Navin Ramgoolam : « Le gouvernement invite l’Omicron à Maurice »

  • « Pour moi, la vie humaine passe avant l’économie »
  • « A-t-on informé ceux âgés de 60 ans ou plus sur le fait que l’efficacité du Sinopharm pour cette catégorie de personnes n’avait pas été établie par l’OMS ? S’ils ne l’ont pas dit, c’est une négligence médicale. Tous les proches des victimes vaccinées au Sinopharm et âgées de 60 ans ou plus et ayant perdu la vie ont un cas légal de négligence médicale contre le gouvernement. Celui-ci doit les compenser »

De nouveau requinqué après son traitement de la Covid-19 en Inde, l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam commente quelques thèmes de l’actualité, dont la gestion de la Covid-19 et l’IBA (Amendment) Bill, entre autres.

Zahirah RADHA

Q : La série de propositions que vous avez faites dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre ne semble pas avoir été retenues par le gouvernement qui a pourtant souhaité que tout le monde travaille ensemble sur le dossier de la Covid-19. Quel est votre sentiment face à cette situation ?

J’ai l’impression qu’ils ont pris une suggestion « on board », notamment en ce qu’il s’agit de l’aide du personnel soignant indien, mais le reste a été ignoré.

Q : Pensez-vous qu’on va dans une guerre, peut-être plus acharnée avec l’apparition du variant Omicron, sans qu’on ne soit suffisamment équipé pour sauver des vies humaines ?

Je ne sais pas ce qu’ils ont fait pendant tout ce temps. Le problème a surgi depuis mars 2020. Depuis, on n’a cessé de leur dire ce qu’il faut faire. Il semble cependant qu’ils travaillent au jour le jour, qu’ils n’ont rien anticipé et n’ont pris aucune précaution. La lettre, mal écrite et pas datée, adressée par une fonctionnaire à l’ambassadeur de La Réunion, défiant ainsi le protocole, contient des choses bien graves. D’abord, ils admettent que l’épidémie fait rage chez nous alors que Jagutpal et les autres disent que nous sommes ‘Covid-safe’. Deuxièmement, la demande pour obtenir de l’oxygène en urgence sous-entend qu’il n’y a eu aucune préparation. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait pendant un an et demi.

C’est pire qu’un amateurisme incroyable, puisque c’est en fait une négligence. Et troisièmement, ils ont demandé dix respirateurs avec compresseurs en location. Je tremble quand je l’entends. On a payé Rs 476 millions pour des ‘ventilators’ défectueux. On ne sait toujours pas ce qui s’est passé alors que tout ce qu’on achète doit avoir une garantie. A-t-on eu un remboursement ou pas ? Et finalement, c’est maintenant que l’aide des réanimateurs est recherchée pour la formation de l’équipe de l’ENT. Tout cela démontre leur manque de préparation.

Q : Avec le variant Omicron…

Ce nouveau variant ne doit pas être pris à la légère. Il est très grave. Depuis vendredi, j’ai dit qu’il fallait suspendre les vols de l’Afrique du sud avec effet immédiat. J’irai même plus loin car j’estime personnellement qu’il faut fermer les frontières. Il y a eu un variant en Hong-Kong et un autre en Belgique. En France, on anticipe déjà la présence de ce variant en Europe, dont l’Angleterre. C’est pour cela que je pense qu’il faut fermer les frontières.

En dépit de tout, ils laissent toujours des vols de l’Afrique du sud venir à Maurice. Il y a d’abord le MK 852 qui est arrivé à Maurice à 15h45, hier. Aujourd’hui, il y aura un vol qui décollera de Johannesburg à 13h35 pour rentrer à Maurice à 19h35 ainsi qu’un autre de South African Airways qui doit atterrir chez nous à 15h45. C’est criminel ! Il faut qu’ils fassent l’objet d’une enquête, d’après ce que je vois. Ils invitent l’Omicron à Maurice, comme ils l’avaient fait avec la Covid-19 en 2020. Je leur avais demandé de fermer les frontières dès janvier, mais ce n’est qu’en mars qu’ils l’avaient fait.

Ils répètent aujourd’hui la même erreur en invitant l’Omicron. Il est presque certain qu’on en trouvera avec ces trois vols. Apparemment, selon le protocole, il y aura une quarantaine de 7 jours. Mais ne lisent-ils ou n’écoutent-ils rien ? Le cas détecté en Belgique a été testé positif après 11 jours. Mais de quelle quarantaine de 7 jours parlent-ils donc chez nous ?

Q : Maintenez-vous toujours qu’il faut un ‘lockdown’ parallèlement à la fermeture des frontières ?

Oui. Beaucoup de personnes disent que notre économie s’écroulera. Pour moi, il n’y a aucun doute : la vie humaine passe avant l’économie. Il n’y a aucun moyen de casser la chaîne d’infection autre qu’un ‘lockdown’. Tant que les contaminations et les décès augmentent, nous serons automatiquement inclus sur la liste rouge d’autres pays. Qu’en sera-t-il alors de notre économie ? Pour éviter d’être inclus sur cette liste rouge, c’est préférable d’instaurer un ‘lockdown’ de deux semaines pour régler le problème de transmission. Ce que beaucoup de gens ne réalisent pas, c’est que le ‘lockdown’ protègera aussi notre économie.

Q : Au lieu de débattre des mesures urgentes à prendre pour alléger la situation liée à la Covid-19, le gouvernement a choisi d’aller de l’avant avec l’‘IBA (Amendment) Bill’. Comment qualifiez-vous cette démarche ?

Franchement, c’est, pour moi, une « colourable device ». Alors qu’on a eu 122 morts de lundi à vendredi, alors que des Mauriciens perdent leurs proches dans des conditions atroces, alors qu’on quémande de l’oxygène et des respirateurs en toute urgence de la Réunion, Pravind Jugnauth et le MSM trouvent le moyen de rejeter la motion du leader de l’Opposition pour un débat urgent sur la crise pandémique.

Contrairement à toutes les démocraties, nous n’avons pas eu de débat sur la crise. L’opposition a aussi des points de vue qui peuvent aider à corriger des erreurs. D’ailleurs, Macron a, durant les débats en France, remercié l’Opposition, en reconnaissant qu’il y a des choses qui peuvent être mieux faites. Mais ici, on ne veut pas entendre parler de l’Opposition.

Pour le MSM, il faut circuler, il n’y a rien à voir et tout est pour le mieux. Le plus urgent pour eux, c’est d’adopter cette loi, que j’appelle liberticide, pour mettre une épée de Damoclès sur la tête de toutes les radios privées. Je fais un appel aux autres radios privées, pas celles de Lee Shim car peine perdue, mais à Radio One et Radio Plus pour qu’elles soient solidaires de Top FM.

C’est clair que c’est Top FM, dont la licence doit être renouvelée le 12 décembre, qui est visée. Raison pour laquelle ce projet de loi est plus urgent pour eux que la crise Covid et les personnes qui meurent. Top FM a été intransigeant dans son indépendance vis-à-vis du gouvernement. Il avait d’ailleurs déjà critiqué l’Opposition.

Q : Vous qui aviez ouvert la voie à la libéralisation des ondes et qui avait fait venir le Queens’ Counsel Geoffrey Robertson pour mieux réglementer la presse, quelle sera votre position envers cette loi si vous prenez le pouvoir ?

Je prends l’engagement d’abolir cette loi durant la première semaine après la formation du gouvernement. J’abolirai aussi la loi qui empêche les Facebookers de faire des commentaires négatifs contre le gouvernement. Il faut bien entendu certains paramètres, notamment en qu’il s’agit d’incitation communale entre autres, mais il faut laisser les Facebookers libres de s’exprimer.

J’ai aussi pris l’engagement, mais pas durant la première semaine celui-là, d’introduire la télévision privée, comme je l’avais fait pour les radios privées. Cela figurait déjà dans notre programme. Et puis, ceux qui ne regardent pas la MBC seront exemptés de la redevance. ‘Si ou envi gueter, ou payer’.

Il faudra aussi que l’IBA soit totalement indépendante. Ses décisions doivent pouvoir être contestées en cour. Avec cette nouvelle loi, l’IBA pourra sanctionner avant que la cour ne tranche. Le régulateur sera composé de ‘chatwas’.

Q : L’opposition parlementaire s’est réunie vendredi pour dénoncer la situation par rapport à la Covid-19. Pourra-t-on s’attendre à voir plus de synergie et de collaboration entre ces partis à l’avenir, concernant surtout les intérêts du pays ?

J’ai toujours dit et je maintiens que l’opposition doit travailler ensemble quand il s’agit des intérêts nationaux, surtout avec la crise de Covid-19. C’est moi d’ailleurs qui avait initié l’Entente de l’Opposition. Quand on m’a contacté vendredi, j’étais pour que l’Opposition se présente ensemble parce que c’est une question de la défense des Mauriciens, et non pas de la politique. Sur des sujets aussi importants que la Covid-19, il est important que l’opposition soit unie.

La situation est très grave. D’où mes préoccupations concernant ces vols venant de l’Afrique du sud. L’Omicron est un mutant dangereux, plus contagieux, pas sûr de l’efficacité du vaccin contre lui, mais on l’invite à Maurice. Il fallait immédiatement suspendre les vols de l’Afrique du sud.

Q : Le Premier ministre aurait-il dû activer les leviers diplomatiques, comme vous l’aviez suggéré, en vue d’obtenir de l’aide avant que la situation ne se corse ?

Définitivement ! La France, et même la Chine, n’ont jamais refusé de nous aider. Beaucoup de personnes vaccinées sont mortes. Il n’y a pas de transparence sur les vaccins. Depuis mai 2020, l’OMS a dit que l’efficacité du Sinopharm sur les personnes ayant 60 ans ou plus n’avait pas encore été établi. Ce qui explique pourquoi les Seychelles ont utilisé le Covishield pour inoculer ceux âgés au-delà de 60 ans. Mais notre ‘High Level Committee’, sur lequel siègent des incompétents incroyables, l’ont ignoré.

Ils n’ont pas ‘pre-order’ de vaccins à temps, comme le leader de l’Opposition et nous-même l’avions demandé. Ils ont dû donc gober le Sinopharm en toute vitesse et l’a administré à tout le monde sans prêter attention à ce qu’a dit l’OMS. Il nous faut savoir combien de personnes vaccinées au Sinopharm sont décédées. Le gouvernement a fait signer une ‘consent form’, mais cela aurait être un ‘informed consent’, c’est-à-dire que la personne devait être informée sur les risques associés au vaccin qu’on lui administre.

A-t-on informé ceux âgés de 60 ans ou plus sur le fait que l’efficacité du Sinopharm pour cette catégorie de personnes n’avait pas été établie par l’OMS ? S’ils ne l’ont pas dit, c’est une négligence médicale. Tous les proches des victimes vaccinées au Sinopharm et âgées de 60 ans ou plus et ayant perdu la vie ont un cas légal de négligence médicale contre le gouvernement. Celui-ci doit les compenser.

Q : Êtes-vous disposé à mettre les relations diplomatiques dont vous disposez au service du pays pour aider le gouvernement dans ses démarches pour obtenir de l’aide ?

Certainement. J’ai toujours dit que dans pareille situation, je suis toujours prêt à aider. J’ai plus de contacts qu’ils n’en ont. Ils ne savent même pas ce qu’il faut faire. La tragédie de Maurice réside dans le fait qu’on met au pouvoir des personnes qui ne savent pas quel levier il faut bouger. Malheureusement. Aux proches des victimes décédées, dont certaines dans des conditions atroces, je présente mes plus vives sympathies. Ce ‘High Powered Committee’ doit être ‘disbanded’ et être remplacé par un autre composé de vrais professionnels qui savent ce qu’ils disent et font et qui agiront dans la transparence.

Les vols venant de l’Afrique du sud me donnent raison qu’ils ne savent rien. Quand il y avait l’Ebola, j’avais immédiatement bloqué les vols venant du Sénégal. J’avais même eu des complaintes de la SADC, dont Maurice fait partie, et de l’OMS qui pensaient que je réagissais outre mesure. Mais j’avais insisté que ma priorité, c’est mon peuple. C’est ce qu’on aurait dû faire aujourd’hui. Le plus important, pour eux, c’est de remplir les hôtels, je crois.

Q : N’est-ce pas pour cela que le DPM dit que notre île est « open and safe » ?

Il raisonne normalement bien, mais je ne sais pas pourquoi il a dit cela. En parlant de Diégo Garcia au Parlement vendredi, il était le seul à avoir réalisé que j’étais la première personne à avoir pris des actions légales contre les Anglais. C’est ce qui nous avait permis d’obtenir le jugement de la Cour de La Haye. C’était notre plan. L’avocat Philippe Sands que j’avais moi-même choisi avait soutenu qu’il nous fallait d’abord établir un « Marine Protected Area » entourant les Chagos avant de poursuivre notre mission. Ce gouvernement n’a rien fait. Il a suivi ce que nous avions fait. Il n’y a rien eu de nouveau. Comme toujours.