Richard Duval : « Le seul responsable de la mafia qui règne actuellement sur le Champ-de-Mars est Pravind Jugnauth lui-même »

  •  « Le gouvernement perçoit beaucoup d’argent sur les courses. Il faut qu’il puisse réinjecter une partie de cet argent, soit une centaine de millions de roupies, dans les courses chaque année, comme cela se fait en Amérique, en Australie, ou à Hong-Kong. Le gouvernement doit présenter une loi en ce sens »

Il ne passe par quatre chemins et accuse le Premier ministre d’être responsable de la mafia qui règne actuellement sur le Champ-de-Mars. Lui, c’est Richard Duval, député de Mahébourg-Plaine-Magnien…

Zahirah RADHA

Q : À peine la reprise du Parlement, on revoit les mêmes comportements du Speaker, les mêmes suspensions, les mêmes censures, les mêmes séances sans réponses… L’Assemblée nationale est-elle toujours le Temple de la démocratie ?

Il n’y a rien de démocratique en ce qu’il s’agit du fonctionnement actuel de l’Assemblée nationale. L’attitude du Speaker contre des élus du peuple est déplorable. Il n’a aucun respect pour les doyens du Parlement que sont Paul Bérenger, Rajesh Bhagwan et le Dr Arvin Boolell qui est, rappelons-le, suspendu du Parlement depuis quatre mois. Le Premier ministre ne se comporte pas mieux. Il joue les prolongations en répondant à une ou deux questions seulement, afin de ne pas avoir à répondre à d’autres qui sont plus embarrassantes.

J’estime qu’il faut tout revoir concernant le fonctionnement du Parlement. Il faut qu’il y ait au moins deux séances parlementaires par semaine, une pour répondre aux questions qui sont d’intérêt national et l’autre pour débattre des projets de loi. Il nous faut consolider notre démocratie au lieu de prendre la voie de l’autocratie, comme nous le voyons actuellement et comme en font état des rapports internationaux.

Q : Le récent ‘Country Report’ du département américain sur les droits humains a cloué au pilori Maurice pour sa culture d’impunité. Mais, comme toujours, cela n’a pas fait réagir le gouvernement. Sommes-nous condamnés à tolérer cette impunité ?

L’impunité ne peut être en aucun cas tolérée. Ce rapport est très critique envers Maurice. Il met en exergue le non-respect du gouvernement concernant la liberté d’expression, et les tentatives de censure, y compris contre des médias. Il évoque aussi la mort de l’ex-agent du MSM, Soopramanien Kistnen, qui allait faire des révélations sur un ministre forcé ensuite à la démission. Les arrestations arbitraires, dont celles d’Akil Bissessur et de sa compagne, ainsi que celles de Bruneau Laurette et de son fils Ryan, sont aussi évoquées. Comment voulez-vous que les citoyens aient foi en nos dirigeants dans de telles circonstances ? Le Cardinal Piat a d’ailleurs exprimé son inquiétude par rapport à la situation du pays.

Q : Partagez-vous ses sentiments et ses craintes ?

Définitivement. Il a eu le courage de dire tout haut ce que de nombreux Mauriciens pensent tout bas. Il faut que la situation soit vraiment grave pour que le Cardinal Piat pleure devant la menace qui pèse sur nos institutions ou encore devant les attaques contre le judiciaire qu’il a dénoncées. La situation est très inquiétante.

Q : Il a parlé d’« acquis démocratiques » qui se perdent.  Quels sont ces « acquis démocratiques » qu’on voit filer entre les doigts, selon vous ?

Il y a tellement de dérives démocratiques qu’on ne sait plus par où commencer. Il n’y a presque plus de démocratie parlementaire. La liberté d’expression est plus que jamais menacée. Les répressions policières pèsent comme une épée de Damoclès sur la tête des opposants. La séparation des pouvoirs n’est plus respectée. Celle-ci était d’ailleurs déjà menacée depuis 2016 lorsque le gouvernement voulait faire voter un projet de loi pour la mise sur pied d’une ‘Prosecution Commission’. Je dois saluer le courage du PMSD et de Xavier Duval qui n’ont pas hésité à démissionner du gouvernement pour faire capoter ce projet qui allait causer un tort immense au judiciaire et au pays.

Q : Après 210 ans, le ‘Mauritius Turf Club’ (MTC) a dû déclarer forfait pour la présente saison hippique. Vous qui avez été entraîneur pendant de longues années, comment interprétez-vous toute cette affaire ?

C’est extrêmement désolant. On n’aurait jamais imaginé que le Champ-de-Mars allait changer de main du jour au lendemain.  Il y a actuellement 200 emplois qui sont menacés au MTC. Le gouvernement n’a pipé mot là-dessus jusqu’à présent. Pour moi, ce manque de considération du gouvernement envers ces pères de famille comptant des dizaines d’années de service au MTC est tout simplement aberrant. Le Club Hippique de Maurice, se trouvant à Floréal, a été mis en vente alors que les écuries Gujadhur et Merven, entre autres, ont déjà fermé leurs portes. C’est triste. C’est tout un pan de notre histoire hippique qui s’écroule.

L’organisation des courses se fait désormais avec amateurisme. Il n’y a que 5 chevaux qui participent dans chaque course alors qu’une stalle peut contenir jusqu’à onze chevaux. Les courses ne se font pas ainsi. Ce n’est pas rentable. Il y a même eu une flagrante violation concernant les « Rules of Racing ». Le ‘People’s Turf PLC’ (PTP) avait déjà pris l’engagement de faire venir deux jockeys étrangers à Maurice avant même qu’une annonce en ce sens ne soit publiée dans la ‘Government Gazette’, comme cela devrait être le cas. Il est clair, pour moi, qu’il y a un parti pris.

Q : Quand vous parlez de parti pris, est-ce au gouvernement que vous faites référence ?

Il est clair depuis le début que c’était le gouvernement qui voulait absolument prendre le contrôle des courses à travers le PTP. Car le gouvernement veut avoir une mainmise sur toutes les institutions du pays. Aucun effort n’a été épargné pour y arriver. J’estime que tout avait été prémédité. Il savait que la MTCSL, filiale du MTC, faisait face à des problèmes financiers. Li koné si MTC mort, centre Floréal pou fermé. Il a attendu son heure, en mettant entretemps sur pied un centre hippique à Petit Gamin. Le fil des événements me donne malheureusement raison.

Au départ, le PTP avait attiré les turfistes dans son camp avec des ‘stake monies’ élevés. Ziska 5ème tou ti pe payé. Du jamais-vu ! Tout le monde était évidemment content et il avait la cote auprès des turfistes. Mais cette année-ci, le ‘stake money’ a été drastiquement revu à la baisse, soit à Rs 37 000 alors que le ‘keep’ d’un cheval coûte entre Rs 50 000 à Rs 60 000 par mois, comparé à Rs 25-30 000 auparavant. C’est un système inacceptable.

Q :  Le Premier ministre a évoqué une mafia à la tête des courses, en se basant sur le rapport Parry. Cette mafia se trouve-t-elle du côté du MTC ?

Au contraire ! Cette mafia a été introduite et tolérée par le Premier ministre lui-même. Comment se fait-il que M. Lee Shim ne paye aucune taxe alors qu’il est propriétaire de chevaux et de SMS Pariaz, contrôle les courses comme actionnaire au sein du PTP, et compte 52 compagnies selon ses propres dires ? Ce n’est pas moi qui le dis. C’est ce qu’il a lui-même dit sur les ondes d’une radio privée. Il faut se demander pourquoi celui qui est connu comme le Roi du Champ-de-Mars ne paye aucune taxe ! Comment est-ce possible ?

Il dit avoir 52 compagnies. Il faut connaître sa source de financement. C’est très important. Il faut des centaines de millions de roupies pour organiser des courses. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut faire du jour au lendemain. Pourquoi n’y a-t-il aucune enquête ? Pravind Jugnauth ne voit-il pas ce qui se passe ? Il est clair pour moi que cette personne bénéficie d’une protection sans précédent. Le seul responsable, selon moi, c’est Pravind Jugnauth lui-même.

Q : Que préconisez-vous pour remettre les courses sur les rails ?

Il faut revoir tout le mécanisme. La ‘Betting Tax’ et la taxe sur l’importation des chevaux sont excessives. Le gouvernement perçoit beaucoup d’argent sur les courses. Il faut qu’il puisse réinjecter une partie de cet argent, soit une centaine de millions de roupies, dans les courses chaque année, comme cela se fait en Amérique, en Australie, ou à Hong-Kong. Le gouvernement doit présenter une loi en ce sens. Il faut aussi que tout soit revu au niveau de l’équitation. Il faut que tout le monde puisse monter à cheval. Cela ne doit pas être réservé uniquement à une catégorie de personnes. Il faut la libéraliser. Mais c’est le gouvernement qui doit faire le premier pas. Ensuite, il faut qu’une ‘Horse Racing Authority’ soit créée pour chapeauter tout ce qui concerne les courses. Elle doit être composée de gens compétents qui comprennent les courses, et non des nominés politiques qui n’y comprennent rien. Il faut qu’on cesse avec cette ingérence politique outrancière.

Q : Mais cette politique d’ingérence outrancière est présente dans toutes les institutions, pas seulement dans les courses ! Cet état de fait n’est-il pas scandaleux en lui-même ?

Effectivement. Le gouvernement s’ingère partout et impose ses décisions. En parlant de scandales, il n’y en a pas mal en ce moment, tout comme il y en a eu à la pelle tout au long des deux mandats de ce gouvernement. La question que je me pose dans le sillage de l’affaire Franklin : qui se cache derrière Franklin ? On sait qu’il bénéficie d’une couverture à la prison parce qu’il a marché avec certaines personnes qui sont au pouvoir. En temps et lieu, certaines informations sortiront…

Q : S’il n’y a pas d’autres tentatives de museler les dénonciateurs, voulez-vous sans doute dire ? Déjà, le Speaker a interdit les photos et les documents privés au sein du Parlement…

Il y a des tentatives de musèlement à tous les niveaux. Des fonctionnaires de ma circonscription ont été transférés en raison de leurs affinités politiques. Des pressions sont exercées sur l’entourage des députés de l’Opposition. Il y a des caméras de surveillance qui sont pointées devant nos portes. Nos moindres allées et venues sont surveillées de près. C’est intolérable. Nous, les députés de l’Opposition, faisons de notre mieux pour assumer nos responsabilités, malgré les conditions extrêmement difficiles, surtout au Parlement où nous faisons face à des sanctions systématiques. Même dans les circonscriptions, il y a un travail énorme à faire, car il y a un appauvrissement de la population. D’ailleurs, il y a une peur qui s’est installée dans le pays, en raison de la politique de dictature que prône le gouvernement. Mais ce n’est qu’une question de temps. Avec l’approche des élections, cette peur se dissipera et d’autres scandales émergeront alors. La fin de ce gouvernement n’est pas si loin.