Questions à…Hassenjee Ruhomally, ingénieur informatique « Les analyses pourront révéler s’il y a eu manipulation »

  • « C’est possible qu’ils aient installé un appareil durant les heures d’intervention afin de calculer le volume du trafic, avant de le retirer par la suite. Toutefois, toute intervention va certainement laisser des traces. Dès que vous intervenez sur le cordon, il y aura une baisse de tension sur le câble. C’est comme s’il y a un autre « pays » qui s’ajoute au raccordement du SAFE »

Q : D’abord, expliquez-nous pourquoi le de ‘sniffing’ du trafic d’internet par un ‘third party’ est-il aussi grave, au point d’en faire un acte de haute trahison ?

Un ‘sniffer’ est un programme qui capture tous les paquets entrants et sortants, circulant sur un réseau. C’est comme s’il y a quelqu’un chez vous qui a accès à tous vos objets, votre argent, et vos secrets. Et ce quelqu’un peut en faire ce qu’il veut. Dans le cas actuel, qui concerne le pays, c’est encore plus grave si cet « intrus » est un état étranger. Car cela implique que vous donnez les données des habitants, en tout cas, celles et ceux qui utilisent l’internet. Et on sait que de nos jours, à l’ère du tout numérique, cela concerne pratiquement tout le monde.

Q : Il a beaucoup été question d’« intervention physique » sur le câble SAFE lors de l’entretien de Sherry Singh sur le plateau de l’Express. C’est quoi une interventionphysique et qu’implique-t-elle ?

Le monde informatique comporte deux gros pôles, le hardware (les appareils) et le software (les logiciels). Un software peut être introduit sans intervention physique. C’est d’ailleurs ce que font beaucoup de « hackers » quand ils introduisent des « malwares » ou des virus sur un réseau. Dans ce cas, le risque d’échec est relativement grand. Par contre, si le « hacker » a la possibilité d’installer un dispositif contenant le « malware », là c’est direct et plus efficace.

Q : Selon l’ex-CEO de MT, un ‘device’ a déjà été installé sur le câble SAFE. Est-ce à dire qu’un ‘third party’ peut déjà « sniff » toutes les données de la population mauricienne, sans que nous, ou même le consortium international qui en est responsable, ne soyons au courant ?

Non, je ne le crois pas. C’est possible, par contre, qu’ils aient installé un appareil durant les heures d’intervention afin de calculer le volume du trafic, avant de le retirer par la suite. Toutefois, toute intervention va certainement laisser des traces. Dès que vous intervenez sur le cordon, il y aura une baisse de tension sur le câble. C’est comme s’il y a un autre « pays » qui s’ajoute au raccordement du SAFE.

Q : Les « traces » laissées par cette intervention peuvent-elles être manipulées ou effacées, comme on en a souvent vu dans le cas des caméras de Safe City ?

Malheureusement, tout est possible en digitalisation. Certainement, si ce sont des ingénieurs très compétents qui connaissent leur domaine, ces « traces » peuvent être effectivement effacées. Par contre, les analyses pourront révéler s’il y a eu manipulation. Les heures et les dates n’auront pas les mêmes séquences. Il ne faut pas oublier que des traces sont aussi laissées pour tout ce qui se passe sur le câble. C’est un peu comme « event viewer » de votre ordinateur de bureau sur Windows, sauf qu’il est beaucoup plus avancé.

Q : Maurice peut-il s’en passer de SAFE ?

Non, le trafic internet de nos jours est énorme. Déjà, le « SAFE » est un câble qui est en fin de vie. Les câbles comme LION, METISSE, et autres, sont aussi installés pour la redondance. Quand le SAFE est saturé, le trafic bascule sur ces autres câbles. Sans le SAFE toutefois, l’internet serait lent.

Q : En tant que professionnel du domaine de l’informatique, qu’est-ce qui vous interpelle le plus dans toute cette affaire ?

L’idée même d’installer un « sniffer » est troublante. Si maintenant, mes données ne sont pas privées, cela m’inquiète vraiment. J’ai des emails confidentiels que j’envoie tous les jours à des entreprises, et aussi à des clients. S’ils peuvent atterrir dans le domaine public, cela est très effrayant. Et je n’ose même pas imaginer si mes accès aux données bancaires sont entre les mains des inconnus. Certes, décoder le contenu est une autre paire de manches, mais s’ils ont les moyens et la volonté, rien n’est impossible. Les plus grands pays, avec des moyens très sophistiqués en matière de sécurité informatique, sont victimes de piratages. Mais là, cela semble se faire avec l’accord d’un Premier ministre. Cela fait vraiment peur.