ANALYSE Opposition divisée Une panacée pour Pravind Jugnauth

Il suffit de voir les commentaires qui fusent sur les réseaux sociaux suivant les récents développements politiques du côté de l’opposition pour se rendre à l’évidence. La population en a marre et s’écœure, à juste titre, du mauvais cinéma que nous livrent certains politiciens au sein de l’opposition. Ces derniers auraient pu nous épargner ce ramdam stérile à un moment où l’unification de l’opposition est plus que jamais nécessaire pour botter ce gouvernement hors du pouvoir. Mais il est malheureux de constater que ceux-là mêmes qui sont généralement si volubiles pour prôner un changement de mentalité et un nouveau modèle de société sont ceux qui persistent à faire d’abord passer leurs égos, leurs intérêts personnels et leurs ambitions politiques sur toute autre considération dans l’intérêt du pays. Raison pour laquelle nous assistons aujourd’hui à une opposition divisée, qui peut la rendre plus vulnérable. Alors que c’est le gouvernement qui aurait dû être acculé face au ‘sniffgate’ qui n’est que le dernier d’une série de scandales, les uns plus affligeants que les autres. Celui qui doit se réjouir de cette tournure inopportune des événements est incontestablement Pravind Jugnauth. De quoi lui donner du sérum politique après les dernières allégations contre lui, d’autant que l’attention du public a désormais shifté sur l’opposition.

Pourtant, il y a peu, on ne pouvait qu’apprécier la fort belle synergie qui se dégageait des rangs d’une opposition parlementaire et extra-parlementaire unie, et donc solide. Car l’essentiel, au vu de la situation actuelle qui prévaut dans le pays, c’est de maintenir la pression sur le gouvernement à travers des actions politiques et citoyennes concertées et ciblées pour le forcer tout au moins, à défaut d’une démission, à lâcher prise sur certaines décisions, mais aussi à contraindre certains élus mal à l’aise à déserter la majorité. Ce qui aurait fragilisé Pravind Jugnauth et son gouvernement, jusqu’à le pousser, on daignait l’espérer, jusqu’à la démission. Car il faut d’abord que le gouvernement soit délogé pour que des élections puissent avoir lieu. Ainsi, l’opposition aurait dû continuer à combiner ses efforts dans ce sens tant que ses objectifs ne sont pas atteints. Chacun des partis de l’opposition aurait pu par la suite décider de la direction à prendre une fois les élections déclarées. Or, il s’avère que certains veulent mettre la charrue avant les bœufs. Au grand dam de la population qui assiste, impuissante, à la scène, tandis qu’elle continue de souffrir non seulement de la cherté insoutenable de la vie, mais aussi de l’incompétence de nos dirigeants. Au final, devait se dire ce peuple admirable, l’opposition n’est peut-être pas mieux que le gouvernement. Peut-on donc lui reprocher son dégoût avec la chose politique ?

Attardons-nous sur ce qui s’est passé ces derniers jours. Alors que la tenue d’une manifestation par le PTr, avec la collaboration et le soutien de l’Alliance de l’Espoir, ou du moins du MMM et du PMSD, se précisait, Roshi Bhadain annonce que son assemblée des délégués veut que le Reform Party aille seul, ou en alliance avec un nouveau parti, aux prochaines élections, avec lui-même au poste de Premier ministre. Une annonce qui n’a rien de surprenant pour ceux qui ont compris ses aspirations politiques qu’il n’a d’ailleurs jamais caché. Ce développement était même prévisible depuis la reprise des négociations entre le PTr et le MMM-PMSD en vue d’une éventuelle alliance électorale. Car un tel arrangement, s’il se concrétise, ne siéra résolument pas à ses prétentions personnelles, soit d’occuper le primeministership face à un Navin Ramgoolam intransigeant quand il s’agit de cette question, mais aussi parce que sous la houlette du leader du PTr, il aura probablement moins de latitude qu’il aurait peut-être voulu en avoir au sein d’un ministère et d’un gouvernement. Joue-t-il à la surenchère politique en faisant ce ‘move’ qui a « bien irrité » Paul Bérenger ? Probablement oui. Car à ce stade, il s’accroche toujours à l’Alliance de l’Espoir alors qu’on croyait qu’il s’en dissociera après son annonce de samedi dernier. D’autant qu’il ne jouit pas, valeur du jour, d’une assise électorale solide qui pourra le propulser au pouvoir sans une alliance électorale, comme en attestent les élections partielles au no. 18 en décembre 2017 et générales au no. 20 en novembre 2019 durant lesquelles il avait mordu la poussière.

Nando Bodha a aussi ajouté son grain de sel dans ce méli-mélo politique. Après avoir répété ad nauseam, depuis sa démission du gouvernement MSM en février 2021, que le peuple veut une « vraie unité de l’opposition », il n’a de cesse montré son aversion pour le PTr et son leader Navin Ramgoolam, tandis que le parti rouge demeure actuellement la seule locomotive de l’opposition. Il souhaite, lui, que toute action citoyenne ou politique soit centrée autour du leader de l’Opposition et de l’Alliance de l’Espoir et non autour du PTr. Se laisse-t-il, lui aussi, dicter par ses ambitions premierministérielles qui sont menacées par la présence de Navin Ramgoolam ? Tout comme Roshi Bhadain, un Navin Ramgoolam au poste suprême du pays peut s’avérer fatal pour ses prétentions politiques. D’autant qu’il n’a pas pu fédérer le peuple derrière lui, n’ayant jamais déballé tout ce qu’il sait sur le MSM et ses manœuvres malsaines malgré sa démission. Ce qui expliquerait, somme toute, sa farouche résistance à toute alliance ou association avec le PTr. Que fera donc Nando Bodha ? Prendra-t-il la porte de sortie pour éventuellement s’allier avec le Reform Party de Roshi Bhadain, sachant que ce dernier entretient les mêmes espoirs premierministériels que lui ?

Le plus affligeant du mauvais cinéma est toutefois venu des rangs de Linion Pep Morisien. Après ses débuts politiques en fanfare, cette alliance a montré, ces derniers temps, des signes visibles d’essoufflement. Mais les dirigeants s’en gardent évidemment de l’avouer, préférant voir la paille qui est dans l’œil de l’opposition parlementaire au lieu de se concentrer sur la poutre qui est dans le sien. Les actions et les engagements solitaires de Bruneau Laurette, suivant sa rencontre avec Sherry Singh lundi, ont mis le feu aux poudres, au point de pousser ce dernier à la démission en fin de semaine. N’ayant rien à envier aux partis politiques traditionnels, les leaders de ce regroupement politique se plaisent désormais à jouer au ‘blame game’. Mais le plus choquant aussi, c’est l’annonce de Rama Valayden à l’effet qu’ils ne participeront pas à une manifestation quelconque organisée par l’opposition parlementaire. Une absurdité quand on sait que les partis traditionnels de l’opposition l’ont toujours soutenu lorsqu’il s’agit des activités organisées par son mouvement politique. D’autant que leur objectif reste le même pour tout ce beau monde : faire partir le gouvernement de Pravind Jugnauth. « Li (NdlR : Pravind Jugnauth) bizin allé. Nou tou dakor lor la », a d’ailleurs reconnu Rama Valayden. Pourquoi donc faut-il faire obstacle à une manif commune ? Autant qu’il nous l’explique parce que nous peinons à voir clair dans son raisonnement.

Bruneau Laurette, pour sa part, a aussi fait preuve d’un ego surdimensionné. D’abord en écartant ses partenaires d’alliance lors de ses discussions avec Sherry Singh. Et ensuite en voulant imposer une date neutre pour la tenue de la manif que prévoit d’organiser le PTr tandis qu’une date, soit le 12 août, avait déjà été retenue et le feu vert de la police déjà sollicitée. Du côté du MMM et du PMSD d’ailleurs, la présence de Bruneau Laurette est vu d’un mauvais œil. Possiblement parce qu’il pêche dans le même bassin électoral qu’eux, mais aussi en raison de certaines de ses prises de position.

Heureusement que, dans toutes ces acrobaties politiques, le PTr tient bon et ne se laisse pas distraire et encore moins perturber, malgré une brève maladie de son leader, Navin Ramgoolam. Ses réunions de mobilisation vont bon train et connaissent même un certain succès. Raison de plus pour que toute mobilisation politique et citoyenne se fasse autour du PTr. Mais il est parallèlement primordial que l’opposition arrête son cinéma pour se recentrer sur ses objectifs. Des brèves manifs devant l’Hôtel du gouvernement, brandir des pancartes au Parlement, animer des conférences de presse, effectuer des walk-outs de l’hémicycle pendant les travaux parlementaires… tout cela ne sont que des actions symboliques qui ne renverseront certainement pas le régime. Malgré tous les scandales qu’on reproche au gouvernement, rien ne le déboulonnera tant que les partis de l’opposition ne s’unissent pas. Les considérations électorales peuvent attendre. Les intérêts du pays doivent avoir préséance sur leurs états d’âme. Et qu’ils comprennent aussi qu’il faut battre le fer quand il est chaud. Sinon, peine perdue.

Zahirah RADHA