Nando Bodha : « Le ministre des Finances est devenu un ‘liability’ dans la stratégie politique du MSM »

  • Affaire Kistnen : « L’enquête judiciaire a amené beaucoup de révélations qui ont exposé les ramifications entre le pouvoir politique, le MSM, les affaires et un assassinat »
  • « Je réunis une nouvelle équipe de compétences qui souhaite s’engager pour le Maurice de demain »

Il a été un fidèle lieutenant du MSM pendant de très longues années. Mais cela n’empêche pas Nando Bodha, aujourd’hui assis dans les rangs de l’opposition, de fustiger la gestion du fils Jugnauth. Des critiques qui prennent tout leur sens…

Q : Cinq mois déjà depuis votre démission du MSM. Avez-vous aujourd’hui des regrets d’avoir fait partie d’un gouvernement qui a pris systématiquement des mesures anti-démocratiques, irrationnelles et vengeresses dans certains cas jusqu’au point de mettre le pays à genoux ?

Je pense avoir bien fait de partir en février au tout début du mandat. ‘The writings were on the wall’. Un gouvernement à la dérive, avec un pouvoir dictatorial et les diktat des différentes mafias liées à la drogue, à la corruption et au blanchiment, surtout qu’il y a une terrible mainmise et une dévalorisation de toutes nos institutions, et des incompétents irresponsables qui répondent à une tour de contrôle opaque. C’est avant tout la politique pour rester au pouvoir et encourager les ramifications entre les affaires, la dilapidation des fonds publics et un pouvoir qui utilise tous les moyens pour sa survie.

Q : Êtes-vous maintenant prêt à révéler les noms de ceux qui sont aux commandes de la tour de contrôle que vous aviez dénoncée suivant votre départ ou craignez-vous toujours de les froisser ?

On les connait. Vous les connaissez ceux qui, dans la tour de contrôle verrouillée, exécutent les ordres au port, à l’aéroport, à la Mauritius Telecom, à Air Mauritius, à l’ICAC, les petits copains incompétents qu’on a nommés à la tête des institutions, dont la Banque de Maurice, la FSC, la MBC ainsi que les conseillers qui œuvrent dans l’ombre et dans les conseils d’administration.

Q : Les membres du gouvernement ne sont-ils pas tout autant responsables de par leur silence ou complicité ?

Nos institutions ont été tellement dévaluées que sur le plan international, notre image a pris un sale coup auprès des institutions de Bretton Woods, la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne, la FATF et V-DEM entre autres. Les membres du gouvernement vivent dans une bulle, ne voulant pas voir la galère dans laquelle ils se trouvent. Beaucoup sont condamnés à dire tout le temps que le chef du gouvernement est un grand leader, avec une grande vision et ils sont souvent en train de lire des textes écrits dans ce sens par une armée de conseillers payés par le contribuable. Et puis, il y a tous les nominés politiques à la tête de nombreuses organisations qui n’ont pas les compétences exigées par une situation difficile avec la pandémie.

Q : Quid du rôle et de la responsabilité du Premier ministre que vous semblez éviter soigneusement de blâmer directement ?

Si, je blâme le Premier ministre Pravind Jugnauth avant tout. Il est une terrible déception au niveau du leadership pour inspirer une nation. On ne sait pas d’où viennent les grandes décisions qui ont un impact conséquent sur le pays et son avenir. On se demande quelles sont ses priorités et pourquoi tout va à la dérive, économiquement, socialement et moralement ?

Q : Maintenant que l’enquête judiciaire sur l’affaire Kistnen a été bouclée, pensez-vous que la population pourrait être plus éclairée sur les manœuvres de certains proches du pouvoir ?

Il faut dire que l’enquête judiciaire a amené beaucoup de révélations qui ont exposé les ramifications entre le pouvoir politique, le MSM, les affaires et un assassinat. Il appartient à la police de faire des investigations approfondies pour que toute la vérité soit connue et que justice soit faite. Tous les légistes concernés ont fait un gros travail. J’avais parlé de l’odeur de la mort autour du MSM à l’époque. J’avais le sentiment que nous avons dépassé une ligne morale avec un assassinat et des tentatives d’un ‘cover up’. C’est contre la philosophie et la morale politique mauricienne.

Q : Pensez-vous qu’il y a d’autres cas où il se pourrait qu’il y ait eu des ‘cover up’ ?

Il y a d’autres cas qu’on considère comme étant suspects. Je demande que la police fasse ses enquêtes dans les meilleures conditions pour que la vérité et la justice soient connues.

Q : Faites-vous confiance à la police ?

Des révélations ont été faites dans le sillage de l’enquête judiciaire dans le cas Kistnen. Mais il y a d’autres cas, comme celui de Kanakiah, qui exige l’institution d’une enquête judiciaire. Là où des enquêtes judiciaires ont été instituées, il faut que l’enquête soit faite dans les meilleures conditions. Autrement, la police doit faire son travail comme cela se doit.

Q : Quel regard portez-vous sur le récent budget comparé à celui de l’année dernière quand vous étiez encore ministre ?

Un désastre et un ratage. Ce ministre des Finances disposait, en juin 2020, de Rs 140 milliards pour proposer des solutions aux grands problèmes, mais il a failli lamentablement. Cette année, il dispose de Rs 122 milliards pour relancer notre économie, réinventer les secteurs, dynamiser plusieurs piliers et mettre le pays en phase avec les nouvelles technologies. Il est lamentable. Il déclare que sa mesure phare est la construction des drains.

Par ailleurs, tout repose sur une reprise du tourisme, que nous souhaitons tous. Toutefois, une croissance de 9%, des arrivées de 650 000 touristes et des recettes touristiques de Rs 40 milliards en devises semblent très irréalistes.

Q : Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus par rapport à la gestion de notre économie et de nos finances ?

L’absence de vision et de ‘drive’ du gouvernement. La confiance de la population n’est pas là. Tous les chiffres sont manipulés. On ne dit pas la vérité à la population et on ne galvanise pas les acteurs économiques.

On a fait de la Banque de Maurice un outil politique. Nous avons un endettement de Rs 400 milliards alors que 100 000 personnes ne travaillent pas. Je me demande comment le gouvernement va gérer la crise qui s’annonce.

Q : Êtes-vous au courant des prétendues tensions entre le Premier ministre et le ministre des Finances ?

C’est évident. Le budget a été un flop. Il n’y a pas de ‘feel good factor’. Le Premier ministre aime ceux qui le rendent populaire. Le ministre des Finances est devenu un ‘liability’ dans la stratégie politique du MSM.

Q : Vous aviez été très prompt à présenter un projet de société après votre départ du gouvernement. Où en sont les choses aujourd’hui ?

Ce projet m’est très cher, c’est le sens de la mission et je demande à tous les leaders politiques de tout faire pour que nous puissions offrir à la nouvelle génération un nouveau pays, un nouveau destin.

Q : Êtes-vous à l’aise au sein de l’alliance de l’Espoir ?

Tout se passe bien. Je remercie Paul Bérenger, Xavier Duval et Roshi Bhadain qui m’ont donné une plateforme pour continuer mon engagement et ma mission pendant le confinement. Nous avons créé une synergie et une dynamique que nous allons maintenant consolider sur le terrain, notamment avec le lancement de ma formation politique.

Q : Ce lancement est prévu pour quand ?

Pour très bientôt. Je réunis une nouvelle équipe de compétences qui souhaite s’engager pour le Maurice de demain.

Q : Pourra-t-on voir d’anciens membres du gouvernement/ MSM à vos côtés ?

Je suis parti dans la première année de ce mandat. Je sais que beaucoup sont conscients de ce qui se passe à l’intérieur du MSM qui a perdu son âme et ses vraies valeurs. Je suis certain qu’ils réalisent combien le pays va mal et que le gouvernement n’arrive pas à gérer les grands défis. Ils réalisent aussi le fonctionnement malsain d’un pouvoir cadenassé et livré à une clique qui contrôle tout avec des pratiques qui mènent le pays à la dérive alors que la population est très en colère. Je pense qu’ils réagiront à cette nouvelle réalité.