- « J’en avais parlé à Ravi Yerrigadoo qui était Attorney General à l’époque. Je lui avais clairement dit que j’étais contre la nomination de Satar Hajee Abdoula et que cela nous éclaterait à la figure, mais il m’avait dit que c’était la prérogative du Premier ministre de nommer le commissaire et ses assesseurs »
- « Le Premier ministre veut maintenant faire croire que Bhadain a ‘fané’. Je ne dis pas le contraire. Néanmoins, il jouissait, au départ, du soutien de tout le monde. Le Premier ministre d’alors lui faisait une confiance aveugle »
Le successeur de Roshi Bhadain au ministère de la Bonne Gouvernance et des services financiers ne reste pas insensible au rapport de la commission d’enquête sur Britam. Sudhir Sesungkur dit avoir relevé plusieurs anomalies dans cette transaction. Le rapport cependant n’en fait pas état. Idem pour ceux impliqués dans l’affaire Britam, mais épargnés dans le rapport, comme Kavi Ramano et Dev Manraj.
Zahirah RADHA
Q : Vous aviez hérité du dossier BAI après la démission de Roshi Bhadain du gouvernement en janvier 2017. Qu’est-ce qui vous interpellait concernant la vente de Britam (Kenya) ?
C’était l’un des plus gros dossiers sur lequel j’étais appelé à travailler après ma nomination comme ministre de la Bonne gouvernance et des services financiers. Il fallait à cette époque trouver les fonds nécessaires pour rembourser les souscripteurs du ‘Super Cash Back Gold’ (SCBG) et des investisseurs du ‘Bramer Assets Management Ltd’ (BAML). J’avais été choqué en réalisant qu’il y avait un manque à gagner extrêmement conséquent concernant la vente de Britam (Kenya) qui représentait pourtant le plus important actif du groupe BAI. Les faits entourant cette transaction étaient assez troublants. Mon objectif personnel était de mener une enquête pour voir si tous les procédés de la vente avaient bien été reçus par le ‘National Property Fund Ltd’ (NPFL).
Q : À quels faits troublants faites-vous allusion ?
Que vous le vouliez ou pas, il y avait bel et bien une proposition ferme de l’ordre de Rs 4, 3 milliards faite par la compagnie MMI. Il faut savoir que même s’il n’y avait pas de lettre d’offre formelle, les compagnies internationales ne font pas des propositions simplement parce qu’elles en ont l’envie. Elles le font après mûre réflexion et suivant un travail préliminaire d’analyse et d’étude. Les Rs 4, 3 milliards correspondaient donc, pour moi, à un prix de référence pour la vente de ces actions. Or, le prix de vente de Britam (Kenya) avait été fixé à Rs 3 milliards. C’est irrationnel. Personne ne vendrait, par exemple, sa voiture pour Rs 500 000 si elle est en présence d’une offre d’un million de roupies.
Autre fait intriguant, c’est que seulement Rs 2, 4 milliards sur l’offre de Rs 3 milliards faite par Peter Munga avaient été remis au NPFL. Cela n’avait pas de sens. Ce qui m’a poussé à consulter les documents officiels, dont le ‘Share Purchase Agreement’ (SPA). C’est ainsi que j’ai pris connaissance d’une clause suspensive de Rs 600 millions. Tous ceux qui avaient signé ce SPA savaient pertinemment bien que cette somme n’allait pas être payée. D’ailleurs, le Secrétaire Financier Dev Manraj l’a dit à la commission et le rapport en fait état. Ce qui prouve qu’il en était conscient.
En approfondissant mon enquête, j’ai aussi constaté que la BAI n’avait pas obtenu ses dividendes de Rs 43 millions qui étaient dues en 2015. Je dois aussi faire ressortir que l’‘Escrow Agent’ Kavi Ramano avait réceptionné environ Rs 2, 5 milliards suivant la vente de ces actifs, mais environ Rs 2, 4 milliards seulement avaient été transférés sur le compte du NPFL. Presque Rs 100 millions avaient volatilisé entre ces deux transferts. Pour toutes ces raisons, je voulais tirer l’affaire au clair, situer les responsabilités et faire payer ceux qui ont fauté.
Q : Q : C’est vous qui avez réclamé cette commission d’enquête ?
Je pensais qu’il serait judicieux de faire une enquête par une entité indépendante. Mais finalement le gouvernement, respectant les prérogatives du Premier ministre, avait décidé d’instituer une commission d’enquête ‘full fledge’, pour faire la lumière sur cette transaction qui a mal tourné. En tant qu’expert-comptable, j’avais détecté plusieurs anomalies qui étaient tellement flagrantes. Je ne crois pas qu’il faut ‘monte lor pied pou koner seki ine passer’. Il n’est pas difficile d’identifier les coupables et de les faire rembourser.
Q : Êtes-vous satisfait des conclusions du rapport ?
Quand j’ai vu ce rapport qui a été soumis après quatre ans de travaux et le contexte dans lequel il a été publié, je pense qu’il s’agit plutôt d’une attaque politique contre Roshi Bhadain. Il serait naïf de notre part de croire que Pravind Jugnauth ne l’exploiterait pas pour ses propres intérêts. J’estime néanmoins que le rapport a été dévalorisé puisqu’il ne se concentre pas sur les ‘key issues’, mais plutôt sur les faiblesses procédurales et les leçons à en tirer. Or, nous savons tous que là où il y a des membres de Lakwizinn, les fonds publics sont dilapidés et pillés.
Q : Vous estimez donc que le rapport est ‘biased’ ?
Définitivement ! Il épargne tous ceux qui sont ‘in the good books’ du gouvernement. Par exemple, Dev Manraj prétend être ‘sinoi nef’. Mais nous savons tous que c’est la FSC, dont il était le chairman à l’époque, qui avait nommé Yacoob Ramtoolah. Puisqu’il s’agissait d’une décision majeure, soit la vente d’un des plus importants actifs du groupe BAI, il est clair que ce dernier a dû en discuter avec la FSC et Dev Manraj qui l’avait nommé. D’ailleurs, les deux hommes sont en très bons termes et ils se parlent fréquemment. C’est donc difficile de croire que Dev Manraj ignorait cette offre de Rs 4, 3 milliards et qu’il ne savait rien concernant la vente de Britam à Rs 3 milliards et la clause suspensive de Rs 600 millions.
Le ‘Share Purchase Agreement’ (SPA) fait mention de deux paiements, soit les Rs 2, 5 milliards et ensuite les Rs 600 millions tombant sous la clause suspensive. Ce qui est étonnant, c’est qu’il était stipulé qu’il fallait, pour que ces Rs 600 millions soient payées, que les profits soient doublés à la fin de l’année financière, soit en décembre 2016, alors que la transaction était faite en juin 2016. Comment peut-on savoir, en juin 2016, combien de profits seraient réalisés en décembre 2016 ? C’est ridicule. Entretemps, les ‘shares’ avaient déjà été transférés.
J’estime personnellement que des poursuites doivent être engagées contre tous les professionnels qui ont été impliqués dans cette transaction. Ils doivent tous rembourser les sommes perdues, incluant l’‘Escrow Agent’. Ce dernier était censé de faire respecter les termes de l’accord et s’assurer que Peter Munga paie Rs 3 milliards, mais il ne l’a pas fait. Conséquence : Peter Munga n’a payé que Rs 2, 5 milliards, mais les actifs ont quand même été transférés en son nom. Comment un ‘Escrow Agent’ peut-il agir ainsi et pourquoi a-t-il été épargné dans le rapport? On a dépensé des centaines de millions de roupies pour des ‘unprofessional services’.
Q : N’était-il pas évident dès le départ que le rapport serait biaisé vu la proximité de Satar Hajee Abdoula avec le Premier ministre ?
Et Bushan Domah et Satar Hajee Abdoula sont proches du Premier ministre. Quant à l’autre assesseur, je crois qu’il grimpe rapidement les échelons au sein de Lakwizinn. Bushan Domah, rappelons-le, est le chairman du ‘Financial Reporting Council’ (FRC). Tous les comptables cités dans cette affaire devront donc se présenter devant lui. Comment le fera-t-il ?
Q : Vous avez quand même accepté la composition de cette commission d’enquête…
Non. J’en avais parlé à Ravi Yerrigadoo qui était Attorney General à l’époque. Je lui avais clairement dit que j’étais contre la nomination de Satar Hajee Abdoula et que cela nous éclaterait à la figure, mais il m’avait dit que c’était la prérogative du Premier ministre de nommer le commissaire et ses assesseurs. Nous savons tous à quel point Satar Hajee Abdoula est proche de Pravind Jugnauth. C’est lui qui dirige toutes les missions…
Q : Y compris une à Paris pour négocier avec Dawood Rawat en avril 2015 ?
Exactement, c’est ce que j’allais dire. Il avait même négocié avec Dawood Rawat pour le rachat du groupe. Il était tellement impliqué dans l’affaire BAI que je trouvais vraiment malsain qu’il siège sur la commission d’enquête sur Britam. D’ailleurs, à une radio qui m’avait posé la question à l’époque, je lui avais demandé de poser la question à Satar Hajee Abdoula s’il se sent, lui, indépendant. Ce n’est pas possible. Un professionnel doit pouvoir se respecter. Même Yacoob Ramtoola portait plusieurs chapeaux et jouait divers rôles. Zot mem transaction advisor, zot engage zot mem, zot paye zot mem. Ils doivent accepter qu’ils ont ‘fané’.
Q : Le démantèlement du groupe BAI aurait-il pu être évité ?
D’un point de vue professionnel, il est clair que le groupe était malade. D’ailleurs, le rapport N’Tan avait dévoilé le mécanisme utilisé pour le maintenir à flot. Mais la solution ne résidait pas en son démantèlement. Il y avait d’autres remèdes…
Q : Mais…
Oui oui, vous me direz que je suis ‘wise after the event’, mais croyez-moi, si j’étais ministre de la Bonne gouvernance et des Services financiers dès le départ, j’aurais agi de façon différente. Un groupe avec un poids économique aussi conséquent que la BAI exigeait qu’on trouve des solutions beaucoup plus souples. Malheureusement, c’est le couperet qui a été appliqué et il n’y a pas de doute que c’était une mesure drastique.
Le Premier ministre veut maintenant faire croire que Bhadain a ‘fané’. Je ne dis pas le contraire. Néanmoins, il jouissait, au départ, du soutien de tout le monde. Le Premier ministre d’alors lui faisait une confiance aveugle et il l’a mal utilisée pour deux raisons : son manque d’expérience et sa fougue de prouver que ‘li mem mari’. Les officiers qui gravitaient autour de lui avaient peur parce qu’ils savaient qu’il avait l’oreille du Premier ministre. Il s’était octroyé des pouvoirs accrus, équivalents à ceux du Premier ministre, au point de mettre les pieds aux Line Barracks et de contrôler le CCID. Mais il a dépassé les limites et les choses, dans l’affaire BAI, ont mal tourné, résultant en une crise sans précédent.
Q : Reconnaissez-vous que les actions de Britam (Kenya), comme les autres compagnies du groupe, ont été liquidées alors que des trous subsistent toujours ?
Presque Rs 100 millions se sont volatilisés parce qu’il y a eu certains qui se sont payés eux-mêmes. Si vous avez recours à des professionnels et que vous finissez par encourir une perte, il faut que ces professionnels en payent le prix. Ils ont tous agi de connivence et finalement, toute l’affaire BAI a été réduite à une perte énorme pour le gouvernement. Ce dernier a dû récemment utiliser Rs 11 milliards des fonds publics pour verser au NPFL. Je ne sais pas où cette affaire se terminera. Ceci dit, on ne peut pas occulter le fait que ce soit en grande partie « the doing of » Roshi Bhadain.