Razack Peeroo : 

  • Renvoyer un membre sans aucune raison apparente et valable ou simplement parce qu’il proteste n’est pas digne d’un Speaker
  • Le pays a connu beaucoup de secousses politiques, économiques et financières (…) Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve mais l’horizon est brouillé.

 

Il a été parmi les rares députés à avoir déposé une motion de blâme contre un Speaker, en l’occurrence Iswardeo Seetaram. Cela remonte en 1993. Presque deux décennies plus tard, Razack Peeroo, Senior Counsel, s’est retrouvé propulser à la présidence de la Chambre. Il occupera ainsi les fonctions de Speaker de 2012 à 2014. Son succès à ce poste, nous dira-t-il, résidait principalement dans le livre intitulé « Mr Speaker » de Matthew Laban, qu’il considère d’ailleurs comme la Bible des Speakers. Notre invité de la semaine passe en revue la dernière séance parlementaire qui a été dominée par la motion de blâme du chef de file du PTr, Shakeel Mohamed, contre la Speaker Maya Hanoomanjee…

Zahirah RADHA

 

Q : Vous avez été l’auteur d’une motion de blâme, en 1993, contre l’ancien Speaker Iswardeo Seetaram. Quelle comparaison faites-vous avec celle logée par Shakeel Mohamed contre Maya Hanoomanjee et qui a été rejetée, mardi ?

R : Permettez-moi d’abord d’élaborer sur les qualités requises et nécessaires pour celui qui occupe la fonction de Speaker. Il faut que ce dernier soit une personne d’expérience, mais qui est aussi respectée et respectable. Il doit avoir les qualités d’un arbitre capable d’appliquer les ‘Standing Orders’ d’une manière judicieuse, juste et équitable. Il doit faire preuve d’impartialité dans son attitude, ses conduites et ses ‘rulings’.

Le Speaker doit prendre en considération toutes les susceptibilités des membres de l’Assemblée nationale. Il doit gérer les débats d’une façon à ce que le droit à la parole de chaque membre soit respecté, car il ne faut pas oublier que chaque parlementaire représente la voix de sa circonscription et de son électorat. S’il est vrai que le Speaker est nommé par la majorité, il ne doit jamais cependant faire preuve de parti pris dans ses décisions. Une fois que son autorité est mise en doute, il ne peut plus fonctionner dans la confiance et le respect. Une motion de blâme arrive précisément quand l’opposition, en particulier, pense que « it is not being treated fairly and with impartiality ».

J’avais logé cette motion de blâme contre l’ancien Speaker Iswardeo Seetaram en 1993 pour cette même raison. Ce dernier avait utilisé ce que la Cour suprême avait appelé une ‘colourable device’ pour faire en sorte que Navin Ramgoolam perde son siège à l’Assemblée nationale.

À cette époque, on était seulement à six membres de l’opposition contre 64 du gouvernement. J’avais donc affaire à une majorité écrasante. Mais je dois dire qu’il y avait un vrai débat. En tant que Deputy Speaker, Jérôme Boulle avait assumé son rôle avec brio et il avait agi en toute impartialité. Les débats s’étaient déroulés en ordre et dans le respect.  C’était vraiment formidable. Je préfère toutefois ne pas les comparer avec ceux qui ont eu lieu mardi. Ce qui s’est passé est vraiment regrettable et triste.

 

Q : Qui est plus regrettable : le niveau des débats ou le comportement des parlementaires ?

R : Je regrette de vous dire que je ne m’attendais pas à ce niveau des débats, mais aussi à la façon dont les choses se sont déroulées à l’Assemblée nationale, mardi. J’espère que les membres se ressaisissent à l’avenir. Il ne faut jamais qu’un Speaker fléchisse devant ses responsabilités d’impartialité. Ce n’est pas juste pour moi de juger le comportement des parlementaires.

Le Speaker est le symbole de l’autorité dans l’hémicycle. Il faut, quand c’est nécessaire, rappeler les membres à l’ordre. Mais si cette autorité est affectée par le comportement, la partialité et la subjectivité du Speaker, ce serait injuste de condamner l’attitude des membres qui ne font que réagir face à cette situation. Néanmoins, les membres, qui sont appelés ‘Honorable’ doivent se conduire honorablement en toute circonstance. Ils sont libres de ‘voice their feelings’ et de protester selon les règlements. C’est leur droit.

Le Speaker doit, lui, veiller à ce qu’il n’y ait pas de dérapages. Il a la lourde responsabilité de préserver cette institution qu’on appelle le Speakership. S’il ne se montre pas impartial, s’il ne joue pas le jeu d’un arbitre et s’il est coupable de favoritisme, il n’est pas digne d’occuper cette fonction. En fin de compte c’est la démocratie parlementaire qui est touchée. Pour moi, c’est grave.

 

Q : Vous pensez que le Deputy Speaker a failli à ses responsabilités en ne donnant pas de rulings malgré les points of orders soulevés par des membres de l’opposition ?

R : Quand un député, qu’il soit de l’opposition ou du gouvernement, soulève un point of order, le Speaker ou le Deputy Speaker doit décider si celui-ci en est vraiment un. Si tel est le cas, il doit donner son ‘ruling’. Au cas contraire, il doit s’expliquer. Il ne peut pas sortir de là. C’est la règle du jeu. S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a failli dans sa tâche. C’est clair.

 

Q : Qu’en est-il de l’expulsion des trois parlementaires du MMM ? Était-elle justifiée, selon vous ?

R : L’expulsion d’un membre est très sérieuse et doit être une mesure extrême. Renvoyer un membre sans aucune raison apparente et valable ou simplement parce qu’il proteste n’est pas digne d’un Speaker. Il faut qu’il prenne aussi en considération le fait que ces membres-là représentent la voix de leur circonscription et de leur électorat. Quand vous expulsez quelqu’un de l’hémicycle, you are shutting down the voice of the people who have voted for him. C’est pour cette raison que moi je n’ai jamais expulsé un membre.

 

Q : Dans quelle mesure la fonction d’un Speaker est-elle affectée par sa vie privée ?

R : La question de vie privée est à débattre. Naturellement, on ne peut pas se mêler de la vie privée d’un Speaker. Mais la grande question est celle-ci : quelle est la ligne de démarcation entre la vie publique et la vie privée ? Mais si le Speaker a une mauvaise vie ou s’il est lié aux scandales, cela affectera bien évidemment sa fonction. Il faut donc faire très attention afin de ne pas mélanger, par exemple, ses activités commerciales et financières avec ses fonctions de Speaker car celles-ci sont très délicates.

 

Q : Venons-en à la situation qui prévaut dans le pays. Quel constat faites-vous de la performance du gouvernement après deux ans au pouvoir ?

R : Le pays a connu beaucoup de secousses politiques, économiques et financières. L’image du pays a pris un mauvais coup. À un moment donné, on parlait de Maurice comme le phare de l’Afrique, mais on commence à croire que ‘nou l’ampoule ine brûler’. Il y a un sentiment de découragement dans le pays. Il y a actuellement de nombreux jeunes qui quittent le pays pour s’établir ailleurs. Rien que dans mon étude, il y a eu deux jeunes qui viennent de partir au Canada. Le taux d’investissement a baissé considérablement. Idem pour le Foreign Direct Investment (FDI). Les investisseurs ne nous font pas confiance. L’avenir des jeunes gradués et professionnels qui cherchent désespérément du travail me préoccupe également. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve mais l’horizon est brouillé.

 

Q : Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette perte de confiance des investisseurs, selon vous ?

R : Quand vous touchez au secteur privé sans raison valable, c’est dangereux. Du moment qu’on avait touché au groupe BAI, on pouvait ressentir le déclin et la perte de confiance des investisseurs. La façon dont on s’est attaqué au groupe BAI était mauvaise. S’il y avait des problèmes, on aurait dû les régler d’une autre façon. On a outrancièrement politisé cette affaire. On ne gère pas un pays sur la vengeance, surtout après les élections.

 

Q : Roshi Bhadain réclame justement une commission d’enquête sur l’affaire BAI…

R : (D’un ton sec) Pourquoi maintenant ? Il aurait eu raison quand il était au gouvernement !