Rama Valayden : « Le gouvernement a des conseillers israéliens à Maurice »

  • « L’opposition parlementaire pense que ‘fruit la pe mur. Li pou tombe par limem’. Faux ! ‘Nou bizin sacouye pied la’ »

Il tient des propos qui risquent d’agacer et de déplaire. Mais il n’en a cure. L’homme de loi-politicien Rama Valayden se livre à nous dans un entretien à bâtons rompus…

Zahirah RADHA

Q : Beaucoup a déjà été dit concernant votre « arrestation » à 2h du matin en début de semaine. Quelle leçon en retenez-vous ?

Une arrestation survient quand il y a restriction de la liberté et des mouvements. Il est clair que ma liberté et mes mouvements étaient déjà restreints, comme l’ont démontré les images de Radio Plus. Ce que j’en retiens ? Je m’attends surtout au pire. Il y aura d’autres convocations ou arrestations. D’ailleurs, la police m’a déjà contacté pour que je sois entendu dans l’affaire Jagutpal. C’était prévu pour le 20 mai, mais je l’avais déjà renvoyé durant le Ramadan. Il y aura une accumulation de cas contre moi et j’en suis conscient. Heureusement, par la bénédiction de Dieu, je suis très fort mentalement. Mon épouse Taslima l’est aussi. Ma famille, incluant mes fils et filles, est unie dans le combat.

Je retiens aussi le soutien de la population qui reflète dans mes interventions en ‘live’ sur les réseaux sociaux, en dépit d’un boycottage dans certains milieux. Ce soutien populaire dont je jouis nuit au gouvernement et à Pravind Jugnauth que je qualifie de criminel parce qu’il viole la démocratie, la liberté, les structures et les infrastructures ainsi que la crédibilité des Mauriciens, entre autres. Aujourd’hui, il fait fi à l’Union Africaine qui nous a beaucoup soutenus et s’approche davantage d’Israël qui a pourtant voté contre nous sur le dossier Diego Garcia alors qu’il aurait pu s’abstenir. 

Q : Vous dites craindre le pire alors qu’aucune charge n’a été retenue contre vous concernant la manif pro-palestinienne. Pensez-vous que ce n’est qu’un moyen de persécution ?

Ils sont conscients qu’ils arriveraient très difficilement à loger une charge contre moi. L’entrée à la police trois heures après la tenue de la manif, soit à 14:32 alors que la manif avait pris fin à 11:30. Et ce ne sont pas de simples policiers, mais des « top brass » de la force policière, en l’occurrence le DCP Bhojoo et l’ACP Madhow, qui ont supervisé l’événement. Pour vous dire que celui-ci a été suivi par le pouvoir.

Pour revenir à votre question, c’est beaucoup plus qu’une persécution parce qu’il s’agit là de persécuter une personne dans ses croyances les plus intimes ayant trait surtout à la foi d’une personne. J’ai la foi dans la cause palestinienne et j’espère que je verrai, de mon vivant, une solution à ce problème.

Q : Vous êtes un ardent défenseur des conditions de service de la police, celle-là même qui est utilisée pour vous persécuter. Est-ce décourageant ?

Non. Je ne m’attends à aucune récompense. La police, dans son ensemble, me traite bien. Ce n’est pas faux de dire que j’ai reçu un traitement quelque peu princier aux Casernes centrales. Ena planton fini amen dithé après zot gagne zouré. Ils sont conscients que je lutte pour eux. Mais l’intérêt privé d’un individu ne peut pas avoir préséance sur l’intérêt général. C’est inacceptable de faire venir travailler des policiers à 2h du matin. On tente de faire croire que j’ai fait ouvrir les Casernes centrales. Je ne sais pas qui croirait de telles imbécilités.

Il n’y avait aucune nécessité d’agir comme ils l’ont fait. J’ai tenu une manifestation pacifique où il n’y a pas eu un seul incident. Ce n’était pas la manifestation où des sabres étaient brandis sans que la police n’agisse bien qu’elle avait des images. Dans mon cas par contre, les images des caméras CCTV ont été récupérées dans moins de deux heures et elles ont même été qualifiées « d’armes de crime » par certains officiers. C’est très dangereux. Ils sont prêts à n’importe quoi.

Q : Vos positions sont souvent perçues comme étant contradictoires. Par exemple, vous dites mener un combat contre la drogue mais vous défendez des personnes qui y sont liées. Comment l’expliquez-vous ?

C’est la finalité qu’il faut voir. Les Chowrimoothoo que je défends aux assises ont plaidé coupables. Je les défends simplement pour qu’ils aient un traitement humain. Siddick Islam a tout déballé à la police. Maudarbaccus que j’ai défendu dans l’affaire Gro Derek était témoin de la Couronne, mais aujourd’hui il n’obtient que Rs 5000 par mois de la police pour survivre. J’ai toujours encouragé mes clients à collaborer avec les autorités. Mais le système est pourri. Qui aidera la police à démanteler un réseau s’il est condamné à 30 ans de prison ? Personne ! N’oubliez pas que dans l’affaire Gorah Issac, selon la version policière et certaines personnes, dont Hatim Oozeer, les instructions étaient de tuer Rama Valayden. Mais moi, j’ai défendu des personnes qui avaient soi-disant reçu des instructions pour me tuer. Je pardonne et je défends, mais ce n’est pas à moi de juger.

Q : Depuis cette époque jusqu’à maintenant, vous maintenez que votre vie est en danger. N’est-ce pas qu’un état d’esprit, Rama Valayden ?

Non ! Des événements concrets le prouvent clairement. C’est la police, et pas moi, qui avait établi qu’il y avait de lanate dans mon réservoir d’eau et qui a décidé, à la lumière de cette affaire, de m’accorder une protection policière. Il en est de même pour l’affaire Kistnen. C’est le magistrat qui a conclu que notre vie était en danger et qui nous a donné une nouvelle protection policière.

Il ne faut pas oublier que dernièrement, ‘mone tire carré carré lor gouvernement’. C’est la première fois que je dis qu’on a un État qui est devenu criminel. L’État n’a jamais joué un rôle aussi déterminant pour faire des cover-up comme c’est le cas actuellement. Le danger réside dans le fait qu’on l’expose. D’ailleurs, il n’y a pas que moi qui dis que le pays est devenu un État narco, les institutions internationales le disent également. D’où le danger.

Je n’écarte pas la possibilité que le pays soit remis économiquement sur les rails demain, tout simplement parce qu’il y aura de l’argent malpropre qui sera en circulation. De l’argent provenant du trafic de drogues, d’armes ou de la prostitution organisée. L’argent coulera à flots et cela pourra augmenter le niveau de vie dans le pays. Le gouvernement jouera la carte communale et il pourra encore gagner aux élections. Mais est-ce ce qu’on veut ? Je partage peut-être d’autres valeurs qu’ils n’ont pas. Je préfère avoir moins d’argent mais vivre dignement et en paix avec moi-même que de vivre comme ils le veulent.

Q : Pourquoi se donner tant de peine si le gouvernement gagnera encore aux élections, comme vous le dites, d’autant que Pravind Jugnauth a clairement dit qu’il n’est pas question de tenir des élections générales avant la fin de ce mandat ?

Tous les dictateurs à travers le monde disent qu’ils seront toujours là. C’est ce qui avait amené la fin de Navin Ramgoolam. Mais personne n’est là pour rester ou durer. Il y a toujours une fin à tout. À moins qu’on ne se serve de l’armée et du soutien des mercenaires pour pouvoir continuer à diriger le pays. Mais pour combien de temps ? Il ne pourra pas rester éternellement. C’est clair d’ailleurs qu’il y aura d’autres scandales qui éclateront et qui amèneront sa fin. Celle-ci viendra certainement. Démocratiquement, il ne faut que sept députés le quittent pour que son règne prenne fin. Le ML doit faire très attention. Il ne peut pas parler d’une façon intelligente, mais de ne pas utiliser cette même intelligence pour le bien commun.

Q : Tout ce que vous dites n’est que rhétorique…

Définitivement ! Mais le peuple doit s’organiser. Pourquoi le gouvernement recule-t-il sur certains dossiers ? C’est parce qu’il y a une pression populaire et qu’il sent le danger. C’est pour cela, par exemple, qu’il a fait marche arrière sur mon arrestation.

Q : Pensez-vous que le peuple serait prêt de s’organiser face aux mesures répressives telles que les amendements proposés à l’ICT Act et la façon d’agir de la police ?

Le peuple est très en colère. Mais il faut savoir que « revolutions are not made. Revolutions occur ». Des ‘riots’ peuvent être organisés, mais pas des révolutions. Il y aura des événements qui nous surpasseront. Le problème, c’est que l’opposition parlementaire pense que ‘fruit la pe mur. Li pou tombe par limem’. Faux ! ‘Nou bizin sacouye pied la’. Il ne faut pas que l’opposition parlementaire tombe dans ce que j’appelle une « covid laziness », c’est-à-dire utiliser la Covid-19 comme prétexte pour ne pas agir. Ou sinon, les fêtes religieuses sont utilisées comme prétexte pour rester inactive. Des petites réunions, composées de neuf personnes, peuvent être tenues. Celles-ci sont plus dangereuses que les grandes. Au GREA (Groupe de Réflexion Emmanuel Anquetil), nous tenons régulièrement de petites réunions. Il y aura dans quelques semaines, une première répétition…

Q : GREA peut-il se transformer en une alternative au pouvoir ?

On ne dispose que de très peu de temps. GREA ne s’est pas encore transformé en un mouvement politique. Mon rôle, dans un premier temps, c’est de faire de sorte que l’opposition extra-parlementaire se réunisse. Si les trois forces que sont GREA, l’équipe de Bruneau Laurette et les Avengers tiennent un meeting commun, la population verra la différence. Il faut cependant une structuration…

Q : Il paraît que cette union est difficile en raison des divergences…

Non, c’est la finalité ki pena. Pour moi, s’il n’y a pas d’objectif précis, je ne m’impliquerai pas. Si l’opposition tient, par exemple, une manifestation pro-Palestine que pour la forme, je ne serai pas de la partie tant qu’elle ne soit pas suivie par une série d’actions. Je demande à tous, s’ils veulent vraiment s’unir, de faire un premier test en tenant environ 150 manifestations simultanées d’une dizaine de personnes dans les 133 villages et les villes. Si cette structure est mise en place, elle servira à donner confiance à la population pour ‘challenge’ le gouvernement. Il est primordial qu’on dépasse cette mentalité où on s’emprisonne dans la Covid. Ce gouvernement est bien plus dangereux que la Covid.

Q : Revenons sur votre combat pour la Palestine. Vous êtes toujours l’un des premiers à défendre la cause palestinienne et de dénoncer les injustices subies par des minorités ethniques à travers le monde. Qu’est-ce qui explique cet engagement, cette passion ?

Je suis guidé par la soif de la justice. Je m’engage à lutter contre toutes les injustices, qu’elles soient contre le peuple palestinien, les Ouïghours, les Rohingyas ou le people tamoul. J’ai d’ailleurs été parmi l’une des rares personnes à avoir pris position, à travers les colonnes de Sunday Times, contre les atrocités commises à l’encontre des Ouïghours et des Rohingyas. Quant à mon combat pour la Palestine, c’est dans mon ADN. Cet intérêt m’a été transmis par ma mère alors que j’étais encore petit.

Là où il y a le plus de répressions et où les gens sont entassés dans la plus grande prison du monde, c’est bien la Palestine. Les Arabes qui vivent en Israël sont considérés comme des « second class citizens ». Ce même peuple qui a vécu l’Holocauste commet aujourd’hui des atrocités contre les Palestiniens. Malheureusement, les gens pensent que la Palestine n’est que le problème des Musulmans ou que le génocide des Tamouls n’est que l’affaire des Madras. Il nous penser plus en tant qu’humains. ‘Nou bizin pas accepter dominère’.

Q : Vous avez été très sévère contre la position adoptée par le gouvernement sur le dossier palestinien. Pourquoi ?

Il est clair que ce gouvernement se rapproche de plus en plus d’Israël. Ce n’est pas surprenant puisque nos commerces avec l’Israël augmentent et que le gouvernement a bénéficié du soutien d’Israël pour les dernières élections générales. Le gouvernement a aujourd’hui des conseillers israéliens à Maurice.

Q : Vous le dites en connaissance de cause ?

Des compagnies qui sont venues s’installer à Maurice en sont conscientes. Vous le voyez dans les réalités politiques. Quand l’Union Africaine prend position, Maurice, lui, préfère « sit on the fence ». Pourtant, le ministre des Affaires étrangères, Alan Ganoo, est un ancien Trotskiste qui a dans le passé pris de grandes positions. Tous ceux qui « sit on the fence » se rangent du côté d’Israël. Il y en a aussi ceux qui font plus en faveur d’Israël. L’Occident a toujours permis à Israël d’accomplir sa mission avant d’intervenir pour faire signer un accord de paix. Une fausse paix en somme puisqu’il aurait déjà commis ce qu’il voulait. Malheureusement, l’Arabie Saoudite et des pays comme le Maroc prétendent ne rien comprendre. Le seul pays qui a pris position et où il y a un consensus sur ce dossier, c’est la Turquie. Celle-ci dispose heureusement d’une armée forte.

Q : Malgré votre position anti-israélienne, on vous reproche votre association avec Bruneau Laurette, présent à vos côtés dimanche, qui a fait sa formation militaire en Israël. N’est-ce pas contradictoire ?

Si la personne est associée à Israël, mais qu’elle a quand même pris position en participant à la manifestation pro-palestinienne, cela doit être considéré comme un plus. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de Juifs en Israël qui sont en faveur de la paix. Personnellement, je n’épouse pas la thèse d’annihiler Israël. Loin de là. C’est un rêve, mais je pense que les deux peuples qui peuvent changer le Moyen-Orient, ce sont les Palestiniens et les Israéliens qui comprennent des Arabes, des Juifs et des Chrétiens.

Q : Il y a aussi cette perception que vous en tirez un capital politique ?

Quel capital politique ? Si vous faites un ‘popularity check’, vous verrez que c’est une cause qui dépasse difficilement la communauté musulmane qui elle-même est très divisée puisque si X organise une manifestation, Y ne viendra pas et ainsi de suite. Ailleurs dans le pays, on dira qu’on ne peut pas me faire confiance parce que je suis pro-palestinien. Il n’y a aucun capital politique à en tirer. D’ailleurs, j’avais invité tout le monde à y participer. Je n’ai pas encore critiqué Jugnauth sur cette question même si j’ai critiqué le gouvernement sur sa prise de position. J’ai personnellement appelé les députés rouges parce que je me sens plus proches d’eux et ces derniers ont répondu présents à mon appel.

Q : Finalement, quel est votre souhait pour la Palestine ?

Il faut d’abord que Maurice prenne position contre Israël en rompant toutes les relations diplomatiques avec celui-ci. Il faut aussi boycotter les produits israéliens jusqu’à ce que l’État hébreux soit d’accord avec la politique de deux États. Celle-ci est une solution intermédiaire. Au final, il faut qu’il y ait un seul État. Ensuite, le Democratic Party des États-Unis doit être plus ferme pour pousser Joe Biden à changer de position. L’établissement américain, rappelons-le, peut changer de rhétorique, mais la position de l’‘establishment’ reste la même. La seule différence, c’est que Trump avait le courage de dire à haute voix ce qu’ils font tout bas. Il n’y a qu’en 1956 que la position des États-Unis était différente.