« Le but d’une section de la police est simplement de créer un climat de peur au sein de la population et de la réduire à de simples marionnettes »

Vinod Boolell, ex-juge de la Cour suprême :

  • « C’est une chose de se vanter d’une arrestation en public ou dans la presse, mais c’est une toute autre histoire lorsque des officiers de police affrontent un magistrat ou un juge et sont minutieusement contre-interrogés par des avocats de la défense »

L’ex-juge Vinod Boolell se livre à Sunday Times sur le climat de peur qui règne dans le pays, les méthodes de la police et les tentatives du bureau de l’Attorney General d’avoir une mainmise sur le DPP et les avocats…

Q : Vous êtes un fin observateur de l’actualité locale. Des politiciens, avocats, journalistes et activistes, font tous état d’un climat de peur qui règne dans le pays. Partagez-vous personnellement ce sentiment ?

Que je partage ou non ce sentiment n’a pas d’importance. Mais c’est un fait que dans le grand public, il y a ce sentiment de peur. Cependant, les gens ne l’expriment pas ouvertement. C’est en soi un sentiment de peur.

Q : La police n’est-elle pas en grande partie responsable de cette frayeur puisqu’on parle de perquisitions et d’arrestations arbitraires, de drogues et d’armes plantées, d’intimidations et de menaces pour faire taire les opposants du pouvoir ?

Oui, la police est en partie responsable. Je dois préciser que la majorité des policiers accomplissent leur devoir dans le respect de la loi. Seule une minorité ternit la bonne image de la police. La population mauricienne a été choquée par l’ampleur de la brutalité policière qui existe dans le pays et les méthodes utilisées par certains policiers non seulement pour torturer les gens mais aussi pour les harceler et les intimider. Le but d’une section de la police est simplement de créer un climat de peur au sein de la population et de la réduire à de simples marionnettes.

Q : Est-ce normal que la police, qui est supposée indépendante, se plie aux instructions venues d’en haut, comme on en fait souvent état, pour faire le “dirty work” du gouvernement ?

Avons-nous la preuve que la police est à la merci du gouvernement ? Certainement pas. Mais malheureusement, étant donné l’attitude de la police dans un certain nombre de cas, il y a une perception que tel est le cas. C’est à la police de dissiper cette perception.

Q : Quel regard portez-vous sur la ‘Special Striking Team’ dont la méthode est pointée du doigt ?

La ‘Striking Team’ semble être une nouvelle force de police dont le mandat est de traquer les infractions graves, y compris le trafic de drogue. Est-ce que c’est une force de frappe ? Tant que les membres de l’équipe agissent dans les limites de la loi et font leur travail correctement, on ne peut rien leur reprocher. Mais s’ils se présentent comme une force guidée par la brutalité sans se soucier des lois du pays, ils seront bien sûr perçus comme un groupe de personnes qui n’ont aucune considération pour les droits des suspects et pour l’État de droit.

Q : La façon de procéder des enquêteurs dans l’affaire concernant Bruneau Laurette nous laisse également perplexes. La police peut-elle se permettre d’agir avec autant d’amateurisme ?

De nombreux commentaires ont été faits sur l’arrestation de Bruneau Laurette. Nous ne connaîtrons pas la vérité complète à ce stade. Si jamais Bruneau Laurette est poursuivi et qu’il y a un procès, alors les détails de l’arrestation et d’autres aspects de l’affaire apparaîtront certainement. Il ne faut pas oublier que c’est une chose de se vanter d’une arrestation en public ou dans la presse, mais c’est une toute autre histoire lorsque des officiers de police affrontent un magistrat ou un juge et sont minutieusement contre-interrogés par des avocats de la défense. J’ai travaillé au bureau du DPP pendant de nombreuses années. On m’a toujours appris que le succès d’une poursuite dépend d’une enquête policière approfondie, équitable, rapide et juste. La Cour suprême a également statué que l’équité d’un procès dépend également d’une enquête policière équitable.

Q : Qui a le pouvoir de rappeler à l’ordre la police ?

Le Commissaire de Police. Mais si on a un Commissaire qui se contente de laisser ses hommes agir comme ils le veulent sans un droit de regard ou un rappel à l’ordre, on n’y peut rien.

Q : S’il y avait une réforme de la police à faire, par où devrait-on commencer ?

ll y a tellement de réformes à entreprendre qu’il est difficile de savoir par où commencer. Un bon point de départ serait un amendement de la Constitution pour garantir que le Commissaire soit totalement indépendant de l’exécutif politique. Mais la meilleure façon de procéder est d’avoir une enquête complète sur la police par des personnes indépendantes.

Q : Que pensez-vous du bras de fer entre le bureau de l’Attorney General et celui du DPP ?

À Maurice, l’Attorney General est communément appelé ministre de la Justice. Il n’y a pas de ministre de la Justice à Maurice, comme il y en a en France. La traduction de l’Attorney General en ministre de la Justice est une idée fausse. Cela créé dans l’esprit du public la perception que l’Attorney General peut s’immiscer dans le système de justice.

Un ancien DPP, feu Cyrille d’Arifat, avait écrit que “La Constitution a prévu expressément que le DPP ne sera sous le contrôle d’aucune autorité, ni de personne. Cette disposition devait garantir l’indépendance et la liberté de décision du DPP. Ce dernier n’a de compte à rendre à personne. On peut même aller plus loin, et dire que l’on ne peut critiquer les décisions du DPP : celui qui s’aventurerait à le faire risquerait de se voir répondre que tout d’abord il ne connait pas les données de l’affaire et qu’ensuite le propre d’un pouvoir discrétionnaire est d’être sujet à appréciation de la part de celui qui l’exerce ; et ici, la règle du jeu veut que l’on ne critique pas les décisions de l’arbitre” !

 Le gouvernement élu en 2014 a tenté de réduire l’indépendance du DPP avec le ‘Prosecutions Commission Bill’. L’‘Explanatory Memorandum’ de ce projet de loi se lit: “The object of this Bill is to make provision for the accountability of the Director of Public Prosecutions through – (a) the Prosecution Commission ; (b) the issue of directions by the Prosecution Commission to the Director of Public Prosecutions ; (c) the furnishing of information by the Director of Public Prosecutions to the Prosecution Commission”.

Cette loi aurait complètement mis le DPP sous le joug de l’exécutif politique et aurait complètement détruit l’indépendance du DPP prévue par l’article 72 de la Constitution.

Le projet de loi n’a pu être voté grâce au départ du PMSD dirigé par Xavier Duval du gouvernement. Car il nécessitait les ¾ des voix des membres de l’Assemblée nationale. Pouvez-vous imaginer avoir un DPP qui devrait suivre les directives d’une Commission nommée par le gouvernement ? Mais il y a encore des tentatives soit pour intimider le DPP, soit pour remettre en cause ses pouvoirs.

Q : Ce n’est pas que le DPP que le gouvernement veut intimider. Il y a aussi les avocats. Quelle lecture faites-vous du projet de loi, en l’occurrence le ‘Law Practitioners’ (Disciplinary Proceedings) Bill’, pour discipliner les avocats ?

La ‘Mauritius Bar Association’ a le pouvoir de discipliner les membres de la profession légale. Si une affaire est grave, elle est renvoyée à la Cour suprême qui a le pouvoir de sanctionner les membres de la profession.

En vertu de la ‘Law Practitioners (Disciplinary) Bill’, l’Attorney-General peut, soit de son propre chef soit sur réception d’une plainte, initier une enquête sur un avocat.

Lorsque l’Attorney General est d’avis qu’un acte accompli par un avocat est de nature à justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire, il doit soumettre un rapport détaillé sur l’affaire au Chef Juge. Dès réception du rapport, le Chef Juge fixe un jour pour l’audition de l’affaire.

Pourquoi l’Attorney General veut-il s’octroyer des pouvoirs additionnels pour sanctionner les avocats et autres membres de la profession légale ?