Yogida vole la vedette à Pravind

Zoom out sur Angus et zoom in sur Kistnen. Au fur et à mesure que l’affaire Kistnen se déballe, on a de plus en plus l’impression d’assister à un véritable ‘thriller’ mettant en scène une bande organisée dont les ficelles sont tirées en haut lieu. Les regards sont évidemment braqués sur LE protagoniste, en l’occurrence le ministre Yogida Sawmynaden. Ce dernier a plusieurs cordes à son arc, paraît-il. Outre ses talents de photographie (ndlr : il s’était fait connaître après avoir pris la photo de Nandanee Soornack en décembre 2012), il semble également être un chef d’orchestre doué, puisqu’il sait comment s’y prendre pour que ses exécutants puissent « dance to his tunes », comme dirait l’Anglais. Mais loin de l’amusement, cet énième scandale sous le gouvernement Jugnauth a de quoi pour nous horrifier. Il ne s’agit plus que de sordides affaires de dilapidation des fonds publics ou d’enrichissements illicites, mais d’un probable assassinat avec ou sans préméditation. Qui l’aurait cru ?

Alors que les dénonciations se multiplient contre lui et que des ramifications politiques étendues sont évoquées, le ministre Yogida Sawmynaden adopte, lui, un profil très bas. Pas étonnant vu que le Premier ministre a mis plus de trois mois avant de répondre aux allégations dans l’affaire Angus Road. Ne dit-on pas que l’exemple vient d’en haut ? Pourtant, rien que sur l’aspect de ‘constituency clerk’, Pravind Jugnauth aurait dû réclamer illico presto des explications à son colistier et ministre. Il y a une obligation de savoir s’il y a eu, oui ou non, d’emploi fictif et si les honoraires mensuels de Rs 15 000 versés sur le compte du ministre ont été bien remis à la personne qu’il affirme employer comme ‘constituency clerk’ ou pas. Bien sûr, il aurait été mieux si le Speaker de l’Assemblée nationale, à qui revient la responsabilité d’allouer ces allocations, avait diligenté d’office une enquête administrative pour savoir de quoi il en découle, d’autant qu’il s’agit de fonds des contribuables.

Mais puisque ce serait placer la barre trop haute en s’attendant à ce que le Speaker s’y attèle, le chef du gouvernement aurait dû prendre le taureau par les cornes en ordonnant une enquête interne. Doit-on rappeler qu’en France, François Fillon a été jugé et condamné pour détournement de fonds publics dans une affaire d’emplois fictifs ? Encore faut-il que le Premier ministre soit lui-même au-dessus de tout soupçon pour qu’il puisse exiger des explications de son ministre. Ses mains ne sont-elles pas liées par l’affaire Angus Road ? Comment pourra-t-il demander à un de ses ministres de démissionner quand il fait lui-même l’objet d’une enquête de l’ICAC et qu’il se tient toujours accroché à son poste ? Et même s’il arrive à trancher et qu’il décide de révoquer Yogida Sawmynaden, cela risquera de lui tomber dessus, car la pression pour qu’il soumette également sa démission s’accentuera davantage.

Cette affaire résume le drame que nous sommes de plus en plus appelés à témoigner. Parce que la plupart de nos institutions sont pourries jusqu’à la moelle. Et que le gouvernement ne l’est pas moins. Et parce que nous continuons à tout subir.