2018 sera une année décisive pour le gouvernement actuel.  En principe, les élections générales doivent se tenir dans un an, ce qui met encore plus de pression sur le gouvernement de Pravind Jugnauth. Ainsi, le gouvernement MSM-ML se voit confronté à de multiples défis sur tous les fronts, dont politique, économique, social et éducatif, entre autres. 

Marwan Dawood/ Zahirah Radha

Plan politique

La majorité gouvernementale de Pravind Jugnauth en péril

2018 s’annonce plus ou moins périlleuse pour le gouvernement sur le plan politique. Face à un Parti Travailliste qui a le vent en poupe après l’élection d’Arvin Boolell à la partielle au no 18 en décembre dernier, les partis formant le gouvernement, particulièrement le MSM, devront d’abord faire face à des soubresauts à l’intérieur même du cabinet. « Le gouvernement devra surveiller sa majorité. Quand le terrain glisse, la possibilité que des backbenchers et des ministres changent de camp n’est pas à écarter. Ce qui pourra mettre la majorité gouvernementale de Pravind Jugnauth en péril tout en compromettant son leadership », explique le politologue Jocelyn Chan Low. Selon lui, le MSM devra se consolider en se débarrassant des brebis galeuses, d’autant que celles-ci sont proches du Premier ministre. Le rapport de la commission d’enquête sur la drogue se révélera aussi être une épreuve difficile pour le gouvernement. « On ne sait pas ce que le rapport nous réserve. Certes, Raouf Gulbul a déjà démissionné de la GRA et de la LRC, mais que se passera-t-il s’il s’avère que des députés de la majorité sont impliqués d’une façon ou d’une autre ? » s’interroge notre interlocuteur.

Un affaiblissement du gouvernement rimera également avec une bascule de l’appareil d’état. « Les fonctionnaires se sentiront plus libres et cela entraînera des fuites d’informations. On l’a d’ailleurs déjà vu dans le passé. Donc, d’autres scandales surgiront probablement », soutient Jocelyn Chan Low.  Celui-ci estime que le Premier ministre a mis la barre très haute en misant sur le développement économique. « Le seul moyen dont dispose Pravind Jugnauth c’est de redresser l’économie afin de regagner l’estime de la population. Mais cette tâche s’avère tout aussi ardue pour lui puisque cela impliquera la prise de certaines mesures impopulaires. Est-ce qu’il pourra le faire ? »  se demande le politologue, en précisant qu’un affaiblissement du gouvernement signifiera qu’il pourrait devenir l’otage de certains lobbies.

Par ailleurs, le MSM devra probablement conclure une alliance afin de pouvoir survivre politiquement face à un PTr requinqué. « La porte du PTr étant fermée au MSM, le MSM devra se tourner vers le MMM pour une alliance, surtout si les élections se tiennent cette année. Il faut toutefois se demander quel impact une telle alliance aura sur le ML »,  soutient Jocelyn Chan Low. Et de conclure : « C’est une année très difficile pour le gouvernement sur tous les plans ».

Économie

Eric Ng : « Primordial de relancer le secteur de l’exportation » 

Quel sera l’avenir économique de Maurice en 2018 ? Allons-nous franchir la barre des 3,9 % de croissance ? Quels sont les défis économiques du gouvernement ? Une chose est sûre, il aura du pain sur la planche pour réaliser une bonne performance économique en 2018.  L’économiste Eric Ng nous livre ses prévisions, mais aussi ses observations de la situation économique pour la nouvelle année. Ce dernier estime que le gouvernement aura à jongler avec plusieurs dossiers brûlants dont le Brexit, l’exportation et l’incertitude des investisseurs. « Je pense que le gouvernement doit davantage se concentrer sur la relance du secteur manufacturier, ainsi que l’exportation des produits mauriciens, qui a été en décroissance ces dernières années », explique Eric Ng.

Croissance en dessous de 3,9 %

« Il faudra également savoir négocier avec les effets du Brexit et ouvrir une porte de négociations avec la Grande-Bretagne, qui est un marché important. En dehors de cela, le gouvernement devra négocier correctement les accords sur le Double Taxation pour rendre Maurice plus compétitif dans le Global Business qui est déterminant pour le secteur offshore », dit l’économiste. Ce dernier abordera également la question de croissance économique pour 2018.  « Statistics Mauritius prévoit que la croissance sera de 3,9 %, alors qu’ils ont l’habitude de porter haut leurs estimations mais je prévois que la croissance sera moins de 3,9 % en 2018 », ajoute Eric Ng.

Combattre le chômage : un gros défi

En ce qu’il s’agit de la création d’emplois, Eric Ng dit attendre de connaître l’impact du salaire minimum sur l’économie. « Pour le gouvernement, il est facile de créer des emplois mais cela résultera en une augmentation de la dette publique ; c’est pour cela que le secteur privé doit s’investir dans la création d’emplois, ce qui est plus difficile. La question qu’on peut se poser : est-ce que les industries vont recruter avec l’introduction du salaire minimal ?  Donc, le chômage restera une nouvelle fois un gros défi pour le gouvernement », conclut Eric Ng.

Des licenciements et des hausses de prix probables bouleverseront le pays

Le rapport de la commission Lam Shang Leen sur le trafic de drogue, l’introduction du salaire minimum et l’introduction du Nine-Year Schooling sont, selon le sociologue Ibrahim Khoodoruth, les trois gros défis auxquels le gouvernement sera confronté cette année-ci. Le Premier ministre ayant déclaré la guerre au trafic de drogue, la position qu’il adoptera après la soumission du rapport Lam Shang Leen sera surveillée de près. « Il faudra voir quelles mesures le gouvernement prendra à la lumière des recommandations du rapport », souligne le sociologue Ibrahim Khoodoruth.

L’introduction du salaire minimum aura également un impact sur le plan social. « On ne sait pas encore comment les employeurs vont réagir. Y aura-t-il des licenciements ou vont-ils passer le prix des services aux consommateurs ? Dans les deux cas, cela risque d’entraîner des conséquences négatives. Des licenciements impliqueront une hausse du nombre de chômeurs alors qu’une augmentation des prix sera synonyme d’une perte du pouvoir d’achat. Le gouvernement devra donc prendre des mesures en conséquence », fait-il ressortir.

La gestion du dossier de Nine-Year Schooling s’annonce aussi délicate pour le gouvernement. « La question c’est de savoir comment les enseignants des collèges vont travailler avec des élèves ayant des ‘mixed abilities’. Quelle approche les enseignants prendront-ils ? Sont-ils préparés pour faire face à une telle situation ? Quid des élèves et des parents ? » se demande Ibrahim Khoodoruth.

Éducation

Dharam Gockool : « Le gouvernement n’a fait qu’un exercice de rebranding » 

Le secteur de l’éducation est également au centre des grands défis, avec l’entrée en vigueur du 9-year schooling. Dharam Gockool, ex-ministre de l’Éducation nous fait une analyse de ce qu’attend le gouvernement en 2018. Cependant, il dit noter que les autorités ne fait que des retouches sans pour autant élaborer des plans stratégiques pour relever les défis importants. « Nous avons en face de nous un gouvernement qui n’a pas de plans pour l’avenir du secteur éducatif à Maurice. Le 9-year schooling n’est qu’un facilitateur pour que les enfants puissent entrer facilement au secondaire mais les gros problèmes restent entiers. Le gouvernement avait dit qu’il allait en finir avec la compétition entre les enfants dès leur jeune âge mais rien n’a été fait. Il voulait également en finir avec le problème de leçons particulières, en vain, tout cela a été relégué au second plan pour faciliter l’accès au secondaire. Ce n’est pas une vraie réforme de l’éducation », martèle Dharam Gockool.

Ce dernier explique alors que le gouvernement n’a fait qu’un exercice de rebranding. « La Tertiary Education Commission a été rebaptisée la Quality Assurance Authority, le National Higher Education Advisory Council existe dans l’Education Act de 1957, ce qui n’est pas une chose nouvelle. Donc tout cela pour expliquer que rien de nouveau n’a été fait », dit Dharam Gockool. L’ex-ministre est d’avis que les gros défis dans ce secteur, soit une éducation de qualité et la préparation des enfants pour l’avenir n’intéressent pas le gouvernement.

Tourisme

Sen Ramsamy : « Rs 100 milliards de revenus touristiques en 2018 est réalisable »

Secteur important de l’économie mauricienne, le tourisme est attendu au tournant en 2018. Les spécialistes du domaine estiment que le tourisme va continuer sur sa lancée en termes de croissance dans le nombre de visiteurs avec une estimation de 1 350 000 touristes en 2017 et des recettes en devises étrangères estimées à Rs 59 milliards.  Sen Ramsamy, Managing Director du Tourism Business Intelligence a été sollicité pour nous donner son avis sur le monde du tourisme à Maurice pour la nouvelle année.  «Il est indéniable que les Mauriciens participent également dans les activités économiques des hôtels.  Il est temps de mettre en relief les dépenses des Mauriciens dans la performance des hôtels.   Il est aussi bon de savoir que très souvent les Mauriciens dépensent bien plus durant leurs séjours à l’hôtel que les touristes. Ceci dit, je réitère mon souhait que la performance économique du secteur touristique ne soit plus mesurée en nombre de touristes qui foulent le sol mauricien, mais plus correctement en terme de recettes en devises étrangères, d’emplois et de valeurs ajoutées », dit Sen Ramsamy.

Ce dernier estime qu’il faut revoir tout le système et au lieu de prévoir la venue de deux millions de touristes en 2020, il serait bien plus intelligent de se fixer pour objectif des revenus de Rs 100 milliards en 2018, qui est selon lui réalisable.  «Pour y arriver, il faut une nouvelle vision pour ce secteur et aussi un cadre plus propice en termes de ‘policy orientation’, de stratégies de développement et d’innovation », dit-il.  Par ailleurs il s’attarde sur les autres défis à relever dans ce secteur.  «Il nous faut avoir une meilleure offre touristique autre que l’hôtellerie », affirme Sen Ramsamy en ajoutant que Maurice a besoin d’un vrai secteur touristique dynamique et palpitant.

Le Managing Director de Tourism Business Intelligence est d’avis que le tourisme demeure un vaste chantier qui doit être en effervescence perpétuelle pour permettre au pays de rapporter le double en terme d’emplois directs et indirects et en devises sonnantes et trébuchantes pour la population dans nos villes et villages.

 Les principaux objectifs à atteindre en 2018 

Il est prévu que la destination Maurice accueillera environ 1 425 000 visiteurs avec des recettes de l’ordre de Rs 61 milliards en 2018. «À mon humble avis, et je le redis, le principal objectif de 2018 doit être une meilleure croissance dans les revenus du tourisme car nous avons le potentiel de faire mieux », dit Sen Ramsamy.

Par ailleurs il trouve que ce n’est pas normal que dans une destination qui prétend être haut de gamme, un touriste dépense seulement Rs 4 300 en moyenne par jour, y compris  son hébergement, ses repas, boissons, transport, shopping, excursions etc. Très souvent les Mauriciens dépensent plus durant leur séjour dans nos hôtels que les touristes. C’est un des plus gros défis à relever dans le tourisme à Maurice. « On doit se fixer un objectif de Rs 100 milliards en recettes touristiques sur une année. A travers de bonnes stratégies de développement et de concertation, cet objectif est tout à fait réalisable », affirme Sen Ramsamy.

D’autre part, la qualité de service mérite une attention constante à travers la formation professionnelle à tous les niveaux, dit Sen Ramsamy. «De même que la sécurité des visiteurs partout dans l’ile et en mer, l’hygiène dans nos restaurants, la propreté dans les villes et villages. L’innovation dans le tourisme est aussi un aspect très important pour pouvoir satisfaire une clientèle de plus en plus avertie et donc plus exigeante.  Le phénomène air nb dans le tourisme est pris un peu à la légère à Maurice et il peut causer des dégâts énormes à notre image et à notre réputation. Donc il faut un meilleur contrôle de notre offre d’hébergement car ce concept est plus qu’une braderie et ses effets à long terme seront néfastes », dit le Managing Director de Tourism Business Intelligence.