Vinaye Ancharaz, économiste : « La BoM a feint de ne rien voir dans l’affaire Pabari »

« Dans le cas de Pabari, dont les prêts s’élevaient à des milliards de roupies, il est évident que la SBM aurait dû redoubler d’efforts en ce qui concerne le ‘due diligence’ pour s’assurer qu’elle serait remboursée. Or, cet exercice ne semble pas avoir été fait », observe l’économiste Vinaye Ancharaz qui répond à nos questions d’un bref survol de la situation économique.

Zahirah RADHA

Q : Qu’est-ce que l’affaire Pabari révèle sur l’état de SBM Holdings Ltd ?

Cette affaire reflète la situation dans laquelle se retrouvent la plupart de nos institutions aujourd’hui. Une situation qui est causée par l’incompétence du gouvernement qui nomme des personnes issues de la fameuse Lakwizinn et qui ne sont pas forcément compétentes, mais qui servent le régime en place.

Quant à la personne mise en cause dans l’affaire Pabari, elle est partout. Cette personne a été administrateur de la BAI et d’Air Mauritius. Elle a aussi été assesseur de la commission Britam. Et elle préside enfin le conseil d’administration de SBM Holdings Ltd. C’est donc clair qu’elle est une personne clé pour le gouvernement.

D’ailleurs, c’est la faute du gouvernement s’il y a un conflit d’intérêts dans cette affaire. C’est ce qui se passe quand une personne porte autant de chapeaux. D’autant que la personne en question est aussi CEO d’une firme de consultants impliquée dans ce cas. L’affidavit de Pabari démontre que le chairman de SBM Holdings Ltd a abusé de sa position pour servir ses intérêts personnels.

Q : Que pensez-vous de l’inertie de la Banque de Maurice dans cette affaire ?

La Banque de Maurice a failli à ses responsabilités. Cette affaire prouve qu’elle passe complètement à côté de tout ce qui se passe dans le secteur bancaire. Elle ne semble pas être au courant de la façon dont des prêts s’élevant à des milliards de roupies a été approuvée. Un prêt qui, semble-t-il, a été accordé à un homme d’affaires sis au Kenya uniquement sur la base d’un email, et sans aucune garantie. Ni le ‘due diligence’ ni le ‘Know Your Customer’ (KYC) n’ont été faits.

Pourtant, rien que pour un simple loan auprès de n’importe quelle institution bancaire, toute une enquête est menée pour savoir si l’emprunteur peut éventuellement le rembourser. Dans le cas de Pabari, dont les prêts s’élevaient à des milliards de roupies, il est évident que la SBM aurait dû redoubler d’efforts en ce qui concerne le ‘due diligence’ pour s’assurer qu’elle serait remboursée. Or, cet exercice ne semble pas avoir été fait. Pire, la Banque de Maurice a feint de ne rien voir. C’est extrêmement grave.

Q : Une affaire de cette ampleur ne sera pas sans conséquence pour l’image du pays. Maurice ne risque-t-il pas de se mettre à dos des institutions internationales ?

Bien sûr. Moody’s vient de nous rétrograder. Moi, je n’étais nullement surpris puisque c’était prévisible, au vu d’une série d’événements qui pointait inévitablement dans cette direction. Toutes les ‘credit scoring agencies’ suivent la situation mauricienne de près. Elles ne s’intéressent pas uniquement aux affaires liées aux finances ou à la gouvernance, mais aussi à la corruption, au népotisme, ou encore à l’incompétence des personnes qui sont à la tête des institutions. Tous ces facteurs sont pris en considération d’une façon ou d’une autre lors du ‘rating’ du pays. La situation à la SBM, dont l’actionnaire majoritaire est le gouvernement, et la léthargie de la banque centrale, qui est une agence gouvernementale, sont d’une gravité extrême. Elle est synonyme de conflit d’intérêts d’une part et d’absence d’indépendance et d’autonomie de l’autre.

Q : C’est donc le ‘junk status’ qui nous attend plus devant alors que nous aurions dû tout mettre en œuvre pour redresser la situation ?

Je ne le souhaite pas, mais je ne serai pas étonné s’il arrive. Il y a eu des événements successifs qui ont envoyé des mauvais signaux sur le plan mondial. Et comme vous le dites, un autre ‘downgrading’ nous réduira directement au niveau de ‘junk status’.

Q : Selon les prévisions de ‘Statistics Mauritius’, le déficit commercial grimpera en flèche pour atteindre les Rs 190 milliards cette année. N’est-ce pas effrayant ?

Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, mais la raison principale demeure la dépréciation de la roupie. Cette dépréciation entraîne une hausse du coût de nos importations qui ont, elles-mêmes, augmenté de façon conséquente. Ensuite, il y a beaucoup de « one-off items », à l’instar des équipements importés pour le métro, qui gonflent aussi ce déficit. Et d’autre part, nos exportations n’ont pas vraiment repris depuis la pandémie, outre une légère hausse. Nos exportations ne suffisent pas pour pouvoir ramener le déficit à un niveau relativement acceptable.

Q : Pourquoi nos exportations peinent-elles à redémarrer, comme vous le dites ?

Quels produits nous restent-ils vraiment pour exporter ? Tous les secteurs sont confrontés à des problèmes. Nous exportons toujours le sucre certes, mais le volume a considérablement baissé. Notre textile-habillement a également connu un ralentissement au niveau des exportations, d’autant que plusieurs entreprises ont été contraintes à fermer boutique suivant l’introduction du salaire minimal. Le secteur de la pêche, plus précisément l’exportation du thon, est également sujet à des problèmes. Il n’y a pas eu de diversification au niveau de nos exportations qui sont restées traditionnelles pendant trop longtemps.

Q : Les accords signés avec l’Iran nous seront-ils utiles pour palier à ce manquement ?

Quand on parle de l’Iran, c’est immédiatement le pétrole qui nous vient en tête. Cet accord nous sera bénéfique s’il vise à nous aider dans l’approvisionnement des produits pétroliers à moindre coût. Mais au-delà des produits pétroliers, je ne vois pas vraiment dans quels autres secteurs nous pouvons en bénéficier. Nous pourrions peut-être exporter des produits vers l’Iran, mais cela viendra probablement dans le long terme.

Q : Pensez-vous que le gouvernement a mal choisi ses priorités à ce niveau ?

Nous avons signé des accords de coopération avec plusieurs pays. L’année dernière, nous en avons signé un avec la Chine. Nous en avons aussi avec l’Inde, le Pakistan, et maintenant l’Iran. C’est facile de signer des accords. Mais il faut, à un certain moment, qu’on fasse un ‘assessment’ de ce que nous rapportent ces accords. Notre performance ne se mesure pas en termes du nombre d’accords que nous signons, mais en termes de ce qu’ils nous rapportent concrètement.

Q : Puisqu’on parle d’apports concrets à l’économie, en quoi l’extension du Metro Express à Côte d’Or sera-t-elle bénéfique au pays ?

Il y a eu ce qu’on appelle une ‘escalation of commitment’. Le gouvernement s’est déjà engagé dans le projet Metro Express qui fait néanmoins face à un gros problème de rentabilisation. Selon les chiffres publiés par MEL, des pertes s’élevant à des centaines de millions de roupies ont été enregistrées. La situation ne s’améliorera pas à court terme. Et peut-être même pas à long terme. Pourtant, des milliards de roupies ont été investies dans ce projet.

Pour que le Metro Express soit rentable, il faut augmenter le ticket. Or, le gouvernement ne veut pas prendre des risques pour des raisons économiques et politiques, d’autant que la population se plaint de l’inflation et du coût élevé de la vie. Je pense néanmoins que le prix du ticket sera éventuellement appelé à augmenter. Pour l’instant, le gouvernement subventionne le Metro Express, car c’est impossible qu’il opère à perte. Mais la question c’est, jusqu’à quand le subventionnera-t-il ?

Le gouvernement pense maintenant pouvoir créer une plus grande demande pour le service du Metro Express en l’étendant de Réduit à Côte d’Or en passant par Saint-Pierre – demandez-vous pourquoi Saint-Pierre. Il veut probablement rentabiliser Côte d’Or qui ne décolle toujours pas, malgré son complexe sportif. Le gouvernement veut peut-être développer Côte d’Or, tout comme Ébène l’a été. Mais y aura-t-il suffisamment de demandes pour le rentabiliser ? Franchement, je ne le vois pas. 

Q : Comment analysez-vous le fait que, d’un côté, l’Agence Française de Développement (AFD) a retiré son soutien financier à hauteur de Rs 4 milliards pour l’extension de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Plaine-Corail et de l’autre, la piste d’atterrissage d’Agaléga, financée par l’Inde, se poursuit, elle, à une vitesse effrénée ?

C’est une situation contradictoire. Nous ne savons pas encore pourquoi l’AFD a retiré son financement. L’a-t-elle fait pour des raisons économiques ou politiques, ou les deux ? La façon dont Maurice se comporte en général provoque des frictions diplomatiques. En atteste l’affaire Huawei tout récemment. Ce qui a poussé l’ambassadeur de Chine à réagir pour demander à ce qu’on arrête de faire du « China bashing ». De l’autre côté, on voit comment Maurice tend la main à l’Inde et comment celui-ci marque sa présence chez nous d’une façon plus remarquable, non seulement à travers le Metro Express, mais aussi sur le dossier Agaléga. Je pense que la communauté internationale suit ce qui se passe chez nous de près.