’Opposition qui n’est en réalité qu’une farce.

Le DG sera un nominé politique. En d’autres mots, il sera un ‘political executive’ et c’est lui qui décidera des poursuites, alors que la Constitution ne donne ce droit qu’au DPP qui occupe un poste indépendant, et pas à un membre de l’exécutif. Le régime a trouvé une autre formule pour contourner le DPP, après que son projet d’instituer une ‘Prosecution Commission’ ait foiré. Mais je suis presque sûr qu’une telle clause ne passera pas le test de la Constitution.

Q : Venons-en au pouvoir de fouille qu’aura le DG. En quoi cela est-il préoccupant ?

Selon la ‘Police Act’, c’est la police qui a le pouvoir d’arrestation et d’effectuer des fouilles. Mais elle d’abord avoir un ‘warrant’ obtenu auprès d’un magistrat qui est un membre indépendant du judiciaire. Or, selon la clause 60 du FCC Bill, c’est le DG de la FCC, soit un nominé politique, qui aura le pouvoir d’émettre un ‘warrant’.

Et même dans des cas exceptionnels, selon les dispositions de la ‘Police Act’, si un assistant surintendant de police émet un ‘warrant’ pour une raison ou une autre, il doit ensuite le présenter devant un magistrat. Encore une fois, je ne vois pas cette garantie dans le FCC Bill.

Q : Et qu’en est-il de l’aspect relevant de la surveillance ?

Selon ce projet de loi, on peut mettre quelqu’un sur table d’écoute, l’espionner ou recueillir des informations personnelles sur lui, sans qu’il ne le sache. Que signifient ces ‘personal information’ ? Nul ne le sait. Et c’est là que les juges en chambre devront faire montre de rigueur, car c’est eux qui seront appelés à émettre un ordre en ce sens. En tant qu’ancien juge, je sais comment fonctionne le système d’ex-parte.

J’espère sincèrement que les juges joueront correctement leur rôle et pas nek donne l’ordre kumadir pe asté gato pima dan laboutik. Ils devront agir comme garde-fous contre les pouvoirs exorbitants qu’aura le directeur général de la FCC. Sinon, ces pouvoirs pèseront comme une épée de Damoclès sur la tête de tous les citoyens de Maurice. Personne ne sera à l’abri. Je lance aussi un appel aux juges pour qu’ils expliquent la raison de leur décision lorsqu’ils accèdent à une requête. Il faut en finir avec cette opacité entourant des décisions prises en chambre !

Q : Vous aviez plus tôt évoqué le ‘Prosecution Commission Bill’. Quel regard jetez-vous sur la persistance du gouvernement à contourner les pouvoirs du DPP ?

De 2014 à ce jour, le gouvernement s’entête à avoir une mainmise sur toutes les institutions. Il n’y a que deux institutions qui ont échappé à cette mainmise jusqu’ici : le judiciaire et le bureau du DPP. Il veut à tout prix contrôler le bureau du DPP afin de pouvoir décider qui sera poursuivi ou pas.  N’oubliez pas qu’il y a de gros dossiers qui dorment à l’ICAC. Je n’en cite que deux : Angus Road et Saint-Louis. Selon la ‘Prevention of Corruption Act’ (POCA), l’ICAC doit référer les dossiers chez le DPP après son enquête et c’est ce dernier qui décide s’il y a matière à poursuite ou pas. Or, c’est précisément ce pouvoir que le gouvernement veut lui enlever pour le donner à un nominé politique. Ainsi, dans le cas d’Angus Road, par exemple, le DG de la FCC pourra décider de ne pas poursuivre l’affaire, puisque la FCC prendra la relève des enquêtes qui sont en cours à l’ICAC.

Q : Y a-t-il donc un risque que cet organisme soit utilisé comme un instrument politique, surtout contre des opposants du pouvoir ?

C’est effectivement une grande possibilité. Je ne veux citer personne mais si le DG est celui qu’on pense qu’il le sera, on aura des raisons de s’inquiéter. Je trouve aussi comique que le projet de loi stipule que « the Director-General shall, in the discharge of his functions and exercice of his powers, not be subject to the direction or control of any person or authority » alors qu’il sera un nominé politique. Il sera nommé par le Premier ministre pour une période de trois ans et son contrat pourra ensuite être renouvelé toujours par le Premier ministre pour une période additionnelle de cinq ans. Que voulez-vous que ce nominé politique fasse ?

Q : Si cette nomination réside essentiellement entre les mains du Premier ministre, par contre, sa révocation doit passer par le ‘Parliamentary Committee’ qui sera constitué de cinq parlementaires nommés par le Premier ministre et quatre nommés par le leader de l’Opposition. Qu’en pensez-vous ?

Pour qu’il soit révoqué, il doit avoir un problème mental, une mauvaise conduite ou une mauvaise performance. En passant, il y a déjà un ‘Parliamentary Committee’ qui est chargé d’assurer la redevabilité de l’organisme en supervisant ses activités administratives. Combien de fois ce comité s’est-il réuni ?

Q : C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les députés de l’opposition ont démissionné de ce comité…

Oui, le ‘Parliementary Committee’ de l’ICAC n’est qu’une fumisterie. Tout ce qu’il a fait, c’est de discuter du budget, autant que je me rappelle. Il n’y a eu aucun rapport. Li paret joli dans la loi mais li pa servi nanrien. Dans le nouveau projet de loi, rappelons-le, deux comités sont prévus, soit le ‘Review Commitee’ et le ‘Parliamentary Committee’. Mais on ne sait pas trop quel sera leur rôle.

Q : Les décisions du DPP sont souvent mises en cause par la police ces derniers temps, surtout dans des affaires de drogue. Comment l’expliquez-vous ?

Il y a un gros problème au niveau du trafic de drogue à Maurice. Malgré toutes les arrestations, le trafic se poursuit. Je comprends parfois la frustration de la police. Mais le plus gros souci, c’est que les enquêtes prennent trop de temps pour aboutir. Même au bout de trois, quatre ou cinq ans des fois, case penkor prend dans la cour. Que fait un magistrat alors ? En tant que garant de la liberté des gens, il ne peut que relâcher le/s suspect/s. Idem pour le DPP. Il y a un point fondamental que la police ne prend pas en considération. La règle, selon la Constitution, c’est la liberté. L’exception, c’est la détention.

Q : La balle est donc dans le camp de la police qui doit conclure ses enquêtes aussi vite que possible au lieu de déverser sa bile sur le bureau du DPP ?

Oui, mais pas que. Si l’enquête est bouclée rapidement, le problème sera partiellement résolu.

Q : À quoi attribuez-vous la lenteur de la police à conclure ses enquêtes ?

Je n’en sais rien ! A-t-elle trop de travail ou d’autres obligations ? Manque-t-elle de ressources, d’imagination, ou d’enquêteurs capables ? Le CP aurait dû s’asseoir avec ses hauts gradés pour évaluer la situation.

Q : L’abolition les ‘provisional charges’ règlera-t-elle la situation ?

Non. Le point clé, c’est le temps écoulé entre l’arrestation d’une personne et l’aboutissement de l’enquête. Il faut aussi qu’il y ait une coopération entre le Parquet et la police. Or, il y a actuellement un bras de fer entre ces deux institutions. Nous sommes en face d’une situation où la police règle des problèmes personnels qu’a le CP contre le DPP. Nepli pe guet l’intérêt de l’État ou l’intérêt public, pe régler problèmes personnels.

Q : Vous dites que le CP doit faire une évaluation de la situation. N’est-ce pas plutôt au PM de voir ce qui ne va pas à la police, qui tombe sous sa tutelle ?

La section 71 de la Constitution est claire. Le CP est indépendant. Le Premier ministre ne peut lui donner que des instructions d’ordre général. C’est donc au CP de faire le bilan de la police et de soumettre un rapport au PM qui peut alors prendre des mesures politiques qui s’imposent.

Q : Le CP est indépendant, selon la Constitution, dites-vous, mais l’est-il en réalité ? La perception, basée sur des faits, veut que ce ne soit pas le cas…

 La perception est toujours plus tenace que la réalité, hélas !

Q : Revenons à la FCC.  Peut-on légalement la contester si elle est votée ?

Selon le FFC Bill, le pouvoir de poursuites concernant les crimes financiers sera enlevé au DPP pour le remettre entre les mains d’un nominé politique. Ensuite, pou passe diber, il est stipulé que, malgré tous ces pouvoirs accordés à un nominé politique, les pouvoirs du DPP ne seront pas affectés. Il s’agit, pour moi, d’une clause ridicule, puisque les pouvoirs du DPP restent les mêmes, selon la Constitution. Comme je l’ai dit plus tôt, cette clause ne passera pas, selon moi, le test de la Constitution.

Q : Faut-il qu’il y ait un débat national avant qu’un tel projet de loi soit voté ?

Les crimes financiers interpellent tout le monde. C’est un problème national et international. J’aurai personnellement souhaité qu’il y ait un consensus entre le gouvernement et l’opposition, mais aussi avec d’autres stakeholders, tels que les avocats, les activistes de droits humains et des membres du public, entre autres. Il faut que cette loi soit dans l’intérêt du pays, et non dictée par des motivations personnelles. N’oubliez pas que cette loi, une fois votée, pourra éventuellement être servie contre le gouvernement du jour.