Tourisme en chute libre face à une compétition agressive

« Un rethinking radical s’impose », selon Kevin Teeroovengadum

Le tourisme n’est pas près de sortir de la mauvaise passe où il se trouve. Depuis la réouverture des frontières, les prévisions concernant les arrivées touristiques n’ont pas été atteintes. D’octobre à décembre 2021, environ 170 000 touristes seulement avaient foulé le sol mauricien au lieu des 325 000 visiteurs attendus. Le chiffre approximatif de 230 000 touristes de janvier à avril 2022 laisse présager que les estimations de 650 000 arrivées touristiques pour le premier semestre de 2022 ne seront pas réalisées. Une situation qui inquiète l’économiste Kevin Teeroovengadum. Celui-ci estime que notre tourisme se dirige lentement mais surement vers une mort lente, faute de mesures fortes, précises et rapides pour inciter les touristes à séjourner chez nous.

Durant cette même période, alors que le tourisme mauricien stagne, Kevin Teeroovengadum note une reprise du tourisme assez fulgurante chez nos compétiteurs que sont les Maldives et les Seychelles. Les Maldives vont franchir la barre de 600 000 touristes, soit le nombre total de touristes qu’elles avaient atteint en 2019, rien que pour le premier quadrimestre de l’année en cours. Ce qui indique aussi que les Maldives termineront fort probablement 2022 avec un taux de l’ordre de 1, 7 millions d’arrivées touristiques.

Ce qui est tout aussi honorable pour les Maldives, souligne l’économiste, c’est qu’elles ont pu parallèlement récolter davantage de recettes touristiques que d’habitude, car le touriste moyen a dépensé 2500 dollars au lieu de 1500 dollars, par séjour. En 2019, soit avant la Covid-19, les revenus perçus par les Maldives sur les arrivées touristiques étaient de 3, 2 milliards de dollars avec 1.7 million de touristes alors qu’en 2021, ils ont atteint la barre de 3, 5 milliards de dollars avec 1.3 million de touristes. Ce qui fait de cet archipel un exemple à suivre en termes de modèle touristique, selon notre interlocuteur. Même aux Seychelles d’ailleurs, le nombre de touristes enregistré de janvier à mars 2022 est presque à 75-80% du taux réalisé pour la même période en 2019. Idem pour les revenus qui indiquent également une tendance à la hausse de plus de 15%.

Le Zanzibar se pose comme une menace

Cette comparaison avec Maurice est importante, insiste Kevin Teeroovengadum, car elle met en lumière les lacunes existantes au niveau du tourisme mauricien. « De janvier à mars 2022, notre taux d’arrivées touristiques n’a pas dépassé 45% de ce qu’on avait réalisé en 2019. Et à la fin de cette année, on ne dépassera peut-être pas les 60% des chiffres enregistrés en 2019. Pourquoi notre tourisme stagne-t-il alors que les autres pays arrivent à s’en sortir admirablement bien ? », se demande-t-il. D’ailleurs, la concurrence s’avère rude pour Maurice puisque la Thaïlande et le Sri Lanka se sont de nouveau mis de la course. La crise économique qui secoue le Sri Lanka l’a incité à se promouvoir à fond sur le marché indien.

Un autre pays émerge comme une menace potentielle pour notre tourisme : le Zanzibar qui attire davantage d’investisseurs de l’Europe, des Émirats Arabes Unis et de l’Oman. « Avec ses plages exotiques et ses infrastructures aéroportuaires rénovées, ce pays attire de plus en plus d’hôteliers sur le plan international. Le Zanzibar, il faut le souligner, est géographiquement plus près de l’Europe et du Moyen-Orient. Ce qui met Maurice dans une position extrêmement difficile », explique l’économiste. Si rien n’est fait, martèle ce dernier, le tourisme mauricien ne fera plus partie de la course.

La solution si Maurice veut se repositionner, préconise Kevin Teeroovengadum, réside en une profonde et urgente restructuration de la MTPA et de l’AHRIM, deux organismes chargés de promouvoir le tourisme mauricien. « Il y faut de nouvelles têtes, de nouvelles idées et de stratégies, et surtout des personnes qui sont mieux connectées avec le tourisme international », dit-il. Il prône aussi une ouverture de l’accès aérien, tout comme l’ont fait les Maldives et les Seychelles et qui récoltent aujourd’hui les fruits de l’ouverture de leur espace aérien. « J’estime que cette idée de vouloir à tout prix protéger Air Mauritius est archaïque », dit l’économiste.

Il faut également que les autorités mauriciennes mettent les bouchées doubles pour attirer plus d’investisseurs et d’opérateurs hôteliers internationaux. « Nous ne pouvons plus concourir sur le marché international avec seulement 4 ou 5 groupes qui contrôlent 50 à 60% des chambres. Tant qu’on n’attire pas des investisseurs hôteliers internationaux sophistiqués, notre tourisme continuera de tâtonner », prévient l’économiste. Kevin Teeroovengadum estime qu’il faut aussi investir davantage dans le marketing digital, comme le fait Dubaï à travers des influenceurs de renom. « Bref, ce qu’il nous faut impérativement, c’est un rethinking radical au niveau des autorités, suivi par des mesures concrètes avant que ce ne soit trop tard », insiste l’économiste.