Questions à… Eric Ng Ping Cheun, économiste : « Un budget qui sera financé par l’impôt »

Q : Quelle impression le budget vous laisse-t-il ?

Cet exercice ressemblait plus à un discours programme qu’à un budget puisqu’il passe pratiquement sous silence l’état des finances publiques. Ce budget repose sur des hypothèses très fragiles, à savoir la relance du tourisme avec l’ouverture des frontières pour obtenir 9% de croissance économique sur la prochaine année fiscale. Qui plus est, le discours budgétaire manque de fil conducteur. Son approche ne cadre pas avec le contexte économique exceptionnel que nous vivons. Beaucoup de chiffres, tels que le déficit budgétaire, ont été cachés. Il avait soutenu l’année dernière qu’il y aurait un équilibre budgétaire en 2020-2021. Finalement, le déficit budgétaire est de 5, 6% du PIB pour cette année fiscale alors que ce chiffre devait être 0, selon lui. Et cela n’inclut pas les Rs 60 milliards de la Banque de Maurice.

Pour 2021-2022, il prévoit que le déficit budgétaire sera de 5% du PIB. Il ne dit pas, par contre, qu’il y a des fonds spéciaux extrabudgétaires où Rs 15, 5 milliards seront dépensées. Qui plus est, un montant de Rs 9, 5 milliards sera aussi pris de la FSC, du CEB, de la STC et de la MPA pour financer des projets. Concrètement, si on prend en compte les dépenses qui seront encourues dans les fonds spéciaux extrabudgétaires et les revenus provenant de ces quatre organismes, le déficit budgétaire sera le double des prévisions du ministre des Finances, car il s’élèvera à 10% du PIB, soit autour de Rs 50 milliards au lieu de Rs 25 milliards.

Au final, il n’y a pas eu de consolidation fiscale telle que préconisée par la Banque Mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI). Les finances publiques auraient dû être assainies, mais tel n’a pas été le cas. C’est un budget de la facilité où le gouvernement ne fait que dépenser comme bon lui semble.

Q : Renganaden Padayachy a donc fait fi des recommandations de la BM et du FMI ?

Il a définitivement fait fi des recommandations principales de ces instances, notamment sur la consolidation fiscale et ensuite sur la « Mauritius Investment Corporation » (MIC). Alors qu’il a été appelé à se désengager de la MIC, pas un seul mot n’a été prononcé dessus, même pas dans les « annex » du budget. Pire, on voit que les fonds de la MIC seront utilisés pour investir, à hauteur d’un milliard de roupies, dans des projets de développement, plus précisément le tout-à-l’égout. Ce qui est quand même incroyable puisque la MIC était censée investir dans des entreprises systémiques du secteur privé qui pourraient garantir un retour sur investissement. Or, le tout-à-l’égout ne rapportera pas de revenus. Il faudra donc que le gouvernement clarifie cette situation.

Q : N’est-ce pas quand même réconfortant qu’il n’y a pas eu de nouvelles taxes, sauf celle sur les carburants ?

Oui, ‘fair enough’. Mais le danger, c’est que cet exercice budgétaire sera financé par l’inflation, sachant que celle-ci est un impôt sur les pauvres. Les deux roupies que la population sera contrainte à payer sur le prix des carburants pour financer l’achat des vaccins sont exagérées. Voyez vous-même, une personne qui utilise 100 litres d’essence par mois, aurait déjà payé pour un vaccin coûtant Rs 600 dans une période de trois mois. J’aurai personnellement préféré que le vaccin soit payant. N’oublions pas que le prix du pétrole dépasse actuellement les 91 dollars sur le marché international et qu’il continuera à grimper. Résultat : les automobilistes seront davantage impactés.

Je pense qu’en n’introduisant pas de nouvelles taxes, il a épargné les personnes fortunées pour taxer la classe moyenne et les ti-dimounes. D’ailleurs, selon les prévisions du ministre des Finances, la TVA devra lui rapporter Rs 11, 5 milliards additionnelles. Ce qui représente une hausse de 41%. Pense-t-il pouvoir récolter la TVA sur la consommation à fond de la population ou estime-t-il pouvoir obtenir ces recettes grâce à l’inflation provoquée par la dépréciation de la roupie ? Je ne sais pas trop ce qu’il a en tête.

Q : Les deux nouveaux piliers économiques annoncés sur l’industrie verte et les produits pharmaceutiques relanceront-ils l’économie ?

Le ministre des Finances a fait des efforts dans ce sens et je suis d’accord qu’il faut éliminer l’utilisation du charbon d’ici 2030. Mais je constate que ce soit le CEB qui prendra les devants. Je n’ai pas vu des mesures visant à inciter les investisseurs du secteur privé à développer la « green economy ». En fait, c’est un budget où le rôle du secteur privé est très effacé.

Quant à l’industrie pharmaceutique, qu’on peut certes développer, il faut qu’il soit compétitif par rapport aux pays africains et à l’Inde. Le plus gros manquement de ce budget concerne toutefois l’économie bleue. Je suis étonné que ce secteur prometteur n’ait été mentionné qu’en passant.

Q : Quelles sont les craintes liées à la création des fonds spéciaux pour le financement des dépenses ?

C’est un moyen de masquer les dépenses gouvernementales et de baisser artificiellement le déficit budgétaire. Ce qui entraîne un manque de transparence. Raison pour laquelle la Banque Mondiale préconise que les fonds spéciaux soient intégrés dans le budget.

Q : Le gouvernement a-t-il raté une nouvelle opportunité pour remettre l’économie sur les rails ?

Tout à fait. Il nous a servi du réchauffé. Ce qui m’attriste, c’est que le ministre Padayachy avait annoncé que cet exercice budgétaire amènera à la fois relance et réforme. Malheureusement, encore une fois, il n’y a pas eu de réformes structurelles. Il avait aussi dit qu’il réduira les dépenses courantes par 25%, mais tel n’est pas le cas non plus. Je le redis, c’est un budget de la facilité qui favorise la détérioration des dépenses publiques.

Propos recueillis par Zahirah RADHA